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Homa Katouzian (Autre)Sébastien Jallaud (Traducteur)
EAN : 9782251455297
512 pages
Les Belles Lettres (01/03/2024)
4.05/5   117 notes
Résumé :
Petit-fils du célèbre poète et critique Reza Qouli Khan, Hedayat Sadegh naquit à Téhéran le 17 février 1903. Il n’y a que peu à dire de sa vie extérieure. Son indépendance intellectuelle, sa modestie, sa pureté d’âme lui ont fait choisir en effet l’existence effacée et les souffrances d’un être d’élite qui se refuse aux compromis. Sa grande douceur de cœur, un esprit toujours prompt à saisir le ridicule des choses, son indulgence aussi pour ceux qu’il aimait, temp... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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Lautréamont l'a dit, il n'est pas bon que certains livres soient lus par tout le monde. Cette Chouette aveugle fait partie des fruits amers pour gourmets avertis. Car elle procède de la vision d'un esprit malade, qui s'est rendu étranger à la vie, en se laissant porter par des rêveries morbides imprégnées d'opium. Dans cette fiction pas si éloignée de son existence tourmentée (qui le ballota entre la France et son Iran natal, en passant par l'Inde), Sadegh Hedayat, observe la mort avec une douleur mêlée d'admiration, comme en attente de découvrir ce nouvel horizon.

De fait, le roman possède une tonalité doloriste, qui ressort bien dans cet extrait où le narrateur tente de renouer les fils de sa vie : « Fils composant ma destinée sombre, triste, terrible et délicieuse — lieux où la vie se mêle à la mort et où naissent des images déformées, lieux où d'antiques refoulements, des désirs confus, réprimés, ressuscitent en criant vengeance. »

La souffrance du narrateur l'isole d'un monde mauvais, rempli de « canaille », et elle devient donc en cela une vertu à ses yeux. L'avatar d'Hedayat constitue un « être-pour-la-mort », qui a cessé de se faire toute illusion sur la vie et ne veut plus avancer en elle. Ainsi, il fait du surplace, il ressasse les mêmes souvenirs confus, les mêmes visions hallucinées, qui constituent les leitmotivs de ce roman.

Tout s'articule autour de deux personnages : une femme inaccessible et un vieillard au rire horrible, susceptible de personnifier la mort. le titre du roman s'établit en opposition avec les yeux de la femme, deux grands yeux captivant le narrateur et l'entraînant à sacraliser cette figure féminine :

« Je voulus parler, mais je craignis que le son de ma voix ne blessât ses oreilles, ses oreilles si délicates, habituées sans doute à quelque musique céleste, lointaine et suave. »

Ce passage est symptomatique du mal qui gangrène le narrateur et sans doute Hedayat lui-même : une crainte obsessionnelle de souiller un idéal qui n'existe que dans son esprit. Il s'abandonne à ses fantasmes tel un Des Esseintes, et rejette la réalité de la vie, en n'en conservant qu'un moignon, impropre à subsister de lui-même.

« Ma vie, pour tes yeux, lentement s'empoisonne », disait Apollinaire dans un poème intitulé « Les colchiques ». Or, les colchiques font partie des leitmotivs secondaires de la Chouette Aveugle. Par cette coïncidence qui n'en est peut-être pas une, Hedayat établit un lien avec le père spirituel du surréalisme, dont les successeurs célébreront l'écrivain persan.

Dans la seconde partie du roman, les deux figures principales, la femme et l'homme, glisseront malgré tout vers la réalité honnie d'un Iran imprécis et d'une vie misérable. Ils s'incarnent alors dans des personnages plus concrets, qui n'en restent pas moins potentiellement des fantasmes.

Les effets de répétition sont donc tempérés par des changements subtils, du moins aux yeux du lecteur. Les signifiants demeurent invariables, mais leurs signifiés se multiplient au fur et à mesure que le récit avance. Il y a là le même effet hypnotique que chez David Lynch, qui construit ses univers glauques d'une manière analogue.

Ce ressassement des figures féminines et masculines établit inévitablement une confusion oedipienne entre la mère et l'épouse. Mais aussi entre le père et le fils, qui est condamné à reproduire les fautes de son géniteur, et à se rapprocher de la mort. Ce à quoi le narrateur se résigne dans son apathie. La mort, qui est la même pour tous, entretient la confusion entre lui et les autres. Elle abolit la division entre les hommes, jusqu'à ne plus les distinguer. Les cadavres s'unissent en une étreinte ambigüe, obscurcie par l'ombre pour laquelle le narrateur dit qu'il écrit, et qui n'est plus la sienne propre. Elle grandit en une chape de ténèbres où même la chouette ne voit plus rien. Et pour cause.
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Que dire de ce livre extraordinaire ? Il est tellement riche que le fond en semble inépuisable, et les interprétations possibles quasiment illimitées.
D'abord le style, poétique et cru, avec une symbolique récurrente : la mort, omniprésente ; la chair qui pourrit, les vers ; mais aussi les rapports de l'amour et de la haine ; les capucines violettes partout répandues, le serpent naja, les maisons géométriques ; le boucher dépeceur ; les ressemblances entre les personnages qui se transforment et finissent par n'être qu'un : celui du délire du rêveur ou l'homme au bec de lièvre ? un vase ancien découvert dans le sable et orné d'un visage de femme, le même que celui qui hante le narrateur ; la folie ; les hallucinations .... et toujours ce baiser frais comme un trognon de concombre...
Prosaïquement : un opiomane suicidaire s'imagine que sa femme le trompe et sombre peu à peu dans un délire irrémissible.
Mais ce résumé est tellement parcellaire qu'il en est faux : ce conte envoûtant en recèle mille.
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Là c'est carton vide : j'ai lu, relu et aussi lu les avis des autres pour y voir plus clair. Mais c'est pas pour moi. Qqs mots pour me rappeler si on m'oblige à en parler ;-)
Trop tourmenté, ressassé, opiacé, dépravé et surtout : je n'ai apprécié ni le courant qui se veut poète ni son surréalisme. Ils imbibent tout le récit, c'est sûrement parfaitement maitrisé, mais ils m' ont lassée la cervelle avec leurs airs embrigadés si bien que mon interêt s'est éteint de lui même. Lire en état semi vaporeux une narration semi hallucinée l'exercice ne m'a pas plus. C'est comme un rêve qui se mord la queue, piétine, sans fin, oui il y a mille analogies, références et la traduction est sûrement très réductrice encore de l'oeuvre iranienne mais tout ça est beaucoup trop niché pour moi, je suis vraiment pas assez intellectuelle pour apprécier ce genre de proposition, ce libraire qui me l'a pourtant vendu comme un de ses livres préférés! Pwa, pourvu que ça ne me suive pas dans mon sommeil! Allez c'est le moment de retrouver le monde des ferrailleurs que j'aime tant ;-)
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Trad. Roger Lescot. Oeuvre datée 1936, 1ère éd. française (posthume) 1953. cette éd.-ci : 1985.

Je comprends très bien que cette oeuvre soit considérée le chef-d'oeuvre de Hedayat et qu'elle ait provoqué l'enthousiasme de grands noms de la littérature française lors de sa très belle traduction et publication. Un roman ? Personnellement je penche plutôt pour parler de deux longues nouvelles (pp. 1-77 et 78-191), dont les narrateurs à la première personne sont deux hommes différents, mais tout aussi proches l'un que l'autre de la folie, du désespoir, du crime et du suicide. Cependant, les nouvelles sont construites et reliées par une multiplicités de renvois réciproques : objets et images qui se transforment instantanément en emblèmes dont on devine la polysémie qui pourtant nous échappe : le vase antique, la bouteille de vin mélangé au venin de naja, le couteau à manche d'os, le vieillard au rire tonitruant, le goût âpre du trognon de concombre. La chute, qui n'est pas un vrai final et qui fait penser qu'elle l'ouvrage était inachevé, est abrupte et banale : elle suggère que l'un des deux récits soit un rêve du protagoniste de l'autre.
Les deux nouvelles, par contre, ont une cohérence interne et une structure magnifiques, leurs trames se déroulent sur des histoires terribles et fascinantes. En effet, les récits sont constitués, en parts comparables, de l'angoisse existentielle la plus radicale du narrateur, contée avec un réalisme obsédant, du fantastique de ses visions oniriques et de ses cauchemars, du symbolisme des objets qui l'entourent et des images culturelles qu'il convoque – relatives à la Perse et à l'Inde – qui confèrent au récit un certain goût de conte. de ces éléments se dégage un mélange d'horreur et de fascination fantasmagorique.
Mon attention a été retenue surtout par les descriptions introspectives de l'angoisse. J'ai noté aussi des pages assez radicalement anti-religieuses (dont une cit.). Mais ce choix est totalement subjectif et arbitraire.
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Chef d'oeuvre poétique, cette Chouette Aveugle nous glace le sang par les images vénéneuses, incestueuses et morbides qu'elles suscitent. le narrateur ne va pas bien, ses souvenirs se mêlent à ses cauchemars et quand il prend de l'opium pour calmer sa mélancolie, les niveaux narratifs se troublent encore davantage.
Si le roman est ancré dans une Perse sans âge, il nous parle sans difficulté par son universalité et la puissance des images qu'il parvient à créer.
Longtemps après, nous restent des images de vieillard ricanant, de maisons aux toits pointus et aux petites lucarnes éclairées, de rivières bordées de cyprès et de violettes. Et toutes ces images gardent les mystères qu'elles recèlent, pour ne les distiller que la nuit venue... dans nos rêves.
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Citations et extraits (55) Voir plus Ajouter une citation
À voir ces yeux qui s'étaient clos, je sentis pour la première fois de ma vie naître en moi une tranquillité soudaine. L'abcès qui me rongeait, l'incube qui fouillait ma chair de ses griffes de fer, s'était calmé.
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Son silence tenait pour moi de la vie éternelle, car on ne parle pas dans l’éternité.
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Sa bouche était âcre et amère, comme un trognon de concombre.
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Je n’ai qu’une crainte, mourir demain, avant de m’être connu moi-même. En effet, la pratique de la vie m’a révélé le gouffre abyssal qui me sépare des autres : j’ai compris que je dois, autant que possible, me taire et garder pour moi ce que je pense. Si, maintenant, je me suis décidé à écrire, c’est uniquement pour me faire connaître de mon ombre –mon ombre qui se penche sur le mur, et qui semble dévorer les lignes que je trace. C’est pour elle que je veux tenter cette expérience, pour voir si nous pouvons mieux nous connaître l’un l’autre.
[…]
Je n’écris que pour mon ombre projetée par la lampe sur le mur; il faut que je me fasse connaître d’elle.

(p.25-26)
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En de telles conjonctures, chacun cherche refuge dans une habitude solidement enracinée, une manie: le buveur boit, l’écrivain écrit, le sculpteur sculpte, bref, chacun a recours, pour mettre fin à son tourment, au mobile le plus puissant de sa vie, et c’est alors qu’un véritable artiste peut tirer de lui-même des chefs-d’œuvre. Mais moi, moi qui n’avais aucun talent, moi, misérable décorateur de cuirs d’écritoires, que pouvais-je faire?

(p.50-51)
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Video de Sadegh Hedayat (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Sadegh Hedayat
Cécile Ladjali est enseignante et écrivaine, deux métiers qui se nourrissent l'un l'autre. Dans son travail, par les mots et le langage, elle questionne la notion de transmission, celle des origines, des identités et de la création
Dans cette rencontre virtuelle, autour du dernier roman de Cécile Ladjali, "La Fille de personne" publié aux éditions Actes Sud, on parle de Luce Notte, Kafka et Hedayat et du pouvoir extrêmement puissant, voire inégalable, de la littérature...
Pour retrouver son livre, c'est ici : https://www.librairiedialogues.fr/livre/16461672-la-fille-de-personne-cecile-ladjali-actes-sud
Et pour nous suivre, c'est là : INSTA : https://www.instagram.com/librairiedialogues/ FACEBOOK : https://www.facebook.com/librairie.dialogues TWITTER : https://twitter.com/Dialogues
À bientôt !
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