Un condamné à mort raconte ses derniers jours cauchemardesques dans l'attente de sa fin cruelle...
Victor Hugo surprend par son style relativement contemporain, toujours facile d'accès bien que recherché, et surtout foudroyant de modernité, presque deux cents ans après la publication de cet ouvrage. Il aborde le thème difficile de l'homme sur le point de mourir. Mais pas n'importe quel homme ni n'importe quelle mort : un condamné à la guillotine. Un criminel.
Le récit oscille entre ces deux idées éthiquement compliquées : l'homme a beau avoir commis un crime il n'en reste pas moins un humain doué de raison empli de craintes ; mais un malfaiteur, sûrement meurtrier puisque le crime n'est pas précisé, ne mérite sans doute pas qu'on le respecte dans sa dignité. Deux sentiments très violents et opposés que tout un chacun ne peut s'empêcher de ressentir au moins une fois. (Sans compter l'épineuse question de l'être humain qui ôte la vie et se la voit ôtée par un autre sous le sceau de la Justice, mais Hugo ne rentre pas trop dans cet aspect moral de la condamnation.)
Si le récit démarre sur une note somme toute prévisible de torture mentale dans l'attente de l'application de la sentence, certaines scènes soulèvent quelques profondes idées manichéennes, comme lorsqu'un bagnard prend la belle redingote du détenu, lui qui n'en aura plus besoin dans quelques heures. le raisonnement est logique, mais le narrateur se sent dépouillé, mécontent. Cette redingote était un peu un symbole d'identité, d'humanité, et sûrement la lui enlever le ramène à sa propre vie qu'on lui retire. On lui vole tout, il n'a plus rien, et c'en est trop. L'humain contre la logique, un exemple puissant...
Hugo insiste également sur la part surréaliste du statut du condamné qui vit comme en transparence face aux vivants : l'architecte qui lui promet une meilleure cellule dans six mois alors qu'il sera exécuté le lendemain, ou quand, lors de son transfèrement, l'huissier joyeux ne comprend pas son air morbide et résigné, converse de la pluie et du beau temps et se plaint de perdre son tabac à un homme qui va perdre la vie. Hugo dresse ainsi le portrait de plusieurs personnages indifférents au devenir d'autrui, mais surtout au devenir de criminels, indifférence banalisée sans aucun doute par un côtoiement quotidien.
Il en va de même pour ce prêtre qui récite des litanies plus qu'il ne cherche à accompagner réellement et de manière personnalisée le condamné...
Il y a encore ce geôlier qui le considère déjà comme un fantôme et traite de manière outrageusement légère le sort du détenu.
Hugo, en vérité, ne fait pas vraiment de portrait caricatural : il montre les faiblesses du genre humain, sa capacité à faire extraction, à oublier le malheur d'autrui. Aussi bien pour son propre bien que par manque cruel d'empathie. C'est là, sans doute, la force de cette nouvelle, plus que l'énumération même des sentiments terribles par lesquels le narrateur passe. La plus poignante étant certainement quand le condamné voit sa mort non plus comme une délivrance mais comme une guérison, comme si sa situation en geôle équivalait à la maladie. Voir la mort comme une sortie agréable dans cet outil grotesque et barbare qu'est la guillotine, c'est une pure oxymore symbolique et métaphysique...
Dans le témoignage du bagnard qui prend la redingote du narrateur, Hugo dévoile également l'idée que la récidive est souvent générée par le rejet d'un ex-taulard par la société. Un homme qui a fait une erreur et souhaite se racheter se retrouve dans la position délicate de paria, et ne trouve aucune autre solution que de revenir au crime pour survivre. La notion de seconde chance n'existe tout simplement pas, et à l'inverse la catégorisation est maîtresse en cette vie...
Au-delà des réflexions qui peuvent traverser l'esprit d'un condamné à mort avant son exécution, c'est bien les tréfonds de l'âme humaine bestiale et égoïste qu' Hugo sonde à travers les yeux d'un homme qui les fermera bientôt à jamais.
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