Objets inanimés, avez-vous donc une âme? La première édition de
la Rébellion de
Joseph Roth en possède une, comme tous les ouvrages. « Nous autres, -les livres, avons tendance à nous tenir à l'écart des situations vécues. Nous parlons entre nous la nuit dans les bibliothèques. On s'imagine souvent que les bibliothèques publiques sont des lieux calmes. Vous devriez entendre le brouhaha, les débats, le simple volume d'opinions échangées d'une étagère à l'autre jusqu'à l'aurore. Tout le monde parle en même temps. C'est comme un immense pugilat d'idées. »
Cet exemplaire écorné, rescapé par miracle des autodafés nous livre son histoire depuis le sac de sa propriétaire, Lena Knacht, une artiste américaine de père allemand. Hérité du grand-père, jadis élève de David Gluckstein, un professeur d'université juif qui voulut lui épargner les buchers de 1933 en le lui confiant, le livre raconte Roth, raconte l'Allemagne de la grande Guerre, de la République de Weimar, de la montée du nazisme, il dit le destin de ceux qui le lirent ou le possédèrent. Il contient sur l'une de ses pages un mystérieux croquis esquissé par Gluckstein qui doit livrer son secret. Et il est enfin de retour
à Berlin, sa ville natale, là où tout a commencé.
Personnifier un livre, exercice périlleux s'il en est, est parfaitement maîtrisé par
Hugo Hamilton, romancier germano-irlandais (les traductions de Roth dans la version anglaise sont les siennes), qui a déjà raconté son double héritage linguistique et culturel dans
Sang impur et
le Marin de Dublin.
Les Pages, c'est le pouvoir des mots, des idées, de l'écho qu'elle trouvent dans la population.
Les Pages, c'est le destin de Roth, et celui de son épouse, Frieda, qui fut l'une des victimes du programme d'euthanasie des Nazis en 1940.
Les Pages, c'est la montée des nationalismes, et des tragédies qui se répètent, avec les personnages de deux tchétchènes, Amin et sa soeur Madina. C'est un dénouement inattendu qui en fait une Fable ingénieuse et étrange sur le pouvoir de l'Art et le passé dont on ne parvient jamais à tirer des leçons de vie.
Je remercie Babelio et les
Editions Phébus pour l'envoi de ce roman reçu dans le cadre d'une Opération Masse Critique.