Gnose et gnostiques des origines à nos jours

Avec ce livre, Roland Hureaux signe une excellente synthèse, claire, précise, eôxhaustive autant qu'il se peut vu le sujet, tout en restant d'une lecture aisée, sur la gnose et les différents mouvements gnostiques.
La gnose est née dans les débuts du christianisme, alors que la doctrine chrétienne n'avait pas encore été clairement fixée, et que les textes canoniques n'avaient pas encore été déterminés. On sait en effet que les quatre évangiles qui ont été finalement retenus par l'Eglise ont été choisis parmi des dizaines autres, dont la plus grande partie ne est pas parvenue. Parmi ces textes, on compte un certain nombre d'évangiles gnostiques. La gnose ayant été condamnée par l'Eglise, puis réprimée par les Empereurs chrétiens à partir de la fin du IVème siècle, peu de textes nous sont parvenus (notamment ceux retrouvés à Nag Hammadi et nous ne connaissons généralement les doctrines gnostiques que par l'exposé qu'en font les Pères de l'Eglise qui se sont attachés à réfuter ces doctrines.
Conformément à son étymologie, la Gnose s'attache à révéler la connaissance contenue dans les textes sacrés, et des interprétations radicalement différent différentes ces interprétations orthodoxes (orthodoxe ne renvoie pas ici à l'Eglise d'Orient, qui d'ailleurs n'avait pas encore fait scission à l'époque mas désigne la doctrine officielle de l'église; dans la contexte, ce mot est synonyme de "catholique").
Il a existé de nombreux courants gnostiques, qui ont donné naissance à des églises plus ou moins éphémères.
On peut cependant retrouver dans tous ces courants tout ou partie des éléments suivants, avec de nombreuses variantes:
Il existe un Dieu inconnaissable, qui n'est pas créateur, mais a eu de nombreuses émanations, parfois très nombreuses et hiérarchisées en divers degrés
La création est mauvaise, et est l'oeuvre d'une émanation inférieure de Dieu, située en général au plus bas de l'échelle; dans certains courants, cette entité créatrice s'identifie au Dieu de l'Ancien Testament, en général considéré comme mauvais et jamais adoré
L'ancien testament est rejeté, ainsi qu'une partie du nouveau.
Le caractère mauvais de la création entraine diverses conséquences selon les sectes. En général la procréation est refusée ainsi que le mariage, pour ne pas perpétuer un monde mauvais; la sexualité l'est souvent, mais pas toujours. Certains courants, comme celui de Carpocrate, prônent au contraire la débauche et l'orgie. Il est parfois interdit de manger de la viande.
Il existe deux niveaux dans l'Eglise gnostique: les initiés, qui seuls accèdent à la vraie connaissance, et les simples fidèles.
Parmi ces courants, le plus important est celui de Mani, au IIIème siècle, qui porte le nom de son fondateur: le manichéisme; il inspirera tous les courants ultérieurs, jusqu'au catharisme. Sa particularité est de poser l'existence de deux principes de puissance égale: le Bien et le Mal, ce dernier responsable de la création, qui sont en lutte perpétuelle.
Il dispose d'un corps de doctrine très développé; on en retrouve des traces dans diverses sectes musulmanes (alaouites, druzes, yézidis, ismaëliens) souvent violemment rejeté par le courant sunnite. de manière plus anecdotique, on trouve dans la religion manichéenne l'obligation du jeûne, des prières quotidiennes et de l'aumône. Cela dit, il est bien évident que l'orthodoxie musulmane, avec son Dieu créateur unique, est ce qu'il peut y avoir de plus opposé à la gnose, comme d'ailleurs la supposée gnose juive. Évidemment, Mahomet a puisé à diverses sources pour écrire le Coran et il n'est pas impossible qu'il ait subsisté quelques manichéens dans la péninsule arabique. Des emprunts ne sont donc pas impossibles

La postérité principale du manichéisme réside dans le bogomilisme et surtout dans le catharisme, le mouvement gnostique le plus connu.
L'auteur démythifie les idées fausses sur le catharisme, notamment celle qui consiste à y voir un nationalisme occitan.
Le catharisme coche la plupart des cases de la grille gnostiques:
Existence de deux degrés d'initiation:
-les parfaits, auxquels sont interdit le mariage, la sexualité et la consommation de viande
-et les simples fidèles
-le monde n'est pas l'oeuvre de Dieu, il est mauvais, il ne faut pas le perpétuer;
-le créateur est le Dieu de l'ancien testament, qui est rejeté, comme la Bible juive
Dans les faits, le catharisme n'était pas très important: à peu près cinq pour cent de la population des villes où il était implanté, et pratiquement pas de fidèles dans les campagnes.
Une anecdote amusante (enfin, je trouve): la femme a une image très négative, et ne peut faire son salut qu'à condition de devenir un homme après sa mort. j'en profite pour rectifier une erreur trop commune: l'Eglise catholique n'a jamais mis en doute l'existence de l'âme des femmes; il s'agit d'une légende anticléricale. Ce livre est recommandé à ceux qui comme moi, ont dans leur bibliothèque idéale "le pendule de Foucault" d'Umberto Eco; il permet en effet d'approfondir beaucoup de nations évoquées dans ce dernier, parfois de manière assez humoristique. de même je recommande vivement la lecture du Pendule aux lecteurs de Hureaux qui ne connaitraient pas ce dernier livre.
On retrouve aussi la gnose dans un roman policier italien qui m'est cher, "la Nuit du Grand Boss" de Fruttero et Lucentini; mais ici c'est sur le mode de la comédie, et de manière plus anecdotique.
Au fait, dans "le pendule", Belbo fait remarquer à Casaubon (ou le contraire) qu'on écrit de plus en plus sur la gnose, même dans un roman policier; j'aime à penser que, par le biais d'une bienheureuse intertextualité, Casaubon et Belbo ont lu "la nuit du grand boss"; c'est le genre de livres qu'ils auraient pu aimer.

L'auteur parle également de la gnose juive, la Kabbale, dont les bases sont évidement très différentes, avec une grande importance accordée à la numérologie; on y trouve aussi des hiérarchies compliquées entre diverses émanations de Dieu, les séphira.
Elle est cependant radicalement différente de la gnose par son attachement au Dieu d'Israel
L'auteur consacre divers développements à de supposées survivances de la gnose postérieures au catharisme, mais ce n'est pastoujours très convaincant., sauf pour ce qui est dit de la Deep ou hard Ecology, - voir citation.
Ce mouvement, de même que les gnostiquess en leur temps est potentiellement, dans la mesure où il y une volonté de réduction drastique de la population mondiale, dont on préfère ne pas imaginer les modalités pratiques

Une écriture facile pour un sujet complexe. La présentation des différents courants gnostiques primitifs est adroitement proposée au lecteur à travers des chapitres logiquement organisés et bien centrés sur leur propos. Roland Hureaux ne se cantonne pas à l'analyse des doctrines gnostiques du 1er et du 2nd siècle. Nous voyageons également à travers les pensées postérieures augustiennes, des cathares, de la kabbale … Par ailleurs, la gnose moderne ne conserve plus du tout l'entièreté de sa conception primitive, et l'auteur nous offre d'excellentes clefs de lecture et donc de compréhension de ces nouvelles expressions. Comprendre pleinement la gnose c'est effectivement devenir capable de s'y référer symboliquement et en partie seulement sans risquer de faire de son caractère essentiellement initiatique et dualiste un dogme nouveau.
Après cette lecture je conseille d'aller réécouter le podcast de France Culture « Aux sources de la gnose » avec l'auteur comme invité le 17 avril 2016 dans l'émission « Les racines du ciel ».