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EAN : 9782082103091
506 pages
Flammarion (27/08/2004)
4.5/5   2 notes
Résumé :
De jean Potocki, on sait qu'il écrivit un livre appelé à devenir mythique, le Manuscrit trouvé à Saragosse, et qu'il polit son suicide comme son chef-d'oeuvre, avec une minutie qui fascina Caillois et les surréalistes. Mais, où que l'on aborde dans la vie du comte jean, c'est l'étrangeté qui surgit. Ce grand seigneur polonais, richissime, peut se piquer de politique et de patriotisme, devenir député en son pays, le goût de l'aventure le jette bientôt à la découverte... >Voir plus
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470 pages, des annexes, plus une bibliographie imposante, l'ouvrage vise indéniablement à être de référence. Et il tient ses promesses. le travail a du être colossal, car les documents sont très dispersés et il manque beaucoup de choses, Jan Potocki a vécu une époque troublée, et des traces se sont effacées, en même temps qu'un monde (ou même plusieurs) disparaissait. Et très franchement, le personnage n'est pas exceptionnel en tant que tel, c'est un aristocrate, très représentatif de sa caste, qui voyage, gère ses affaires, fonde une famille, a une activité politique, mais très franchement en tant que personnage secondaire au mieux, et plus souvent en tant que figurant, et il n'a donc pas laissé tant de traces que ça. Mais voilà, il écrit aussi, des oeuvres d'historien, des récits de voyages, des ouvrages qui relèvent de l'ethnographie, qu'il publie plus ou moins ; et presque toute sa vie, il va écrire et réécrire un roman étrange, dont ne seront publiés que des extraits pendant sa vie, mais qui découvert très longtemps après sa mort, va assurer la survie de son nom, et donnera envie de connaître sa vie et la façon dont il a écrit son oeuvre. le livre de François Rosset et Dominique Triaire est justement une entreprise de ce type.

Nos deux auteurs commencent à nous parler de la famille de Jan Potocki, et aussi du contexte historique de l'Europe en général, et de la Pologne tout particulièrement à l'époque (Jan Potocki est sensé naître en 1761, mais ce n'est pas complètement sûr). Et là il faut s'accrocher, car la situation en Pologne à cette époque est au moins complexe, et ses institutions et son histoire sont très différents de ceux du reste de l'Europe. Les deux auteurs introduisent un très grand nombre de personnes, qui seront très importantes pour la suite, mais dont l'accumulation au départ du livre fait que l'on a du mal à s'y retrouver. Les éléments sûrs concernant Jan Potocki sont très rares, donc le récit purement biographique est plutôt sec, et comprend beaucoup de conjectures, clairement posées comme telles par les auteurs, ce qui alourdit la lecture. Mais notre duo de biographes a une plume alerte et élégante, et passé le premier et surtout le deuxième chapitre, le livre devient passionnant.

Jan est issu d'une famille aristocratique, riche et plus qu'influente, en fait une des deux plus grandes familles aristocratiques, qui faisaient les rois, et qui se sentaient des liens forts avec l'Europe, en particulier avec la France. Jan est donc envoyé à sept ans étudier en Suisse, la langue dans laquelle il sera le plus à l'aise sera toute sa vie le Français et il écrira dans cette langue tout naturellement, car elle lui permettait d'être lu partout en Europe. Je ne vais pas résumer l'histoire de cette époque, car il faudrait de nombreuses pages pour cela, disons que la situation de la Pologne est dramatique, elle est à la veille de disparaître en tant qu'état, partagée entre ses trois voisins, Autriche, Prusse et Russie. Jan va vivre ces partages, avoir une activité politique dans les derniers temps du royaume de Pologne, d'autant qu'il est un ami du roi Stanisław August, mais il va très vite accepter l'état de fait et tenter de faire carrière à la cour des tsars, sans grand succès d'ailleurs, il sera complètement opposé à Napoléon qui a balayé la vieille aristocratie, dont il fait viscéralement partie.

Mais l'action n'a jamais vraiment réussie à Jan Potocki, il a toujours été un spectateur, un commentateur, et surtout un voyageur curieux et ouvert sur le monde. Comme tout aristocrate qui se respecte, il a voyagé en France, en Italie, en Allemagne, en Autriche, en Angleterre. Mais il est allé bien plus loin : Turquie, Egypte, Espagne, Maroc. Et devenue loyal sujet russe, il a exploré les régions éloignés de l'empire, le Caucase, et même la Chine dans une mission diplomatique. C'est pendant ces voyages qu'il semble le plus heureux. Il supporte sans peine de dormir sous la tente, ou à la belle étoile, la chaleur, le froid ne lui font pas peur, et il se montre extrêmement curieux de tout pendant son voyage, et tout particulièrement des gens, de leurs coutumes, langues, religion, contes. Par exemple à Constantinople

Il est difficile de savoir quel genre d'homme il était, beaucoup de lettres en particulier ont été perdues, il semble rentrer facilement en contact avec les gens, entre autres en voyage, mais en même temps il semble manifester peu d'affection même aux gens à priori les plus proches.

Il est décidément très difficile de savoir qui était vraiment Jan Potocki, et il a gardé son mystère jusque dans sa mort, en 1815. Un suicide au pistolet, il aurait utilisé comme balle une boule de théière en argent qu'il aurait polie jour après jour pour qu'elle ait la taille voulue. Et il n'a rien laissé aucun écrit pour expliquer son geste, juste à côté de lui quelques dessins fantastiques…..

L'oeuvre pour laquelle on connaît Jan Potocki, et qui est aussi la raison de cette biographie c'est le Manuscrit trouvé à Saragosse. Et les biographes y consacrent beaucoup de pages, issues de recherches dans les bibliothèques. Leurs sources leur ont permis de conclure que le roman a connu plusieurs versions successives. Il est impossible de savoir exactement quand l'auteur a commencé à rédiger cette oeuvre, mais une première version du roman est mis en forme en 1794. le récit est déjà divisé en journées, et l'ensemble est d'emblée conçu comme un ensemble complexe de cycles narratifs s'imbriquant les uns dans les autres, même si dans cette première version il n'a y pas tous les personnages et tous les éléments des versions suivantes.

La deuxième version daterait de 1804, à cette date Potocki a obtenu auprès de la censure impériale l'autorisation de publier un roman, Manuscrit trouvé à Saragosse, et il en profite pour tirer une centaine d'exemplaire des vingt premières journées, or il semblerait que 45 journées aient été achevées. Mais les biographes pensent qu'à cette date, l'auteur change sa conception du roman et décide de refondre le tout dans un autre ensemble auquel il donnera une version définitive en 61 journées.
Je cite nos biographes, qui se laissent aller à exprimer leur admiration pour cette oeuvre :

"L'histoire de l'écriture et le destin de cette oeuvre unique pourraient constituer à eux seuls la trame d'un roman peu commun. Celui-ci raconterait les aventures d'un texte composé d'unités détachables, tout à la fois autonomes et intimement liées les unes autres, dont la combinaison n'a pas cessé de varier dans l'esprit de l'auteur. Une oeuvre dont on connaît enfin les états successifs, mais dont l'élaboration pourrait très bien être poursuivie dans une infinité de configurations possibles. La mort de l'écrivain a mis un terme à ces jeux, mais un terme seulement provisoire. En effet, faute de publication définitive attestée par lui, les multiples documents-sources du roman, manuscrits et imprimés, ont fait et pourraient encore faire l'objet de nouvelles compositions d'ensembles. C'est un texte inépuisable qui pourrait incarner et exemplifier à lui seul une conception très moderne de l'oeuvre littéraire comme work in progress, comme chantier toujours ouvert et toujours accueillant pour de nouveaux bâtisseurs. [ ……]
Le héros, Alphonse van Worden, jeune Espagnol venu des Pays-Bas, raconte jour après jour les péripéties de son voyage à travers ce désert, où l'attendent des visions, des expériences et des rencontres très extraordinaires. Chacune d'elles l'amène à s'interroger sur ce qu'il perçoit, sur ce sait, sur ce qu'il croit, et à découvrir les diversités problèmatiques des hommes et du monde. Au lieu d'avancer dans l'espace pour se rendre à Madrid comme prévu, Alphonse est retenu pendant une soixantaine de jours dans cet espace qui, parce qu'il est réellement désertique, peut être artificiellement rempli de toutes choses. Ces choses, ce sont surtout des images et des paroles qui sont présentées au jeune homme de telle façon qu'il voit ce qu'il croit être la réalité de sa propre expérience se dédoubler dans une infinité de variations assumées par d'autres personnages. Il y a – pour ne citer que les protagonistes – deux jeunes musulmanes qui s'avèrent être ses cousines et lui révèlent la solidité de ses propres origines maures ; un démoniaque grotesque, véritable figure du carnaval, dont le témoignage est censé maintenir le héros dans le chemin de la vraie foi ; Rébecca et son frère Pedro, jeunes cabalistes, qui cherchent à démontrer le pouvoir illimité de leur science ; le géomètre Velasquez, l'homme de savoir, de la raison et des systèmes ; le chef d'une troupe de Bohémien qui, ayant tout vu et tout vécu, raconte sa longue vie dans un interminable récit en cascade, lui-même peuplé des personnages les plus étonnants ; le Juif errant, sorti tout droit de la légende, qui incarne dix-huit siècles d'histoire et initie ses auditeurs aux mystère de la religion égyptienne. Enfin, tout ce beau monde s'avère affilié à la grande famille maure des Gomelez, dont le grand cheikh raconte la longue histoire, finissant par révéler le secret qui explique la séquestration d'Alphonse pendant soixante jours ainsi que les liens unissant l'ensemble des personnages."

En fait pour résumer, il n'y a pas eu pendant la vie de l'auteur d'édition définitive de l'oeuvre. Ont juste été publiées deux éditions très partielles: l'édition russe des vingt premières journées de la deuxième version, et une édition de la troisième version à Paris, de façon anonyme, ce qui permettra d'ailleurs à certains auteurs français de piller le texte. En 1847 paraît une traduction polonaise de l'oeuvre, on ignore à partir de quelles sources elle fut faite, mais certains passages érotiques et portant sur la religion sont édulcorés. Enfin en 1958 grâce à Roger Caillois paraît une version française, qui fait connaître l'auteur et suscite un grand intérêt pour son oeuvre.

Par ailleurs nos deux biographes ont entrepris et mené à bien une édition du Manuscrit, parue en 2008, basée sur toute la documentation accessible, et qui comprend les deux versions de 1804 et 1810. Il semble que ce soit à l'heure actuelle vraiment la version incontournable, sinon définitive.
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Intéressante biographie de Jan Potocki, l'auteur du "Manuscrit trouvé à Saragosse". Où l'on constate à quel point l'esprit du voyageur érudit nourrit l'imaginaire de l'écrivain à travers les rencontres si diversifiées qui furent les siennes en des temps si troublés. Puisque notre fantasque aristocrate polonais traversa sans coup férir et en prise directe la révolution française, la dissolution de son pays natal, les guerres napoléoniennes. Voulut vérifier les dires d'Hérodote sur les origines du peuple Scythe. Se trouva tout aussi satisfait dans une yourte glaciale au centre de la Mongolie que dans les palais de la haute aristocratie européenne. Puis mit un terme abrupte à tout cela quand le temps lui en sembla venu, nous laissant l'un des romans les plus fascinant de l'imaginaire européen. Car bien sur, tout nous renvoie à la construction labyrinthique du "Manuscrit trouvé à Saragosse", avec ses multiples récits enchâssés les uns dans les autres, que Potocki ne cessa de recomposer durant des années, au fil de l'enrichissement et des incertitudes de sa propre expérience humaine. On ne s'étonnera donc pas que les témoignages sur sa personne soient souvent très contradictoires. Ah au fait, le portrait de couverture est attribué à Goya.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Rien ne permet de savoir si Jean Potocki se souciait de ce qui se passait dans son pays. Il semble qu'à ce moment ses facultés aient été déjà absorbées par de tout autres préoccupations. En quittant Varsovie au plus fort des travaux de la diète, il avait abandonné son rôle de député, puis avait joué les jacobins à Paris; pour l'heure, il portait l'habit qui lui convenait le mieux : celui de voyageur.
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