Le docteur Watson, au crépuscule de sa vie, entreprend de raconter l'une des enquêtes les plus dérangeantes qu'il ait vécue aux côtés de
Sherlock Holmes. Dérangeante tout d'abord pour le lecteur mais aussi pour toute la société anglaise de l'époque, donc à ne dévoiler au public que dans un siècle, lorsque les principaux protagonistes de cette sombre histoire ne seront plus de ce monde. le ton est donné, nous savons d'ores et déjà que ce nouveau récit ne sera pas de toute gaieté.
Nous suivons donc la plume de ce bon docteur Watson et nous nous retrouvons une nouvelle fois en compagnie de
Sherlock Holmes au 221B Baker Street, en 1890, lorsqu'un marchand d'art, Edmond Carstairs, vient solliciter leur aide. En effet, depuis quelques temps il est suivi par un homme qu'il identifie comme l'un des criminels qu'il a aidé à faire arrêter lors d'un voyage en Amérique et qu'il soupçonne de vouloir se venger. La nuit même, Carstairs se voit dérober une cinquantaine de livres ainsi qu'un collier. N'ayant que peu d'indices pour le moment, Holmes envoie ses Irréguliers (des orphelins travaillant ponctuellement pour lui) sur la piste du collier et du voleur, en leur intimant d'aller notamment fouiner du côté des prêteurs sur gage. Ross est le premier à revenir avec des informations sur le criminel, entraînant Holmes et Watson dans un quartier peu fréquentable. Malheureusement pour eux, le criminel est retrouvé poignardé dans sa chambre d'hôtel. L'affaire se complique encore plus lorsque, le lendemain, Ross est retrouvé mort, un ruban de soie attaché au poignet.
Pour tout vous dire, je suis ce que l'on appelle communément une holmésienne. Je n'en suis pas au point d'appliquer les méthodes de Holmes dans ma vie de tous les jours mais j'aime me perdre encore et encore dans ses aventures au point de connaître des détails dérisoires comme le nombre de marches menant au 221B ou les tableaux qui ornent les murs de l'appartement. Autant je vénère les écrits de
Conan Doyle, autant j'ai cru m'ouvrir les veines plus d'une fois face à ce que certains écrivains ont osé faire à mon détective préféré (je ne parlerai même pas de la série tv Elementary … Sauf si vous avez deux-trois jours devant vous, que je puisse bien vous expliquer pourquoi elle ne devrait même pas exister). Et pourtant je ne remercierai jamais assez
Anthony Horowitz de s'être intéressé à ce personnage ! Je ne connais pas le reste de son oeuvre, ce livre fut l'occasion pour nous deux de faire connaissance.
L'auteur nous propose une histoire qui reprend les codes classiques du canon holmesien et fait revivre avec talent nos deux héros mais aussi tout leur univers, que ce soit l'appartement, les personnages secondaires ou les taquineries de Holmes envers Lestrade. de plus, il nous dépeint Londres à l'époque victorienne avec brio, je me suis tout de suite retrouver plongée au coeur de cette période. Pas de doute, la magie est bien là comme lorsque je lis un récit de ACD.
Ne vous attendez pas à lire un roman policier comme il s'en fait aujourd'hui, plein de technologie et de gadgets électroniques en tout genre, d'analyses scientifiques et autres. Ici tout se fera « à l'ancienne » donc oui parfois les déductions de Holmes ne sont pas toujours crédibles mais ça n'a aucune importance parce que malgré tout, on y croit.
Si le début peut sembler un peu lent, sachez que c'est ainsi que procédait ACD. Nous en apprenons énormément sur le nouveau client du jour afin que, une fois le mystère résolu, nous ne puissions que nous sentir idiot de ne pas avoir vu l'évidence avant puisque nous avions toutes les informations. La touche Horowitz commence à se montrer lorsque Ross est retrouvé mort mais surtout lorsque nous apprenons qu'il a été clairement torturé (c'est une limite que n'a jamais franchi ACD, lui qui n'a d'ailleurs jamais impliqué d'enfant). le récit devient immédiatement plus sombre et plus pesant, mais surtout mon intérêt pour l'histoire a brusquement décuplé.
A force d'exploiter le moindre indice et de suivre la plus petite piste, Holmes et Watson finissent par tomber sur quelque chose de bien plus gros que tout ce qu'ils avaient pu imaginer. le cambriolage, réel point de départ de cette enquête, se voit relégué au second plan au profit d'un autre mystère : mais qu'est-ce que la Maison de Soie ? Même Mycroft Holmes, occupant pourtant une haute fonction dans le gouvernement, ne peut obtenir de réponse et se voit donner l'ordre d'abandonner là toute tentative d'en apprendre plus sur le sujet. Quel que soit le secret de cette Maison, personne ne veut en parler, ce qui ne fait qu'attiser la curiosité de
Sherlock Holmes mais aussi la nôtre. Ne tenant pas compte des avertissements, notre détective se retrouve en bien fâcheuse posture, laissant le
Docteur Watson impuissant et en plein désarroi. Dans sa quête pour venir en aide à son grand ami, Watson va même se retrouver face à Moriarty, désireux lui aussi de voir Holmes se sortir vivant du pétrin dans lequel il s'est fourré. J'ai été sincèrement surprise de retrouver Moriarty à cet instant, et surtout avec de tels desseins. Je n'irais pas jusqu'à dire que Horowitz n'a pas respecté le caractère que ACD lui avait donné, mais j'admets que le fait de le voir proposer son aide m'a gêné. On peut adhérer à cette excuse du « il est mon ennemi personnel donc s'il doit mourir ce sera uniquement par ma main » mais je n'ai pu m'empêcher d'y voir une acrobatie sans grand équilibre permettant uniquement à Horowitz de faire apparaître Moriarty, comme s'il se devait absolument de le faire.
Les indices laissés à l'attention du lecteur sont minces, mais une réflexion de Holmes, le comportement étrange d'un personnage, tout un tas de petites choses font que finalement nous comprendront le fin mot de cette histoire avant Watson, notre narrateur, et chaque nouvelle page tournée se voit accompagner d'une angoisse monstrueuse parce que même si j'avais ma petite idée sur ce qu'était cette fameuse Maison de Soie, une partie de mon esprit ne voulait pas y croire. Ce n'est rien de pire que ce que l'on peut voir dans certains films ou certaines séries, mais c'est quelque chose qui n'a jamais eu sa place dans le canon holmesien et je pense que c'est précisément ce fait qui m'a tant dérangé, parce que je ne m'y attendais vraiment pas. L'auteur reste sobre, nous épargnant les détails scabreux (ce qui est une bonne chose, en dévoiler plus aurait nuit à l'histoire et se serait définitivement détaché du style
Conan Doyle) mais le peu qu'il dit suffit largement pour nous dévoiler toute l'horreur que cache la Maison de Soie. le pire est de savoir que bon nombre de personnes politiques y sont impliquées.
Ce mystère levé, restait à éclaircir le cambriolage, celui-là même qui nous avait conduis jusqu'ici. Je me demandais comment l'auteur parviendrait à relier les deux, et surtout à nous rendre ce dénouement intéressant après la bombe qu'il venait de nous lâcher. Pari réussi pour Horowitz, la pirouette était une belle trouvaille !
La Maison de Soie est l'une des rares (si ce n'est la seule) reprise de ce personnage mythique qui ne m'ait pas déçu. L'auteur a su y disséminer des tas de références au canon que j'ai eu plaisir à retrouver. J'ai éprouvé le même plaisir à suivre les déductions de Holmes qu'avec ACD. Mais Horowitz n'a pas seulement repris les techniques de
Conan Doyle puisqu'il a quelque peu approfondi le personnage du
Docteur Watson et surtout la tangibilité de son amitié avec Holmes. L'auteur s'est aventuré plus loin dans la noirceur humaine que n'avait osé le faire ADC et a, parallèlement, humanisé un peu plus notre brillant détective sans pour autant en faire trop. Son scénario a été véritablement pensé puisqu'une fois tous les mystères levés, tout s'imbrique parfaitement sans que je ne l'ai vu venir. Je me suis même laisser surprendre par quelques touches d'humour ici et là qui m'ont fait sourire. Ce fut vraiment avec regret que je suis arrivée à la fin de ce livre, attristée de devoir déjà laisser mon duo préféré.
Un livre approuvé par les descendants d'
Arthur Conan Doyle, et on comprend pourquoi !
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