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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
L'existence de Pall avait commencé comme bien d'autres existences. Ecole, parents, jeux, copains, avec toute la dose d'humiliations et de découvertes heureuses que comporte une enfance.
Le basculement se produit comme dans un rêve. Ce sont d'abord des répliques absurdes qui n'ont rien à envier aux conversations de la Cantatrice chauve :


« Nous roulons par les nouveaux quartiers où il y a beaucoup de grandes maisons individuelles.
Maman montre du doigt l'une des maisons.
« Quelle drôle de couleur pour une maison, dit-elle.
-Oui, ça fait un drôle d'effet », dit papa.
Et moi, de la banquette arrière, je demande : « Vous êtes en train de vous foutre de moi, ou quoi ? »
Maman et papa se retournent, étonnés.
« Cette maison est de la même couleur que ma veste », dis-je, en guise d'explication.
Papa et maman se regardent.
C'est le silence. »


Gudmundsson décrit ce basculement progressif avec la qualité de plume du minimalisme. Pourquoi essayer d'expliquer ou d'analyser ce qui échappe à toute démarche rationnelle ? Pall s'échappe à lui-même. Il remarque des changements et les inscrit sur une liste de comptabilité où les chiffres sont remplacés par les symptômes de modifications cérébrales imprévisibles. Pall capte des signaux qui lui étaient invisibles jusqu'alors et qui échappent aussi au commun des mortels. Peu à peu, Pall s'extrait de la gangue saine. La métamorphose va de soi et à ce point-là, la question est la suivante : pourquoi les autres ne semblent-ils plus ou peu évoluer, passé un certain âge ?


« A présent, les signaux envoyés par les voisins m'atteignent.
Ils se servent d'un code et de tables d'écoute que mon frère Halli les a aidés à introduire dans la maison. »


Ces signaux finissent par conduire Pall jusqu'à Dieu -l'hallucination suprême.


« Et puis, Dieu est arrivé.
Il m'a dit que j'étais le dernier homme sur la terre, qu'il fallait que je commence à construire et à transformer ma chambre en arche. »


Pall bénéficie alors du privilège de rejoindre le club des aliénés de Kleppur en compagnie de quelques bons camarades (Oli, Pétur et Viktor) et d'un personnel soignant représenté aussi bien par le souci du maintien des dogmes que par une relâche typiquement antipsychiatrique. Comme lorsque David Cooper relate ses expériences dans le Pavillon 21, on finit par douter des caractéristiques qui séparent les sains d'esprits des aliénés… d'ailleurs, la lecture passe et l'envie croît de faire de ces aliénés des illuminés touchés par une grâce exceptionnelle. Certes, il leur est devenu impossible de mener une existence conventionnelle et polyvalente car ils sont cernés par une obsession unique. Voici la situation schématique :


« Óli est en communication télépathique avec les Beatles ; Pétur attend de la Chine son titre de docteur, et moi, je suis en relation avec divers grands maîtres du passé notamment Vincent van Gogh et Paul Gauguin, tandis que Viktor, qui ne pense pas grand-chose des Beatles, disserte avec éloquence de la tragédie grecque et des sonnets de Shakespeare. Il est en outre le pharmacologue de notre groupe et sait tout d'Adolf Hitler, qu'il lui arrive d'incarner quelque fois. »


Peu importe tout le reste. L'obsession, canalisée et orientée dans le sens noble, fait l'effet d'une transe délicieuse. Elle prend cependant à chaque fois le risque de finir en mauvais trip, et c'est peut-être pour cela qu'on enferme les génies particuliers de Kleppur. Génies, oui, au même titre que ces philosophes et poètes déstabilisants qui n'ont jamais cessé de rénover notre vision du monde en permettant à leurs esprits de déborder.


« Ce serait bien de pouvoir dire, comme le philosophe allemand Hegel, à qui l'on objectait que ses théories ne correspondaient pas à la réalité : « La pauvre, c'est bien elle qui est à plaindre ! »
Les poètes peuvent écrire des choses comme ça.
Les philosophes peuvent dire des choses comme ça.
Mais nous, qui avons été mis à l'asile, internés dans des institutions, nous ne savons quoi dire quand nos idées ne correspondent pas à la réalité, car dans notre univers, ce sont les autres qui ont raison et qui savent faire la différence entre le vrai et le faux. »


Mais Pall n'est pas dupe. Même s'il est rassurant de se prétendre génie incompris, même si l'obsession provoque certainement des joies à une constance et à une puissance difficilement égalables pour l'homme équilibré, la réalité est plus nuancée. Pall et ses compagnons d'asile souffrent et sitôt qu'on leur retire une parcelle de leur obsession, ils paniquent et se débattent comme des poissons capturés hors de l'eau. La réalité est pauvre en oxygène.Les anges de l'univers ne propose pas de solution stricte : ni la liberté ni la surveillance absolues, ni l'encouragement ni l'humiliation, mais bien un encadrement instinctif qui permettrait d'établir un bon équilibre entre le droit au rêve et le principe de réalité. Ce livre en est lui-même une excellente représentation : terne et quotidien dans les événements qu'il représente, il parvient cependant à nous transporter dans l'infinité des univers cérébraux qui sont ceux de ces anges, et à nous rassurer quant à la légitimité de nos propres univers. Les anges de l'univers nous apprendront peut-être à nous montrer plus tendres envers nos passions les moins légitimes.

Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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Où se trouvent ces "anges de l'univers" ?
À l'hôpital psychiatrique de Kleppur, présenté comme un endroit où s'exerçait un supplice mental et spirituel pour ses patients.
Des recherches sur le net (forumpsy ) donne une version qui me laisse songeuse (*).
Mais ce livre ne se veut pas comme une déclaration de guerre contre l'establishment psychiatrique islandais.
Ce n'est pas un fait divers rapporté par une presse à scandale quelconque.
C'est une vision de l'intérieur, une tentative de laisser des malades mentaux nous parler de leurs histoires, ce qu'ils ressentent, comment ils vivent au milieu de notre monde.
Ce livre est une grande réussite car il nous fait comprendre comment sont vécus les traitements supportés par les patients, en nous faisant ressentir la douleur que nous leur faisons subir.
Ces anges de l'univers vivent dans un enfer quotidien et les portes d'entrée dans leur monde sont très étroites et nous laissent impuissants face à leur douleur et à leur mal-être.

(*)Brève histoire de la psychiatrie en Islande :
La psychiatrie hospitalière a commencé en Islande avec la construction de l'hôpital de Kleppur, près de la capitale Rejkavik , en 1907, soit environ 150 ans après les autres pays occidentaux et leurs premiers « asiles ». Avant les asiles, il n'y avait pas de « traitement médical » des personnes en souffrance mentale, en Islande comme ailleurs. Dans la plupart des lieux occidentaux de l'époque pré-asilaire, les « maisons de force » ont précédé les asiles.
L'évolution de l'asile (« lieu d'accueil charitable ») vers la psychiatrie (étymologiquement, « soin du psychisme »), n'a pas été la même en Islande que dans le reste de l'occident. Deux médecins eurent une influence considérable en Islande, aboutissant à une pratique très différente de celle du reste du monde occidental - y compris les autres pays nordiques souvent cités en exemple.
Les pratiques inspirées par Helgi Tómasson et imposées dans le principal hôpital, sont à l'origine de l'abolition officielle de la contention en psychiatrie, dès la fin des années 50, en Islande. Il a également banni la lobotomie et les électrochocs, qui n'ont également jamais été pratiqués.
En Islande, les médecins et infirmiers ne font jamais usage de la force, ils n'en ont pas le droit. Les islandais étant des hommes et des femmes comme les autres, il arrive, comme partout, qu'une personne en crise soit très violente. Les infirmiers sont organisés pour appeler des renforts, et en cas de besoin (personne armée, etc.) les médecins font appel aux renforts policiers qui, seuls, sont autorisés à faire l'usage de la contrainte, en tenant la personne pendant une intervention de courte durée.
« Sur le fait d'appeler des officiers de police dans les lieux de soin « pour aider les soignants à contenir un patient », il faut souligner que ceci arrive une fois ou deux par an en moyenne. A titre de comparaison, l'accueil des urgences de l'Hôpital Landspitali est surveillé par un officier de police chaque soir et les weekends.
Il faut aussi noter que l'Islande est un pays sans armée, et la police n'y est pas armée. L'opinion de la population et sa confiance dans la police est à plus de 80% positive, encore plus que dans les services d'urgences médicales.  La contention mécanique est catégoriquement non utilisée dans les établissements psychiatriques, et ceci repose sur des équipes soignantes spécialement formées à l'apaisement et la désescalade des situations. Si les méthodes « contrôle et maîtrise » ne suffisent pas, ou si il se trouve qu'un patient est armé, il n'y a que deux options : faire venir d'autres  infirmiers ou appeler la police, mieux entraînés à traiter avec la violence autant qu'à désarmer une personne.
Une volonté claire d'offrir aux patients et aux soignants la même sécurité que le reste de la population qui face à la violence doit appeler la police face à une situation qui devient incontrôlable. »
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A travers un labyrinthe de souvenirs , d'amis , de voisins de chambre, le narrateur Palli nous emmène de son enfance à Reykjavik jusqu'au Kleppspitali (l'hôpital psychiatrique de la capitale islandaise) où il séjourne définitivement.
Un court mais intense roman dans lequel se succèdent anecdotes burlesques et incidents poignants.

Petite remarque sur la quatrième de couverture et la référence de l'éditeur au New York Times. Ce journal a présenté le roman comme une Conjuration des imbéciles islandaise : ayant lu les deux, je peux dire qu'il s'agit là d'une fake-news même si les deux sont à lire !
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