AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Jean-Jacques Tschudin (Traducteur)
EAN : 9791030415919
48 pages
Allia (03/06/2021)
3.7/5   37 notes
Résumé :
"Ce que je voulais de ma pauvre sœur de misère, c’était lui demander quelles brutalités, quels actes vulgaires et honteux avaient commis sur elle les hommes montés jusqu’à ce jour dans cette pièce. Je voulais ensuite dénoncer l’horreur de leurs compor­tements et, faisant ainsi étalage de ma nature vertueuse, me glorifier à ses yeux. D’une petite voix, elle finit par me répondre :
– T’as envie d’savoir des tas d’choses sur moi, hein ? En ce moment,... >Voir plus
Que lire après La prostituéeVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
3,7

sur 37 notes
5
4 avis
4
5 avis
3
0 avis
2
0 avis
1
1 avis
Ayant été très marquée par le « bateau-usine » de Takishi Tobayashi, j'avais envie de lire un autre livre issu du courant prolétarien japonais, courant qui du début des années vingt jusqu'au milieu de la décennie suivante, joua un rôle prépondérant sur la scène littéraire japonaise.
C'est ainsi que naturellement je me suis mise à lire cette nouvelle « La Prostituée » de Yoshiki Hayama. Écrite en prison au cours de l'été 1923, elle représente avec une poignée d'autres nouvelles et « Ceux qui vivent sur la mer », son grand roman, la partie la plus représentative de l'oeuvre de l'auteur, celle pour laquelle il est encore connu et estimé.

Comme pour « la bateau-usine », ce très court texte m'a glacée. On y retrouve des descriptions d'un réalisme puissant, et une logique implacable pour dénoncer le capitalisme et l'exploitation humaine. La Prostituée ici est le symbole de la destinée de toutes les classes exploitées. En effet, explique l'auteur, à force d'être exploitées, ces classes sont affaiblies, tombent malades, ne peuvent plus travailler et sont ainsi contraintes de vendre leurs corps comme ultime geste de survie.

« Mais qu'est-ce que tu veux qu'on y fasse ? Y a pas qu'elle qu'est malade. On est tous malades. On a tous été pressurés jusqu'au trognon. On s'est tous crevés au boulot. On a tous bossé pour arriver à bouffer, mais ça a pas fait long avant qu'on s'retrouve complètement détruits, vidés par le travail. Elle, elle est tubarde et, en plus, elle a un cancer de l'utérus. Moi, comme tu vois, j'ai la silicose ».

Un soir, trois hommes forcent le narrateur, un jeune marin, à leur céder son argent. En échange, ils le conduisent jusqu'à une femme agonisante, qu'ils semblent détenir contre sa volonté : “un cadavre qui respire” dont ils lui offrent de faire ce qu'il voudra…Cette nouvelle fait le choix du suspense et du tragique pour nous tenir en haleine et pouvoir mieux dénoncer. le sordide est également un ingrédient de choix, crasse et puanteur permettant de happer le lecteur, de le tenir comme prisonnier d'un texte hypnotique.

« Son corps avait fondu comme une bougie renversée sur une plaque de fer chauffée. Sa chevelure noire, qui, vu son âge, aurait dû être encore très fournie, était durcie par les saletés et le sang et faisait penser à un balai de palmes jeté aux ordures dont son corps, complètement décharné, aurait figuré le manche ».

Glaçant aussi la façon de considérer la femme, objet sexuel avant tout, le marin dont nous suivons les pensées, tiraillé mais excité, fera un effort considérable pour avoir un début de considération pour cette pauvre femme à l'article de la mort, voire pour envisager de la sauver :
« du moment qu'elle était femme, il était évidemment concevable qu'elle m'excitât, mais tout de même pas dans une telle situation ! Il ne lui restait plus que la peau et les os et, de plus, elle était sur le point de rendre son dernier souffle ».

Sans avoir l'ambition et l'intensité du bateau-usine , ce livre est un upercut qui nous permet une nouvelle fois d'aborder les conditions de vie des ouvriers et leur exploitation, dans un réalisme qui rend la lecture inoubliable. Saluons la traduction de Jean-Jacques Tschudin qui a réussi à rendre vivant le parlé franc des protagonistes.






Commenter  J’apprécie          9322
C'est aussi court (moins de 50 pages) que percutant. J'avais déjà lu « Le bateau-usine » de Kobayashi et « Le quartier sans soleil » de Tokunaga, sans oublier « Haut le coeur » de Takami. Mais il y en sûrement beaucoup d'autres. La littérature japonaise « prolétarienne » qui dénonce la misère sociale existe. C'est une nouvelle très bien écrite, très bien traduite qui nous permet d'aborder la grande misère qui transforme l'humain en chose ignoble servant uniquement à faire du profit. Encore une fois c'est a un écrivain qui a fait de la prison que l'on doit ce récit. le Japon aussi a eu et a certainement encore sa misère. Comme partout. Je ne me souviens plus du pourcentage de la population mondiale qui vit sous le seuil de pauvreté – 1 ou 2 dollars par jour - mais c'est impressionnant. Et ça me ramène inexorablement au sens de la vie. Les très riches, les très pauvres, les différentes classes moyennes…
Un livre que je vous incite à lire au plus vite.
Commenter  J’apprécie          413
Hayama Yoshiki (1894-1945) est un des représentants majeurs du courant prolétarien japonais (1920-1930). Fils de bonne famille, il plaque ses études à dix-huit ans pour travailler sur un cargo. Plus tard, il travaillera dans une cimenterie. Il se servira de ses expériences pour bâtir ses récits. En 1921, il rejoint le mouvement syndical ce qui lui vaudra des séjours en prison. C'est lors d'un de ces séjours qu'il écrit en 1923 La Prostituée publiée dans la revue Bungeinsensen (Le Front des arts littéraires) en 1925.
La nouvelle est percutante comme un coup de poing. C'est aussi une nouvelle réaliste complexe et remarquablement construite. le narrateur fictif se demande d'abord s'il sera cru tant les faits qu'il va raconter sont à la limite du concevable et puis il hésite lui-même concernant la date exacte, ce qui pousse le lecteur à lui faire confiance. Été 1912. Il était alors matelot. Il paradait en salopette avec quelques verres en trop au milieu des bourgeois sur une belle promenade. Fier de lui, insolent, provocateur mais trop timide pour aborder les femmes. Et là, un homme qui a une tête de limace se plante devant lui et d'une voix geignarde lui chuchote :
-Hé, jeunot ! Tu veux t'mirer une chatte ?
Avant qu'il n'ait eu le temps de réagir, deux autres types l'alpaguent, le détroussent en lui laissant cependant dix sen pour le tram. Ils le conduisent dans les bas-fonds pestilentiels jusqu'à une chambre sordide où est exposée une femme nue gravement malade.
Il est horrifié et fasciné. Sa conscience de classe est mise à mal par son désir sexuel. Et puis la femme comprend très vite à qui elle a à faire. Un jeunot, un p'tit gars paradant en salopette qui n'a pas encore compris la réalité de l'exploitation des plus misérables.

Lu dans l'excellente anthologie @Les Noix, La Mouche, le Citron.
Commenter  J’apprécie          373
En 1923, Yoshiki Hayama écrivait La Prostituée de sa prison de Nagoya. Militant syndical et de la cause ouvrière, il fut en effet victime de la répression des autorités nationalistes japonaises contre les idées communistes. Avant d'écrire, l'auteur avait déjà pas mal bourlingué dans des boulots difficiles et d'exploité, notamment sur des cargos. Ses écrits vont ainsi s'inscrire dans le courant de la littérature prolétarienne qui eu cours au Japon dans l'entre-deux guerres mondiales, dont le représentant le plus emblématique est Takiji Kobayashi et son célèbre "Le bateau-usine" (1929).

Il s'agit là d'une bonne nouvelle pour découvrir la traduction de cette période trouble du Japon, et cet univers, qui est toutefois rebutant. Car ici, on est aux antipodes du feel good et des petits raffinements qui font le Japon cliché d'Ito Ogawa par exemple ! le lecteur est plongé dans le royaume sombre de la misère, de la crasse et de la puanteur, de la maladie et du désespoir.

L'histoire est toute simple. C'est le récit d'un homme qui se remémore une aventure de jeunesse, quand il était jeune matelot, "encore vaurien et paumé" comme il se définit lui-même. Arpentant les quais dans son unique vêtement, sa salopette, trois hommes l'abordent et lui prennent son argent. Il se croit racketté, mais on le conduit bientôt dans un hangar délabré pour qu'il en profite autant qu'il veut. Mais de quoi ??? S'avançant dans ce lieu à chaque pas plus écoeurant, il découvre gisante ce qui ressemble encore plus ou moins à une femme, étendue nue à même le sol. Il la croit morte, elle respire, ils échangeront quelques mots...

L'intérêt de l'histoire, dont le premier chapitre nous immerge dans le parler des bas-fonds, est de nous faire sentir le combat intérieur de cette homme, luttant entre son désir sexuel instinctif, et l'apitoiement, l'envie de sauver cette femme, de faire preuve d'humanité, voire d'humanitarisme, avec l'arrière-pensée de se prendre pour un héros. Mais ce qui au départ semble une histoire de proxénétisme et de traite humaine est plus complexe, quand la victime n'a d'autre moyen de subsistance et que les exploiteurs ont eux-mêmes du mal à manger à leur faim...

Un récit rondement mené, à l'atmosphère très sombre, qui même si elle n'a pas l'ambition du bateau-usine et son intensité, nous fait réfléchir sur la terrible condition sociale d'un monde ouvrier impitoyablement exploité et éruptif à cette époque, et plus encore dans cette partie du monde.



Commenter  J’apprécie          292
C'est une jolie paire de claques que j'ai prise à la lecture de cette percutante nouvelle de près d'un siècle.

La première claque, c'est de découvrir que dans les années 20 la grande utopie du siècle avait percolé jusque dans la littérature japonaise, à travers notamment cet auteur qui a fait de la prison pour ses idées.

C'est d'ailleurs en prison qu'il a rédigé cette édifiante histoire, édifiante au sens où la littérature communiste savait exacerber à profit l'évocation de la misère humaine provoquée par les excès du capitalisme, et dont le contenu particulièrement brutal m'a asséné la deuxième claque : outre un ton populaire et argotique que je ne m'attendais pas à trouver sous une plume nippone, la déchéance sordide dans laquelle est évoquée ladite prostituée et l'absence totale de lumière sur son destin m'a collé un coup au ventre que je ne suis pas près d'oublier.

Droit au but, d'une construction remarquable, cette nouvelle es d'une efficacité redoutable. Encore une petite pépite dénichée par les éditions Allia.
Commenter  J’apprécie          110

Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Qu'est-ce que t'en penses? Ça t'etonne pas qu'on soit pas encore morts ? Tu dois t'dire qu'ça vaut pas la peine d'vivre comme ça, comme des larves au fond d'un trou? Et t'as raison, ça vaut pas le coup mais alors vraiment pas! Pourtant, tant qu'on vit, on peut pas être sûr qu'ça servira pas un jour à quelque chose. Une fois, il y aura bien un moment où... C'est cette lueur d'espoir qui nous permet d'nous accrocher à la vie.
Commenter  J’apprécie          100
Autour de ses épaules, tout était souillé de taches de sang noirci et des saletés qu'elle avait dû vomir quand elle pouvait encore avaler quelque chose. (...)
Une mauvaise odeur aigre émanait de sa tête et son corps dégageait cette puanteur propre aux cancéreux. C'en était au point qu'on pouvait se demander comment des poumons humains étaient capables de supporter un air aussi vicié.
Commenter  J’apprécie          70
-Eh oui! Mais qu’est-ce que tu veux qu’on y fasse? Y’a pas qu’elle qu’est malade. On est tous malade. On a tous été pressurés jusqu’au trognon. On s’est tous crevé au boulot. On a tous bossé pour arriver à bouffer, mais ça a pas fait long avant qu’on s’retrouve complètement détruits, vidés par le travail. Elle, elle est tubarde et, en plus, elle a un cancer de l’utérus. Moi, tu vois, j’ai la silicose. 
Commenter  J’apprécie          30
Ce n'est pas que je cherche à me justifier, mais je constate que, curieusement, sur cette terre, il y a infiniment plus de choses singulières que la plume se refuse à transcrire qu'il n'y en a dont elle accepte de rendre compte.
Commenter  J’apprécie          40
(...) elle a dû pour se remplir la panse s'arracher les bras, le sexe, et même les nerfs. Comme tous les prolétaires, sans exception, elle a dû se détruire pour rester en vie, car il n'y avait pas moyen de faire autrement.
Commenter  J’apprécie          30

Video de Yoshiki Hayama (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Yoshiki Hayama
Payot - Marque Page - Yoshiki Hayama - La Prostituée
autres livres classés : nouvellesVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus

Lecteurs (89) Voir plus



Quiz Voir plus

Les mangas adaptés en anime

"Attrapez-les tous", il s'agit du slogan de :

Bleach
Pokemon
One piece

10 questions
889 lecteurs ont répondu
Thèmes : manga , littérature japonaiseCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..