« Grotesque et terrible, ce mot (pantouflard) qualifiait bien ceux qui s'étaient désintéressés de la chose publique d'abord, de la patrie ensuite. Ils avaient déclaré la partie
perdue dès le premier jour et n'avaient plus eu qu'un souhait : la paix ! »
Ce n'était pas la bonne époque pour être un lâche notoire comme Louis Breuil, dit "le pantouflard", après la terrible défaite de Sedan.
C'était pourtant le gendre idéal aux yeux des parents de Marine. La famille Sérent se contentait de ce bon parti ; le pantouflard est doux, tendre et riche, un choix confortable et rassurant.
Tout se bouleverse au cours du voyage de noces où les jeunes mariés suivent au jour le jour le déroulement de l'invasion prussienne.
Sans être surprise du tempérament de son époux, ses déceptions se confirment jusqu'à l'écoeurement.
Il commente les premières légères défaites avec une tranquillité étonnante « nous n'y pouvons rien, n'est-ce pas ? Alors, à quoi bon nous affecter ? » tandis que Marine s'inquiète immédiatement pour sa famille et fait naître un sentiment patriotique qui ne décroîtra pas :
« Mais il me semble que c'est mon propre sang qui coule ! Je ne savais pas ce que c'était la patrie ! Je viens de le sentir maintenant ! Et je la vois saigner… »
Remarque qui laisse songeur (car cela supposerait indirectement qu'il faille nécessairement une guerre pour entretenir le patriotisme) : le patriotisme n'est-il pas aujourd'hui un mot obsolète en l'absence de guerre (de vraie guerre inter-étatique) ? N'avons-nous pas d'ailleurs remplacé la guerre par le sport, voire l'économie (l'expression « compétitivité économique ou fiscale » en témoignerait) recréant ainsi un patriotisme artificiel au travers d'une compétition sportive ou économique ?
Louis Breuil ne rate pas une occasion de prouver sa maladresse et sa lâcheté à son épouse.
Quand Marine est fière de l'enrôlement parmi les volontaires d'un ami d'enfance et de son frère, Louis Breuil déclare avec nonchalance et un peu de raillerie « enfin, s'ils veulent jouer au soldat, je ne vois pas pourquoi on leur refuserait ce plaisir innocent ! ».
La bravoure de Gambetta est admirée là où Louis Breuil n'y voit qu'une démence pure qui ne ferait qu'enrager davantage les prussiens. Etre à ce point stoïque en de tels circonstances relève soit du génie, soit d'une grande lâcheté. En tout cas, après coup, il avait en effet raison, Gambetta a sauvé l'honneur, mais surement pas sauvé des vies.
Peut-être partageait-il la même pensée qu'
Henry Greville dans le roman « ce qui avilit une nation, ce n'est pas sa défaite, c'est la façon dont elle l'accepte » Peu importe le sang ! C'est l'honneur de la patrie qu'il faut sauver avant tout, pas les vies humaines.
Enfin ! La défaite de Sedan marque le retour en France des quelques exilés de guerre « La guerre est finie ! » presque enthousiaste à l'idée de rentrer chez soi, le pantouflard apprécie le retour à la niche. « Finie ? Elle commence ! » c'est l'avis de Marine, sa famille et ses proches qui, tous sauf elle, rejoindront les armées temporaires formées par Gambetta et prouveront leur héroïsme notamment à la bataille de Chateaudun où la famille réside.
C'est fort heureux que Greville ait choisi ce remarquable épisode de bravoure pour contrebalancer cette année terrible et funeste qu'est 1870.
1.000 hommes ont courageusement tenu face à 10.000 prussiens disposant d'artillerie lourde.
Les 2.500 pertes côté prussien n'ont toutefois pas découragé l'avancée à l'intérieur de la ville « les coups de feu qui rayaient l'obscurité, l'odeur de la poudre, le canon tout près, la Marseillaise scandée par les décharges ; puis le silence stupéfiant tombé sur la ville aussitôt après le carnage, comme si la mort avait pris peur devant son oeuvre »
Bien entendu, Louis Breuil n'y était pas. C'est là le début d'une lourde et interminable expiation.
Il est d'abord agacé puis névrosé, torturé par les discussions inoffensives de son entourage où l'on ressasse les exploits de guerre. Parfois on se tourne vers lui en lui demandant « y étiez-vous ? », une jeune mariée clame haut et fort que « jamais je n'aurais épousé un homme qui se serait tenu tranquillement chez lui pendant ce temps là » ; les anciens volontaires entre eux « Tout le monde ne pouvait pas se battre ! » « Tout le monde non ! Mais tous ceux qui pouvaient ! Ils n'en avaient pas envie, voila ! Ce qu'il leur fallait, c'était leurs habitudes, leurs pantoufles chaudes le soir ».
On peut regretter que rien ne vienne réhabiliter ce pauvre et doux Pantouflard, qui est certes une âme tiède, indifférente aux malheurs publics, mais qui ne méritait pas une telle humiliation.
Henry Greville a toute la finesse d'analyse et de compréhension pour un « pantouflard » mais elle se veut vertueuse dans la guerre et ainsi inspirer le dégoût au lecteur qui doit, par contraste, se montrer digne au combat si l'évènement venait à se reproduire.