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sur 394 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Il ne faut pas négliger la puissance d'attraction du titre d'un livre. Celui-ci se serait-il appelé Presseur de papier au temps de la répression communiste, je ne l'aurais peut-être pas ouvert avant longtemps et j'aurais raté la lecture d'un texte qui, bien qu'inscrit dans un contexte politique unique, ne s'épargne aucune réflexion universelle.

Hanta, le seul personnage sur lequel se concentre Une trop bruyante solitude, travaille à la presse d'un entrepôt de vieux papiers. Tous les jours, des tonnes de livres, gravures et paperasses diverses s'abattent sur lui depuis le plafond. Hanta effectue son travail sans se bousculer, s'attirant par la même occasion les plus vifs reproches de son supérieur. Plutôt que de forcer le rythme, Hanta préfère se laisser aller au charme de la découverte des papiers qu'on l'oblige à détruire, mettant de côté les ouvrages qui lui semblent nécessaires ou les gravures et peintures qu'il juge belles. de cette façon, l'employé illettré s'est peu à peu constitué une culture propre, qui résulte à la fois du charme qui s'opère à la rencontre de certains mots ou de certaines phrases, mais aussi de la terreur sourde que suscite la vie dans une société barbare.

Dans la presse où travaille Hanta, le silence et la solitude l'amènent à se sentir comme un démiurge contradictoire, doté d'une volonté propre qu'il ne peut toutefois suivre totalement. Hanta a conscience que sa tâche l'avilit et qu'elle est contraire à ses principes, mais son statut ne lui permet pas de faire autrement que de la poursuivre. D'où un sentiment de culpabilité qui rappelle –dans le fond et dans l'expression- celui qui poursuit Kafka dans la plupart de ses textes. Ce sentiment est sans doute le moteur qui pousse Hanta à ramasser frénétiquement des tonnes de livres qu'il accumule ensuite chez lui, formant des tours et des colonnes bancales qui prennent une allure menaçante, prêtes à s'effondrer, à chaque instant, sur un Hanta épuisé et assommé par les idées. D'autres aspects de la culpabilité surgissent sous des formes différentes. La violence de la vie en société et la répression qu'elle effectue sur ses individus se traduit à travers l'évocation récurrente de la guerre que se livrent les rats dans les égouts de Podbaba. Lorsque des images d'espoir surgissent –avec les tsiganes par exemple-, elles sont aussitôt éludées derrière une réalité grise et implacable.

La deuxième partie du roman prend une tournure plus accablante lorsque Hanta découvre la presse mécanique de Bubny et ses joyeux employés en uniforme, dont les rêves de voyages et de loisirs, ainsi que les goûters de sandwiches et de lait, traduisent pour Hanta la décadence d'une civilisation uniformisée et individualiste :

« Les ouvriers déchiraient les paquets, en tiraient des livres tout neufs, arrachaient les couvertures et jetaient leurs entrailles sur le tapis ; et les livres, en tombant, s'ouvraient ça et là, mais personne ne feuilletait leurs pages. C'était du reste bien impossible, la chaîne ne souffrait pas d'arrêt comme j'aimais à en faire au-dessus de ma presse. Voilà donc le travail inhumain qu'on abattait à Bubny, cela me faisait penser à la pêche au chalut, au tri des poissons qui finissent sur les chaînes des conserveries cachées dans le ventre du bateau, et tous les poissons, tous les livres se valent… »

Les sentiments de Hanta deviennent encore plus contradictoires. On sent un déchirement intérieur face auquel il est difficile de lutter. le titre du roman se justifie encore davantage dans ce virage.

L'extrême tension de la situation vécue par Hanta ne se propage pas dans l'écriture de Hrabal. Peut-être parce qu'il frôle souvent le désespoir, Hanta ne s'apitoie jamais directement sur son sort. Il se protège en jouant avec l'absurde et la dérision et lorsque ces derniers ressorts ne sont plus possibles, il s'exprime à travers une colère sincère et effrayante. le talent de Hrabal réside dans sa capacité à glisser d'une situation politique singulière donnée –la répression communiste des années 60 en Tchécoslovaquie- aux sentiments que peuvent universellement ressentir les individus lorsqu'ils se trouvent à la croisée d'un dilemme qui leur ordonne de choisir entre leurs convictions et la virulence de préceptes extérieurs.

« Les cieux ne sont pas humains, mais il y a sans doute quelque chose de plus que ces cieux-là, la pitié et l'amour que j'ai depuis longtemps oubliés, effacés totalement de ma mémoire. »

« Les cieux ne sont pas humains et la vie, hors de moi et en moi, ne l'est pas davantage.»

« Les cieux n'étaient pas humains et moi, c'était plus que j'en pouvais supporter. »

Des phrases lancinantes qui reviennent ponctuellement dans le texte, en réponse au « progressus ad futurum, regressus ad originem » de Hanta, finissent enfin d'angoisser le lecteur en même temps que le personnage. L'impression que le progrès et le recul vont de pair devient une certitude. Hanta nous abandonne finalement dans un monde dangereux, qui oscille sans cesse entre la chute et l'équilibre…
Lien : http://colimasson.over-blog...
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LE TROP BRUYANT RIRE DE BOHUMIL HRABAL...

Une fois n'est pas coutume, la critique qui suit n'est pas, pour une assez large part, de votre humble serviteur mais tirée sans autre forme de procès d'un site canadien un peu confidentiel nommé "érudit". le nom ne doit pas effrayer. C'est plutôt "intelligent" ou "sensible" ou encore "pertinent" qu'il aurait du se nommer. Seule cette rapide introduction et quelques brefs mots de conclusion sont strictement personnels. Et parce que la chronique qui suit, oeuvre d'une grande finesse d'analyse de l'autrice et critique dramatique québécoise Josée Bilodeau, est en tout point parfaite, que ce texte "Une trop bruyante solitude" n'a de cesse de m'écraser de son génie (quelque chose au-delà de la claque : un pur coup de poing dans mes "humeurs" comme l'auraient écrit nos vieux classiques) depuis trois semaines révolues que je l'ai, enfin, découvert - encore l'un de ces ouvrages dont on sait pertinemment qu'ils vous attendent, sans bien savoir pourquoi, sans bien savoir comment, mais dont vous différez sans cesse l'approche, parce que quelque chose en eux vous fiche la trouille... Et, dans une certaine mesure, vous aviez raison d'avoir les pétoches ! -, que j'ai beau tourner et retourner mes envies d'en dire quelque chose d'un tant soit peu à la hauteur : cette fois, je me sens dépassé : il me manque encore certainement plusieurs relectures de ce bref mais dévastateur monument d'humour grinçant et de vérités cruciales pour vraiment pouvoir en exprimer quelque chose de respectueux du texte et du bonhomme Hrabal (je pense que ce genre d'attitude l'aurait infiniment fait pouffer de rire... Et il m'aurait certainement proposé de m'enfiler une pinte de bière pour faire passer cela, mais qu'importe, je n'y reviendrai pas ! Pas cette fois, en tous les cas.)
Voici donc cette chronique, dont le prétexte fut celui d'une mise en scène de l'oeuvre par un certain Téo Spychalski. Les références à cette pièce sont donc régulières mais n'enlèvent rien, au contraire, à la critique profonde et lumineuse du texte de Bohumil Hrabal :

«Téo Spychalski proposait l'automne dernier son adaptation théâtrale d'un des chefs d'oeuvre de l'écrivain tchèque Bohumil Hrabal (1914-1997), Une trop bruyante solitude (1975). le directeur artistique du Groupe de la Veillée a déclaré en entrevue vouloir depuis longtemps porter à la scène ce petit roman de quelque cent vingt pages, reconnaissant dans la confession directe de l'antihéros de Hrabal une riche matière dramaturgique.

Le personnage central de cette oeuvre tragicomique, Hanta, est un homme simple qui, depuis trente-cinq ans, pilonne livres, vieux papiers et oeuvres d'art dans une cave humide infestée de souris. « Instruit malgré [lui] », l'ouvrier veut offrir des tombeaux uniques aux livres qu'il chérit, pensant longuement quels éléments seront mis dans la presse avant de la mettre en marche. « [...] c'est une messe pour moi, un rituel de lire ces livres avant d'en placer un dans chaque paquet que je fais, car j'ai besoin, moi, d'embellir tous mes paquets, de leur donner mon caractère, ma signature. » Il accumule aussi dans son appartement les ouvrages condamnés, sauvant du pilon des trésors de la culture mondiale et se mettant, du coup, en constant danger de mort par ensevelissement. Grand buveur de bière, Hanta se fait également avaleur de grands textes. Il s'imbibe et s'«encrasse de lettres », si bien qu'il dit n'avoir qu'à se pencher pour que se déverse un flot de belles pensées ingurgitées avec des litres de bière. Un jour, dépassé par la modernisation du monde du travail, Hanta décide de suivre le chemin des livres et de disparaître, broyé dans sa presse.

Le roman prend la forme d'un monologue très dense, déconstruit selon une technique de "cut-up" chère à l'auteur et de montage intuitif où la pensée en mouvement semble toujours en train de déborder, de déraper. On bifurque vers un souvenir, une anecdote, on repart, on revient en arrière, c'est parfois vertigineux. La mémoire circule dans le flot des paroles, et de l'ivresse naissent des personnages, des figures importantes, Jésus, Lao-Tseu... L'Histoire s'inscrit en contrepoint des destins individuels, donnés en une somme d'anecdotes. On dit que Hrabal invitait ses amis à poursuivre le découpage de ses romans après sa mort pour les garder en vie. L'oeuvre n'est donc pas intouchable, et d'autres se sont aussi livrés au travail d'adaptation. Une trop bruyante solitude a notamment été portée au cinéma et a fait l'objet d'une bande dessinée. Je ne sais pas pour le film, qui n'est pas distribué au Québec, mais dans la bande dessinée, tout comme dans l'adaptation théâtrale de Téo Spychalski, on a évacué les passages trop manifestement comiques du texte, sans doute pour ne pas trahir, ou amoindrir, son côté tragique et la grandeur qui s'en dégage. le comique, comme le dit si justement Milan Kundera, « est plus cruel : il nous révèle brutalement l'insignifiance de tout». Il s'agit de la fin d'un monde, après tout, et c'est à sa mort que le spectateur est convoqué. Mais le rire de Bohumul Hrabal, il me semble, doit résonner quelque part là derrière pour que demeure vivant tout l'esprit (tchèque) de l'oeuvre.

Le sacrifice : « le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde [...]» Milan Kundera (dans "L'art du roman)
Entre autres sacrifices qu'il a dû faire, Spychalski a évincé de son adaptation un personnage important, celui de Marinette. Cet amour de jeunesse, la jolie Marinette qui détestait les livres, Hanta la perd à deux reprises pour des histoires de merde. D'abord à un bal, alors qu'au retour des toilettes, Marinette se met à tournoyer dans les bras de Hanta, ses rubans maculés d'excréments éclaboussant l'assemblée horrifiée. Puis, des années plus tard, quand les amoureux se retrouvent à la montagne pour skier et que Marinette, après un court arrêt derrière un buisson, poursuit sa majestueuse descente vers le chalet, où tout le monde remarque le gros étron posé sur son ski. Dans ce roman où les grands penseurs et les grandes oeuvres n'hésitent pas à fréquenter le monde souterrain lié à la crasse, à l'organique, voire au scatologique, ce personnage est très drôle par le contraste qu'il crée. Marinette représente sans équivoque « l'attitude kitsch7 », considérée par plusieurs romanciers pragois comme étant le contraire de l'art, son ennemi absolu. L'importance du personnage se confirme à la fin du roman, quand Hanta commence à percevoir sa propre fin et qu'il décide de la revoir. L'ouvrier retrouve alors sa Marinette, celle qui a la terreur des livres, qui n'en a jamais lu un seul et qui ne supporte pas la merde, immortalisée sous les traits d'une imposante et virginale statue aux ailes d'ange érigée au coeur d'un jardin. Elle a atteint l'image idéalisée de la beauté et de la jeunesse qui la lavera des épisodes scatologiques entachant sa jeunesse. Elle a assouvi son désir d'éternité. Sa réussite manifeste place Hanta devant son propre échec. « de tous les gens que j'avais rencontrés dans ma vie, c'était elle qui était allée le plus loin, tandis que moi, au milieu des livres où, sans relâche, je cherchais un signe, je n'avais jamais reçu un seul message des cieux. Les livres s'étaient alliés contre moi. » (p. 100) C'est la victoire totale du kitsch sur l'art. de son propre aveu8 , Téo Spychalski trouvait anecdotiques ces passages concernant Marinette. Des représentations du kitsch dans le roman, le metteur en scène a gardé les plus graves, par exemple celle qu'évoque la brigade socialiste du travail formée par les jeunes buveurs de lait en uniformes impeccables. C'est l'arrivée de cette nouvelle armée de travailleurs moderne et performante, avec son immense presse hydraulique, qui signe la fin du monde tel que le connaît Hanta. On parlera ici d'une représentation d'un monde uniformisé et efficace, un autre des nombreux visages du kitsch. Plusieurs passages drôles, bien que de moindre importance, ont aussi été évacués de cette adaptation et, avec eux, une bonne part de la distanciation ironique contenue dans l'oeuvre.

Fils entrelacés : le découpage du texte proposé par Téo Spychalski est intelligent et rigoureux. Je succomberai à la tentation de paraphraser le metteur en scène qui disait qu'à l'instar de la presse qui transforme les livres en une autre matière, il lui revenait de mâcher le matériau littéraire pour en faire surgir une autre oeuvre . S'il a sacrifié plusieurs anecdotes et, de façon plus malheureuse, les éléments franchement comiques du roman, il a conservé la richesse de la structure, l'entrelacement - « il faut en faire une tresse », disait toujours Hrabal au réalisateur Jiri Menzel - des fils narratifs entre le passé, le présent et l'imaginaire, qu'il a resserrés autour de quelques histoires avec habileté. Dans le rôle de ce «palabreur» magnifique, le comédien Claude Lemieux manie avec un naturel impressionnant une langue poétique et iconoclaste, empreinte d'ironie, jouant juste ce qu'il faut d'emportement et de retenue pour qu'on le suive dans son délire imaginatif, flirtant par moments avec le grotesque, jusqu'au tragique dénouement, une « véritable ascension dans la chute ». Malgré le niveau de langue très littéraire, on ne cesse jamais de croire qu'il s'agit là d'un homme du peuple. À un moment viennent lui rendre visite dans sa cave deux jeunes Tziganes, interprétées par Tania Duguay-Castilloux et Marie-Daniel Lussier, dont la présence est un peu superflue puisque leur visite est narrée, comme les autres anecdotes. de même l'environnement sonore, accentué, surdimensionné, apporte un côté « supraréaliste » qui fait croire que nous sommes dans la tête du narrateur, au coeur de sa pensée déformée par l'alcool. Ce n'était pas nécessaire, nous y étions déjà. Au milieu du décor encombré de vieux papiers, animé par les très beaux éclairages de Mathieu Marcil, trône la presse hydraulique. Et dans ce souterrain devenant par moments une véritable caverne d'Ali Baba, la présence d'une grille d'égout d'où proviennent des bruits de chasse d'eau et de guerre de rats, l'alcool ingurgité et la forte présence du comédien, son jeu corporel appuyé, installent un des pôles importants de l'oeuvre : le corps et ses fonctions organiques. Ainsi, la matérialité du monde s'oppose aux « cieux inhumains», l'ivresse de la bière et la lecture des oeuvres s'opposent à la performance de la brigade socialiste du travail et ses buveurs de lait. La scénographie évoque la beauté et la crasse se fondant l'une en l'autre, comme Hanta entrant dans la presse pour faire corps avec les livres. Vers la fin, le récit qu'il fait de sa relation avec la petite Tzigane déportée vers les camps de la mort se révèle d'une touchante vérité. C'est un des points culminants de ce spectacle, à qui il ne manque, pour être une réelle réussite, que le franchement comique qui s'inscrit en contrepoint des thèmes tragiques de l'oeuvre. En ce sens, il manque un peu de l'esprit tchèque. Il manque le formidable rire de Hrabal. » Josée Bilodeau.

Les lecteurs attentifs, courageux, patients et indulgents de mes habituelles chroniques me pardonneront, je l'espère, cette petite incartade (qui n'est pas tout à fait la première, malgré tout). Quant à moi, il ne me reste plus qu'à me replonger, tôt ou tard, dans ce bouquin plutôt effarant, incroyable, à peu près inclassable, kitsch (au sens que lui donne Kundera), dont le style, les sautes d'humeur, les coquecigrues, les références (d'une immense érudition, sans jamais avoir l'air de trop y paraître), le sens inné de la dérision en font un moment rare, tellement rare, de la littérature. Un boulet de canon dont les moments intimes ou politiques sont tous, avec des attentes et des conclusions diverses, d'une complexité rare et pourtant immédiatement audible, par l'usage d'un franc-parler dont ce Hanta nous abreuve, qui semble sorti tout droit d'une conversation de bistrot entre philosophes célestes (et très terrestres aussi) délicieusement avinés.
Ce bref roman de Bohumil Hrabal c'est l'absurdité de l'ininterrompue succession des petits instants du quotidien renversée, les quatre fers en l'air, par la puissance tragi-comique incommensurable de cette écriture. Ce bouquin, c'est un rire énorme passé par le tamis d'un coeur monstrueux et d'une insatiable curiosité au regard bleu cristallin dont ne pourrait résulter que le suicide ou la vie éternelle (est-ce si improbable ? Ne fut-ce pas le choix de l'écrivain pour les derniers instants de son existence ? Et même si cette fin n'est qu'accidentelle, les raisons de cet accident sont elles-même source, dramatique, d'un ultime et énorme rire, n'est-ce pas ?). Il faudra donc relire ces cent vingt et quelques pages dévastatrices et créatrices une fois les dernières vagues de ce tsunami apaisées. Lire aussi d'autres titres, tel le roman Moi qui ai servi le Roi d'Angleterre ou encore l'un de ses recueils de nouvelles comme Les Palabreurs. Il faudra aussi aller explorer du côté de l'ami Jacques Josse, grand lecteur de Bohumil Hrabal devant l'éternel, tout particulièrement avec son - semble-t-il - très convaincant essai intitulé L'ultime parade de Bohumil Hrabal. Rendez-vous est donc pris, désormais...

Ci- après le lien vers cet excellent site québécois d'où est tiré l'article reproduit plus haut : https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/2007-n123-jeu1112999/24222ac.pdf
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Une trop bruyante solitude

Un livre magnifique, un chef d'oeuvre, l'un des livres les plus importants de la littérature tchèque. Peut être le livre que j'emmènerais sur une île déserte.
Longtemps que je le lis et que je le relis. Longtemps qu'il continue de me toucher. Un langage simple utilisé par l'écorché vif qu'est cet écrivain tchèque, celui qui parle de petits rien pour les magnifier, qui décrit sa vie pour la fantasmer, qui combat par un phrasé grandiose.
L'émotion frappe, elle choque, elle nous tire de notre torpeur. Cet amour du livre et cette détestation de la bêtise humaine caractérisée par une soif de progrès au détriment de la tradition, ce combat contre l'inculture et le « tout-politique » de sombres époques nous fait réfléchir et nous bouleverse. Un style simple certes mais terriblement séduisant dans son articulation avec une ponctuation maîtrisée, ce qui est rare, une utilisation du point-virgule en l'occurrence qui est habituellement inappropriée et qui là ajoute une cadence et un rythme intéressants.

Bohumil Hrabal déclarait qu'il «a existé pour écrire une trop bruyante solitude».
Je suis content qu'il ait existé car il me semble être né pour lire ce livre. Je crois en fait que ce livre concerne tout lecteur, toute personne intéressée par l'éveil de la conscience, la curiosité et l'étonnement philosophique.

Un grand roman, écrit par un grand homme.

Longtemps j'ai aimé lire, grâce à ce livre la lecture est une passion. C'est ce genre d'écrivain pour qui j'ai de l'admiration, un écrivain qui m'impressionne par sa simplicité et son talent et qui arrive à me transformer alors que je connais son ouvrage par coeur.
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Bohumil Hrabal auteur Tchèque comme Kundera était un nom inconnu avant qu'un libraire pose ce livre "Une trop bruyante solitude" devant mes yeux pour me dire vous aimerez !....Alors je me plonge dans le quatrième de couverture pour acheter ce livre et le dévorer avec justesse et surprise ...
Bohumil avec cette petite pépite nous livre un conte politique et philosophique sur la condition humaine .ce roman étrange fusionne l 'humour et le tragique .le dérisoire et le sublime le rêve embrasse cette réalité froide .......
Le narrateur Hanta ouvrier depuis 35 ans dans une usine qui broie des papiers (livres interdits .censurés....) ivrogne .crasseux solitaire instruits malgré lui survit de ces pépites glanés ...ces auteurs qui le hantent l 'emprisonnent dans leur monde pour le faire voyager au delà de sa vie d'esclave ...
Entre Jésus qui donne au Monde la violence "apporter la paix.mais le glaive ". suivre le principe de Lao Tseu "connaitre sa honte et soutenir sa gloire" Hrabal oeuvre ses idées...Il dénonce le totalitarisme avec force ....la surproduction avec puissance ...il se perd de cette vie ou tout comme les rats qui se battent dans les égouts dans une immuable guerre cycle que l 'homme poursuit -Les jeunes qui poussent la génération vers la mort dans ce progrès qui assèche les idées notre ouvrier plie pour finir sa vie dans sa presse qu'il l'a nourrit pendant 35 ans ....
Une fable sur les hommes de notre siècle ...éternel combat comme Camus.Sartre Kafka.....
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Bohumil Hrabal n'est pas très connu en France à l'instar de Jaroslav Siefert et Karel Capek , ses compatriotes .

Très peu de temps après leur parution , ses deux premiers livres , victimes de la censure du PC tchécoslovaque sont passés au pilon .

Interdit de publication , ses écrits suivants sortirent sous le manteau ( en samizdat , qui à quelque chose près , signifie autoédition en russe ) et par mesure de prudence sa technique d'écriture se cantonna à une fiction irréelle . Parler au temps présent du réel sous le communisme étant plutôt périlleux et apte à vous envoyer au goulag .

Cosignataire , aux cotés de Vaclav Havel et de quelques autres intellectuels courageux , de la charte 77 , il entra en résistance contre le totalitarisme communiste .

Il nous livre ici , dans un style particulier , mêlant l'argot , la poésie et l'humour acide , comme un regard extérieur sur le pilonnage des livres interdits et manifeste son chagrin de voir disparaître des titres qu'il aurait voulut sauver

Décidément abonné aux foudres de la censure , il connut de nouveau l'interdiction de publier durant plus de dix ans jusqu'en 1985 . Sa mort " accidentelle " , qu'on nous a vendue comme une chute de la fenêtre d'un hôpital , reste , à ce jour , encore inexpliquée .

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Cela faisait plusieurs années que j'avais lu ce livre, que j'avais adoré.
Je viens de le relire pour la 3e fois, et il m'a encore davantage impressionné !

En 1968, les Soviétiques ayant envahi la Tchécoslovaquie, et interdit la publication de leurs ouvrages à de nombreux auteurs tchèques, Bohumil Hrabal, qui subissait lui aussi ces pressions du pouvoir idéologique, s'adonnera néanmoins à l'écriture de ses plus grands livres, parmi lesquels « Une trop bruyante solitude » (en 1976).

A savoir que les manuscrits circulaient en samizdats (écrits signés par l'auteur pour ne pas être considérés comme des publications clandestines par les autorités, mais comme simples manuscrits), et il a fallu attendre la fin des années 1980, (voire le début des années 1990) pour les voir édités à nouveau, légalement !

« Voilà trente-cinq ans que je travaille dans le vieux papier, et c'est toute ma love-story.
Voilà trente-cinq ans que je presse des livres et du vieux papier, trente-cinq ans que, lentement, je m'encrasse de lettres… ».
Ainsi commence ce livre, qui a fait connaître Bohumil Hrabal en France.

C'est un court roman, magistral, un « Majestueux cri de révolte lancé à l'assaut des sociétés totalitaires ».

B. Hrabal y déplore un monde perdu.
Il l'aborde à travers le parcours du antihéros de son roman, qu'est Hanta. Son travail consiste à pilonner toute la journée, des livres, des encyclopédies et autres imprimés, au fond de la cave glauque d'une vieille usine, où grouillent les rats !

Hanta est « submergé » au sens propre comme au sens figuré, - submergé par le nombre impressionnant de livres qu'il sauve de la destruction, et qu'il amasse chez lui (tant bien que mal),
et – submergé par la destruction de toute une culture à laquelle il reste très attaché.

« Comme on ne peut plus y ajouter un seul volume, j'ai fait faire dans ma chambre, …des étagères en forme de baldaquin, …et j'y ai empilé deux tonnes de livres trouvés pendant ces trente-cinq ans ; quand je m'endors, ces deux tonnes de bouquins pèsent sur mes songes comme un énorme cauchemar… »

Les ouvrages qu'il ressuscite du pilon, vont du Talmud à Schopenhauer en passant par Camus « parce qu'un livre renvoie toujours ailleurs hors de lui-même ».
Tout au long du récit, on voit Hanta se livrer à une étrange célébration de la destruction. C'est comme un grand rituel funéraire, mais il veut refonder la vie contre le désordre du système.

Hrabal avait fait beaucoup de petits boulots pour gagner sa vie, et lui-même avait été employé dans un dépôt de papier récupéré.
Hanta, cet antihéros, solitaire et marginal apparaît bien comme son alter ego. - Marginal, parce qu'il est fidèle aux valeurs d'un monde donné pour révolu, - marginal parce qu'il fait le métier de marginaux, en s'occupant de déchets, - ironiquement marginal, parce qu'il est chargé de détruire ce qui est infiniment précieux pour lui, mais dépourvu d'intérêt et de prix aux yeux de la société, alors que les oeuvres qu'il doit liquider sont bien celles de l'esprit humain !

Bohumil Hrabal fit le choix d'un ultime et radical plongeon. Sa vie s'est arrêtée entre le 5e étage et le RDC d'une clinique praguoise en 1997.
C'est aussi le sort qu'il attribua à son héros !

Et Bohumil Hrabal de confier : « Je ne suis venu au monde que pour écrire - Une trop bruyante solitude - »
On ne peut qu'acquiescer et reconnaître que ce roman court est un chef d'oeuvre de la littérature tchèque !

Je voulais ajouter aussi que le choix de l'oeuvre de Paul Klee en 1re de Couv., ce crieur double qui fait la grimace, me semble bien approprié pour représenter l'état mental dans lequel se trouve Hanta et la souffrance qu'il éprouve.
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Hanta est cet individu qui émeut et fascine, qui fait rire et qui impressionne, que l'on imagine en face de sa presse et sous les piles de livres qui menacent de s'écrouler sur lui. Il est l'incarnation de la résistance, l'esthète un peu grossier de l'amour des livres, l'homme bourru qui ne ploie jamais face à l'écrasement, celui qui croit désespérément que les livres ne sont pas là par hasard, mais ont quelque chose à dire. Réduit à les détruire, il les sauve, au contraire ; il les amasse, comme une collection face à la barbarie de sa presse qu'il affectionne cependant. Il est pris entre le devoir et la liberté, et concilie les deux, jusqu'à découvrir une autre presse, géante, déshumanisée, débarrassée de tout soupçon d'humanité et de beauté. Alors, Hanta, celui qui lisait des livres et suçait leurs idées comme des bonbons qui imprégnaient ses pores, n'a plus d'autre choix que de prouver, encore, qu'il est là pour résister.
Comme une forme courte et rebelle de dissidence, "Une trop bruyante solitude" entre dans cette catégorie des petits écrits qui percutent le lecteur de métaphores politiques et philosophiques. Ces rats qui se battent dans les sous-sols, ces tsiganes qui fascinent, cet amour pour la littérature qui fait face au devoir de détruire, inlassablement, le papier... Tout ici crée ce sentiment d'étouffement et de libération par les livres. Hanta est à la fois écrasé et défait de ses chaînes grâce aux trésors qu'il conserve et sauve de sa presse. Une presse soviétique ? Dans la Tchécoslovaquie de l'époque, cette parabole paraît évidente, mais elle n'en perd pas moins sa force. Hanta, par la lecture, est un dissident. Bohumil Hrabal aussi. Liberté semble être sa devise.
Un ouvrage indispensable pour quiconque veut comment "résister" se traduit en tchèque.
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Depuis 35 ans, Hanta pilonne du papier et du carton. Livres, prospectus, affiches, emballages... s'accumulent dans la cave où il travaille. Il les enfourne dans sa presse, appuie sur un bouton, les écrase et en fait des ballots qui partiront vers les usines de recyclage.
Résumé ainsi, ce roman semble tourner autour de l'aliénation de l'ouvrier marié à sa machine et de l'abrutissement provoqué par une activité répétitive. Mais en avançant dans la lecture, Hanta se révèle être un exemple de l'adaptabilité des humains et de leur capacité à s'élever même dans le cadre le plus étroit et la routine la plus sinistre.
Dans la semi-obscurité de sa cave, au milieu des montagnes de papier qui y sont déversées, dans les odeurs de déjections de souris, d'humidité et de sang dégoulinant des emballages de boucherie, Hanta prend le temps de dénicher de vieux volumes, philosophie littérature, peinture... Il les sauve de la presse, les accumulent chez lui, mais surtout il les lit, les mémorise, les analyse, les utilise pour comprendre sa propre existence. Plus symbolique (ou artistique ou admirable ou désespéré ou inutile), il en choisit un pour chaque ballot de vieux papiers qu'il doit former ; il le place au milieu et compacte le tout avant d'envoyer à la destruction ces cubes de déchets porteurs d'un coeur de connaissance.
La plume de Bohumil Hrabal sert parfaitement ces idées et la peinture de cet univers routinier, solitaire, aliénant. Son style, descriptif, dépouillé se voit relevé de situations grotesques, de portraits picaresques et d'une touche de surréalisme hyperréaliste (si, si, ça existe) à la Boris Vian ou à la Jacques Tati (l'envie de rire en moins) et fait fleurir, de loin en loin, des réflexions aussi profondes que le quotidien de Hanta est plat.
Dans la Tchécoslovaquie communiste de la seconde moitié du 20e siècle où se situe ce roman, les détournements et le sauvetage de livres évoquent la lutte clandestine de la pensée contre l'obscurantisme politique.
Mais ce combat existe encore (et l'adjectif "politique" ci-dessus peut être remplacé par "religieux", "nationaliste", "antiscientifique", etc), de même que les symboles, le courage et les sacrifices qui lui sont liés : chaque lider maximo qui tombe sert de terreau à une flopée de dictateurs tout aussi carnassiers.
Moins dramatique, mais néanmoins consternant, est notre capacité à mettre au rebut l'héritage culturel et l'apprentissage des outils de réflexion, y compris dans les pays où la pensée est libre.
Ce court roman reste de ce fait un ouvrage nécessaire. À sortir de la cave avant que le pilon l'écrase.
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Le chef d'oeuvre de Hrabal : un cauchemar éveillé entre délire alcoolique et chant d'amour à l'art. Drôle, dérangeant, caustique, tout à la fois...
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Pour le résumer rapidement, Hanta travaille chaque jour de sa vie à recycler de « vieux papier » à l'aide d'une presse manuelle : il transforme en balle décoratives les plus grandes oeuvres littéraires que l'humanité a produite, censurées par le régime totalitaire nazi. L'histoire se déroule pendant la seconde guerre mondiale et sera publiée clandestinement en République Tchèque en 1976 alors que le pays souffre du totalitarisme communiste. Cela dit, plus qu'un acte de résistance politique, Une trop bruyante solitude condense en quelques 121 pages toute la noirceur de la condition humaine, celle que l'on retrouve dans le Joseph K. de Franz Kafka ou dans le prisonnier des Carnets du sous-sol de Dostoïevski. L'effet répulsif qu'a provoqué en moi les premières descriptions du quotidien de Hanta a bientôt laissé place à la compassion puis à l'empathie la plus forte qui soit devant ce (non-)combat face à l'inévitable. La résistance a-t-elle seulement eu lieu ? La vie de Hanta n'est-elle pas qu'une lente capitulation ? Ou, au contraire, un énorme cri de libération intérieure en écho à l'oppression physique de l'environnement externe ?
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