Ayant été très marquée par le « bateau-usine » de Takishi Tobayashi, j'avais envie de lire un autre livre issu du courant prolétarien japonais, courant qui du début des années vingt jusqu'au milieu de la décennie suivante, joua un rôle prépondérant sur la scène littéraire japonaise.
C'est ainsi que naturellement je me suis mise à lire cette nouvelle «
La Prostituée » de
Yoshiki Hayama. Écrite en prison au cours de l'été 1923, elle représente avec une poignée d'autres nouvelles et « Ceux qui vivent sur la mer », son grand roman, la partie la plus représentative de l'oeuvre de l'auteur, celle pour laquelle il est encore connu et estimé.
Comme pour « la bateau-usine », ce très court texte m'a glacée. On y retrouve des descriptions d'un réalisme puissant, et une logique implacable pour dénoncer le capitalisme et l'exploitation humaine.
La Prostituée ici est le symbole de la destinée de toutes les classes exploitées. En effet, explique l'auteur, à force d'être exploitées, ces classes sont affaiblies, tombent malades, ne peuvent plus travailler et sont ainsi contraintes de vendre leurs corps comme ultime geste de survie.
« Mais qu'est-ce que tu veux qu'on y fasse ? Y a pas qu'elle qu'est malade. On est tous malades. On a tous été pressurés jusqu'au trognon. On s'est tous crevés au boulot. On a tous bossé pour arriver à bouffer, mais ça a pas fait long avant qu'on s'retrouve complètement détruits, vidés par le travail. Elle, elle est tubarde et, en plus, elle a un cancer de l'utérus. Moi, comme tu vois, j'ai la silicose ».
Un soir, trois hommes forcent le narrateur, un jeune marin, à leur céder son argent. En échange, ils le conduisent jusqu'à une femme agonisante, qu'ils semblent détenir contre sa volonté : “un cadavre qui respire” dont ils lui offrent de faire ce qu'il voudra…Cette nouvelle fait le choix du suspense et du tragique pour nous tenir en haleine et pouvoir mieux dénoncer. le sordide est également un ingrédient de choix, crasse et puanteur permettant de happer le lecteur, de le tenir comme prisonnier d'un texte hypnotique.
« Son corps avait fondu comme une bougie renversée sur une plaque de fer chauffée. Sa chevelure noire, qui, vu son âge, aurait dû être encore très fournie, était durcie par les saletés et le sang et faisait penser à un balai de palmes jeté aux ordures dont son corps, complètement décharné, aurait figuré le manche ».
Glaçant aussi la façon de considérer la femme, objet sexuel avant tout, le marin dont nous suivons les pensées, tiraillé mais excité, fera un effort considérable pour avoir un début de considération pour cette pauvre femme à l'article de la mort, voire pour envisager de la sauver :
« du moment qu'elle était femme, il était évidemment concevable qu'elle m'excitât, mais tout de même pas dans une telle situation ! Il ne lui restait plus que la peau et les os et, de plus, elle était sur le point de rendre son dernier souffle ».
Sans avoir l'ambition et l'intensité du bateau-usine , ce livre est un upercut qui nous permet une nouvelle fois d'aborder les conditions de vie des ouvriers et leur exploitation, dans un réalisme qui rend la lecture inoubliable. Saluons la traduction de
Jean-Jacques Tschudin qui a réussi à rendre vivant le parlé franc des protagonistes.