Le voyeur
Le voyeur a trente-quatre ou soixante-douze ans, il est vêtu
misérablement ou avec recherche, mais, toujours, son attitude
provoque la méfiance ; il ressemble à un homme égaré en plein
midi au milieu de la ville. Malgré son nom, les divertissements
érotiques d’autrui ne l’ont jamais attiré outre mesure : il recherche
de plus déroutants spectacles.
Vous l’apercevrez comme frappé de stupeur devant une porte
cochère, un arbre, un immeuble en démolition. Planté devant la fenêtre
entrouverte d’un rez-de-chaussée, il paraît suivre avec une extrême
attention la scène qui se déroule à l’intérieur — et, lorsque vous vous
approchez, vous constatez que le logement est vide.
Certains affirment qu’il voit, d’où son nom, d’autres qu’il imagine
seulement. Il est possible que le Voyeur ait surpris une fois au moins
une faille dans les façades qui bouchent les regards, sinon on
s’expliquerait mal son obstination (à part sa manie, il se comporte,
dans l’existence, en homme sain d’esprit). Il croit à un complot
permanent des apparences que, seule, la fatigue trahit parfois. Et
c’est ce moment de faiblesse qu’il espionne avec une inlassable
patience, trappeur des grandes cités opaques.
Tel se présente le Voyeur souvent pris pour un homme ivre ou un
pornographe.
Faubourgs et villes
Il existait un point précis et unique (sur le mirador d'une guin-
guette) d'où la seconde ville apparaissait, comme à travers une
« grille », parmi l'enchevêtrement des rues que vous parcouriez
chaque jour. Elle naissait sous vos yeux, telle l'image qui se déta-
che d'une goutte d'eau écrasée. On distinguait des jardins, des
avenues, des canaux, des monuments inconnus si subtilement dis-
tribués à travers la ville publique qu'on ne pouvait les soupçonner
d'en-bas.
Le propriétaire de la guinguette ne louait même pas le droit de
regard, il vous donnait votre chance pour rien. Mais l'angle favo-
rable, sur le mirador, était bien difficile à saisir et un écart minime
abolissait la cité clandestine qui se rétractait instantanément.
Il n'est pas interdit de voir là une explication aux propos de
certains noctambules affirmant s'être égarés dans un pays étranger,
à quelques pas de chez eux.
Clair de lune
Le mitron somnambule, entrevu par un soupirail, vanne un peu de farine et le Grand Gardénal
surprend en flagrant délit trois plâtriers qui n’en mènent pas large.
Ce tapis de lessive - tu n’as qu’à le suivre - te conduira bien vers les forêts d’écrevisses ou le moulin pétrifié. Tout devient cassant comme aiguilles de verre. Il faut de la patience, de la ruse et des pas légers.
Quelques criquets briquets s’allument dans les foins. Voici l’heure des gendarmes à bicornes et des
voleuses en dentelles - elles dorment encore contre la grosse jument pie sous la faux suspendue, violettes vertes.
Chalands nonchalants, quelqu’un parle au fond des écluses, dans le bois qui joue. Ne bouge plus le pavillon de chasse vient à ta rencontre.
Une belette rôde.
Et dire qu’elles dorment encore, Lune - et l’autre
Bal Chez Temporel (Andre Hardellet - Guy Beart)