Shankara, c'est un peu le mec qui a inventé l'Advaita Vedanta. Par chez nous, avec notre béret sur la tête, on appelle ça la non-dualité, et c'est pas si faux que ça. Ça dit que y a pas de séparation entre moi et l'Univers. Si je m'en rends pas compte, c'est que ma vie sous cette forme terrestre humaine est gouvernée par la nescience. Un peu comme le fait que de pas avoir conscience de notre activité cellulaire, c'est pas mal pour vivre tranquillement tous les jours. Même si forcément, on rate des trucs du coup. le but qui se propose alors dans l'AV pour surmonter toute cette merde c'est de changer son attitude, de s'éloigner des activités mondaines et de méditer les Grandes Paroles upanishadiques jusqu'à ce qu'elles foudroient d'un coup notre caboche et produisent l'ILLUMINATION. A partir de là, on devient un délivré-vivant et c'est le kif.
Michel Hulin nous fait la biographie de Shankara même si c'est difficile parce que le personnage est à moitié mythologisé, genre on ne sait même pas vraiment quand il a vécu. Tout en dynamisme, Hulin nous fait le topo des concepts développés par Shankara dans un sens personnel, genre le Soi (atman), le brahman comme être parfait et béatitude, l'illusion, la création, la délivrance, en comparant sans cesse ces notions shankariennes à ce qu'on avait eu jusqu'alors l'habitude de se faire préchi-prêcher, ici ou dans d'autres courants. On aura même droit à une petite anthologie de Shankara sur la condition humaine, le brahman comme être-conscience-béatitude, le Suprême Seigneur et l'ordre du monde, l'âme individuelle, les voies de la délivrance, et les passages chauds de polémique contre le bouddhisme et le Samkhya (qui sera finalement absorbé par le Vedanta, LOL).
Ensuite, la question c'est un peu : qu'advint-il de tout ce bordel ? Car Shankara, tout malin qu'il soit, a laissé beaucoup de questions non résolues, des trucs vagues qui font miroiter une certaine inconsistance de son projet et ça, ses disciples ne voulaient pas trop que ce soit dit, alors ils ont rafistolé et on a eu deux écoles un peu opposées qui se sont distinguées. Et puis, avec la colonisation anglaise, c'est toute la philosophie occidentale qui vient rajouter une couche de bordel supplémentaire. On imagine alors qu'une forme de néo-Vedanta émerge, incarné par Nissargadatta Maharaj,
Shri Aurobindo, Swami Prajnananda, et d'autres quoi.
Pour résumer, voici ce qu'on peut dire aujourd'hui du phénomène :
« Parce qu'il cherche moins à « sauver les phénomènes » qu'à dissoudre le sentiment de la finitude humaine, le Vedanta ne s'est jamais présenté comme une explication rationnelle du monde, une cosmologie. Il n'a jamais -pas plus que le bouddhisme mais à la différence du christianisme- comporté de dogmes relatifs au moment et aux circonstances de la création du monde, à la fixité des espèces vivantes, etc. Par là même, son image contemporaine ne saurait être celle d'une pseudo-science ou d'une vision préscientifique du monde, mais plutôt celle d'une discipline spirituelle jouant le rôle d'un indispensable contrepoids à l'expansion illimitée de la science et de la technique. Enfin, sur un plan plus strictement philosophique, le Vedanta non dualiste se présente comme un intermédiaire entre, d'une part, la tradition de la métaphysique occidentale enracinée en Grèce et, d'autre part, les disciplines spirituelles, délibérément non conceptuelles et rebelles à toute formulation ontologique de l'Extrême-Orient (taoïsme, bouddhisme, zen). Lié organiquement à la langue sanskrite, soeur de la langue grecque, il exprime lui aussi l'être comme substance, action, sujet, etc., mais demeure en même temps ouvert à tout un régime d'expériences spirituelles dans lequel ces catégories ontologiques perdent leur pertinence. »
Le bouquin est érudit, clair, malgré tout il est dense alors faut serrer le fion, mais on est content d'apprendre plein de trucs sur le sujet parce que c'est vrai, la non-dualité c'est super intéressant à prendre en compte dans notre optique occidentale. Et en plus, maintenant on se dit qu'on a plus besoin de lire Shankara (qui avait l'air un peu chiant quand même).