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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Seule avec Léo, son fils adolescent passionné de surf, Anna habite un mobile-home et subsiste modestement de la vente de poulets rôtis sur les marchés de la côte Atlantique. Un accident qui la prive de sa camionnette vient mettre à mal sa situation financière déjà fragile. Les déboires s'enchaînant, elle finit par accepter, à contre-coeur et en désespoir de cause, de participer au jeu de télé-réalité auquel son fils l'a inscrite. Pour gagner un pick-up d'une valeur de 50 000 euros, il faut être le dernier à garder la main posée sur le véhicule. Commencent, pour les vingt candidats sélectionnés, des jours et des nuits d'épreuve absurde, filmée sans relâche par d'indiscrètes caméras...


Se prêter aux humiliations d'un jeu télévisé pour tenter d'échapper à la pauvreté : pour sa plus grande honte, voilà ce à quoi en est réduite la vaillante Anna, défaite par une précarité que quelques aléas et la kafkaïenne indifférence d'une bureaucratie déshumanisée ont suffi à transformer en insurmontable insolvabilité. L'ancienne surfeuse idéaliste et rebelle se retrouve ainsi partie prenante d'un pathétique championnat de la médiocrité, complice de l'avidité commerciale de puissants sponsors, de la mégalomanie d'un présentateur narcissique et de la folle détermination de joueurs prêts à tout pour une once de notoriété. Encore faut-il ajouter au tableau le voyeurisme d'une foule manipulable et versatile, accourue en masse au spectacle avec l'envie du sang comme autrefois aux jeux du cirque. le public ne sera pas déçu, fatigue et ridicule ne tardant pas à ôter toute dignité aux concurrents, corps défaits et âmes vendues à une fin matérielle justifiant tous les moyens. C'est désormais au rythme des éliminations que progresse le récit, tendu vers une victoire aux couleurs de l'avilissement et du dégoût.


Pourtant, en filigrane de la satire cruellement cynique, transparaît aussi le conte moralement positif. Pendant que les puissants - industriels, politiciens et technocrates - virevoltent dans la seule obsession de leur cote de popularité et de leur bancabilité, une Présidente de la République continue malgré tout de s'attacher à ses valeurs humanistes et citoyennes. Marginale, elle ressemble un peu à quelque divinité dépassée par les errements inconséquents de ses créatures, mais ne désespérant pas qu'il s'en trouve bien une un jour pour racheter toutes les autres. Anna et Léo seront-ils ces exceptions capables de sauver la foi en l'humain ? Face à l'abjection, tous deux ont une échappatoire : le surf, son sens du sublime et ses idéaux de liberté, de beauté et d'harmonie avec le cosmos. S'aimeront-ils assez pour, ensemble, faire triompher leurs valeurs ?


Observateur sans illusions de la société et de ses puissants tropismes mercantiles et narcissiques, Joseph Incardona nous livre une fable féroce, sardonique, mais qui, aux frontières de l'absurde, laisse finalement le coeur l'emporter sur le cynisme.

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De la Porsche au camion-rôtissoire.
Sacré trajet entre la Suisse et le bord de l'océan, entre la finance genevoise et la vente de poulets sur les marchés du Sud-Ouest. Un monde d'écart, et quelques zéros sur le livret A des personnages entre « La soustraction des possibles », le précédent roman très réussi de Joseph Incardona et « Les corps solides ». La distance ne fait pas peur à cet auteur qui peut se targuer de ne jamais écrire deux fois le même roman. Pas de problème d'essence pour le trajet car il a fait le plein d'idées. Tant pis, il n'aura pas le Prix Nobel du nombril, déjà attribué, mais chacun de ses livres nous fait découvrir un nouvel univers. Un romancier qui innove plus qu'il ne recycle.
Anna, la quarantaine, élève seule son fils Leo. Elle vit au bord de l'océan dans un Mobile-home et écume non pas les plages, mais les places de marché pour vendre le poulet dominical à tous les week-endeurs à pull enroulé sur les épaules.
Elle perd son outil de travail dans un accident de la route et elle se résout à participer à un jeu télé au concept débile, ce qui garantit en général un excellent audimat, qui consiste à poser sa main sur une voiture de luxe et d'être le ou la dernière à la retirer pour repartir avec la titine.
De son côté, le fiston, malmené au collège, ne rêve que de surf et de son père disparu.
J'ai eu du mal à rentrer dans l'histoire et le premier tiers du livre, qui installe les personnages, est aussi gai et optimiste qu'un film des frères Dardenne. La vue sur l'océan est belle, mais hors saison, la vie d'une mouette n'est pas trépidante.
En revanche, dès que le jeu commence, le récit passe la seconde, et il devient aussi difficile de lâcher ces pages pour le lecteur que de lâcher l'aile de cette voiture pour Anna. Rien ne manque dans le biotope de l'émission : ni l'animateur insupportable qui donne des envies de meurtre, ni les producteurs cyniques, ni le narcissisme instagramé de certains candidats, ni le public d'arènes qui soutient ses favoris.
Le voyeurisme outrancier des spectateurs devient celui distancié du lecteur, qui est accablé par l'exploitation cupide de la misère sociale mais qui suit Anna passionnément en espérant la voir gagner pour rendre un peu de dignité à l'espèce.
L'autre point fort de ce roman, c'est l'amour maternel et filial qui est magnifiquement transposé sans tomber dans le misérabilisme.
Que dire des seconds rôles ? Ils ne font pas de la figuration dans les interlignes et ancrent cette aventure dans une réalité pas très reluisante mais terriblement humaine.
La structuration du roman qui alterne le déroulement du jeu avec les souvenirs et les galères des personnages donne un rythme haletant au récit. J'ajouterai que le ton ne verse pas dans l'ironie facile, ce qui est un petit exploit au regard du sujet et une belle leçon pour un mauvais esprit comme le mien.
Quant au surf, avec la planche mythique du père, c'est un peu le moyen de prendre la vague de la liberté. le syndrome Point Break au service d'une histoire rafraichissant et originale.





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Ma première incursion dans l'univers de Joseph Incardona, écrivain suisse d'origine italienne, date de la publication de « La Soustraction des possibles », roman désenchanté qui pose un regard clinique sur l'extension sans fin du domaine du capitalisme de la fin des années quatre-vingts.

Tandis que la « Soustraction des possibles » s'intéressait à ceux que l'on nommera plus tard « les gagnants de la mondialisation », le nouveau roman de l'auteur suisse, « Les corps solides », nous conduit aux côtés des « perdants de la mondialisation », les humbles, ceux qui tentent de garder la tête hors de l'eau et peinent à boucler leur fin de mois.

Contrairement à son livre précédent, qui s'attachait à décrire avec un réalisme saisissant le monde de la finance, « Les corps solides » prend la forme d'un conte romanesque contemporain où la Présidente de la République, surnommée « la Reine des abeilles » côtoie le patron d'un empire automobile surnommé « le Roi lion ».

Dans ce nouveau roman, le rapport de force entre les grands capitalistes et les hommes politiques a désigné son vainqueur, et si « la Reine des abeilles » tente avec un certain panache de jouer sa partition, c'est bel et bien « le Roi lion » qui est en réalité aux commandes.

Pour tenter de donner un nouveau souffle à un pays qui manque d'air mais pas de chômeurs, les élites dirigeantes d'un empire automobile et du monde des médias, ont concocté avec l'aide de consultants surdiplômés et l'aval de la Présidence un jeu pervers, déroutant de simplicité : « le jeu consiste à poser une main sur le véhicule. le dernier concurrent qui lâche gagne la voiture ».

Suite à un processus de sélection ciblé, les vingt joueurs désignés pourront participer à ce jeu méphistophélique, qui se déroulera en plein air, au bord de l'Atlantique, sous le regard inquisiteur de multiples caméras. le vainqueur aura, comme promis, l'opportunité de repartir au volant flambant neuf d'un pick-up tout terrain, d'une valeur dépassant cinquante mille euros.

Le décor est posé. L'intrigue nous conduit sur les traces de la belle Anna qui vend des poulets rôtis sur le marché et vit seule avec son fils Léo, treize ans, passionné de surf, dans un mobile-home au bord de l'Atlantique. Lorsque son camion-rôtissoire part en fumée suite à une collision avec un sanglier, l'héroïne rebelle comprend qu'elle risque de tout perdre, si elle ne trouve pas rapidement de l'argent. Son tempérament indocile et lucide la conduit à refuser de prendre part à un jeu pernicieux. Las, la succession d'infortunes qui continuent de s'abattre sur la destinée de la jeune femme ne lui donneront peut-être pas d'autre choix...

Le nouveau roman de Joseph Incardona continue de questionner la transformation d'un monde où l'argent, devenu roi, peut tout acheter, même la dignité. le « jeu » concocté par l'industrie automobile évoque un pacte faustien au rabais, où les participants sont prêts à donner leur âme pour cinquante mille euros. « Le Roi lion » y apparaît comme un Méphistophélès au petit pied, qui tente, avec la complicité de la sphère politique, de donner un nouvel élan à son empire. le monstre métallique à quatre roues motrices à gagner est devenu le nouveau veau d'or devant lequel se prosterne une civilisation à l'agonie.

Le personnage d'Anna, mère courage prête à tout pour son enfant, est aussi incarné que touchant, et Incardona réussit à faire monter la tension jusqu'à son paroxysme avec un talent indéniable. J'ai néanmoins regretté un certain manque de vraisemblance dans la trame narrative : cela fait plusieurs décennies que la voiture n'est plus l'objet du désir des années quatre-vingts, le « jeu » diabolique, placé au coeur de l'intrigue, paraît ainsi quelque peu décalé, et ne confère pas au roman la force de percussion attendue. Par ailleurs, le récit tire à l'excès sur la corde mélodramatique, un ressort trop facile pour un auteur du talent de Joseph Incardona.

Si « Les corps solides » abandonne le réalisme froid de « La Soustraction des possibles » au profit d'une forme de conte légèrement dystopique, l'auteur y poursuit sa dénonciation grinçante du néo-libéralisme, du règne de l'argent qui corrompt, qui gangrène, qui dévore. En soustrayant un à un les possibles qui s'offrent à Anna, l'auteur transforme son héroïne, sans peur ni reproche, en un Faust des temps modernes qui va devoir faire face à un Méphistophélès déguisé en capitaliste écoeurant de cynisme.

En revenant sur les ressorts voyeuristes et la quête de célébrité warholienne inhérents au « jeu », « Les corps solides » évoque « La société du spectacle » prophétisée par Guy Debord. L'argent n'est pas le seul moteur des participants à ce jeu qui menace de prendre leur âme : c'est aussi la recherche absurde d'une notoriété factice qui les conduit à se donner en spectacle, devant la foule, comme devant les caméras.

Le dernier roman de Joseph Incardona s'apparente ainsi à une fable au goût amer qui dénonce avec brio la dérive d'une société gangrénée par la cupidité et le voyeurisme, prête à sceller un pacte funeste avec les nouveaux démons de l'époque.
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La situation est dramatique pour Anna.elle ne pourra plus vendre ses poulets : un sanglier qui traversait la route devant son camion l'a plongée dans des abîmes de questions, avec en premier lieu comment s'en sortir pour ne pas se retrouver à la rue. D'autant qu'elle n'est pas seule, Léo, l'attend à la maison. L'ado est certes patient et compréhensif mais il a aussi de quoi de faire des soucis. D'autant que la vie scolaire n'est pas non plus un havre de paix pour lui, en proie à la bêtise d'un petit groupe de harceleurs. Heureusement le surf est là, présent dans sa vie, et le soutient à plus d'un titre.

Les solutions sont peu nombreuses, mais il faudra quand même que Léo force le destin pour qu'Anna accepte de participer à un jeu de télé-réalité ….

Le roman est une sorte de condensé de ce que l'on peut accumuler de coups bas qui peuvent rapidement aboutir au dénuement le plus total, et à la rue. Précarité, dépendance des banques qui enchaînent les emprunteurs, tentation de l'illégal … Sans intention au départ de recourir à ce qui vous met hors la loi, les démunis n'ont parfois pas vraiment le choix.

La deuxième partie est consacrée au jeu de télé-réalité, et l'auteur analyse avec beaucoup d'ironie le concept et met en évidence les mécanismes et les rouages qui font le succès populaire de ce type d'arnaque intégrale.

Un roman qui suscite une empathie profonde pour ses personnages principaux et une admiration sans arrière-pensée pour le talent de l'auteur à mettre en scène les dérives de notre société mercantile.


272 pages Finitude 25 Août 2022

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A la lecture de la 4ème de couv', le sujet m'a paru squelettique mais j'ai préféré faire confiance à une amie enthousiaste et à l'élégante et engageante couverture argentée. Et j'ai bien fait.

Ce qui me semblait décharné s'est très vite étoffé et s'est révélé être une satire sociale bien ficelée :
Rester le dernier à toucher une auto à cinquante mille euros pour la gagner, c'est dingo.
Et pourtant c'est ce que fera Anna sur l'idée de son fils Léo.

Ils n'ont plus un radis depuis qu'Anna à cause d'un sanglier a foncé dans les décors avec son food-truck de poulets rôtis. C'est ce qui leur assurait d'être un peu libre dans la vie.

« Tout ira bien mon lapin. Mon poulet, tu veux dire !... Les deux avaient ri. »

Ce qui me semblait comique s'est vite transformé en une hideuse histoire d'argent, d'influence et de pouvoir rendue croustillante par la puissance des médias, la convoitise et la cupidité des masses.
Joseph Incardona, lucide et tranchant condense dans ses pages une palette saisissante des comportements de chacun devant la possibilité d'une reconnaissance, d'un gain, qu'ils soient sponsors, politiques, concepteurs ou participants au projet.

« On attend d'eux qu'ils recouvrent le trivial par un vernis de sublime. »

Un peu de légèreté tout de même dans le choix de l'auteur pour l'environnement : une plage, l'océan, le 14 juillet approche, il fait beau, les badauds s'amassent pour regarder ces mains qui touchent sans fin la carrosserie immaculée de la voiture. « Parait que le programme cartonne. »

« Que touche-t-on le plus dans sa vie ? Les êtres aimés ? Soi-même ? le clavier de son ordinateur ? Son smartphone ? le volant de sa Voiture ? »

Pour Anna et Léo, c'est peut-être leur surf ? Cette passion où Anna a trouvé le bonheur et aussi le malheur et où le jeune Léo se révèlera…

Dans ce roman, j'ai apprécié les réflexions engendrées par les phrases pleines de sarcasmes et de dérisions.

Qui va gagner ? Que va-t-on y perdre ?
Avec des surfeurs on n'est jamais au bout du rouleau…
Oui, je suis d'accord, elle est nulle mais j'avais bien envie quand-même.

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Afin de pourvoir à ses besoins et à ceux de son fils Léo, 13 ans, Anna vend des poulets grillés sur les marchés de la côte atlantique, dans les environs d'un mythique site de surf. À la fin d'une de ses longues journées de travail, elle percute un sanglier avec son camion-rôtissoire et l'engin prend feu. Pour diverses raisons, elle ne sera pas remboursée, et à partir de là, les ennuis vont s'accumuler.
***
Joseph Incardona campe ses personnages dans un milieu social qui se situe à l'opposé de celui que nous avons fréquenté dans La Soustraction des possibles. Nous suivons cette fois ceux de « la France d'en bas » comme disait qui vous savez. Il semble bien que l'auteur aime les titres qui ouvrent de vrais univers… Les Corps solides restent solides à la température ambiante et ne se déforment pas facilement, mais il existe des solides durs et des solides mous (je paraphrase Vikidia). L'auteur va nous présenter plusieurs personnages qui incarnent les différents aspects de ces définitions, me semble-t-il. Anna et Léo vont traverser diverses épreuves qui les mèneront au bout d'eux-mêmes. En effet, en voyant sa mère tellement désespérée, Léo va avoir l'idée de l'inscrire à une émission de télé-réalité, un jeu stupide à la règle simplissime : il s'agit de garder la main le plus longtemps possible sur une voiture. Il y aura une vingtaine de participants et le gagnant partira sur le champ avec ce lot de 50 000 euros. Et Anna sera sélectionnée…
***
Je me suis attachée tout de suite à Anna et Léo, ces perdants magnifiques, plein de générosité, d'intelligence et de courage. J'ai été touchée par le beau couple que forment Jacob et Margaret, prêts à leur venir en aide, irréductibles optimistes qui appartiennent assurément au monde d'avant. D'autres personnages sont infiniment moins sympathiques : cette petite brute de Kevin, par exemple, qui harcèle et rackette Léo au collège, ou encore Charlotte, fausse amie jalouse et vindicative, pour ne citer qu'eux. Dans ce roman comme dans le précédent, Joseph Incardona excelle à mettre en lumière les travers de notre société, à faire ressortir son côté cynique et manipulateur. Il exalte le courage, l'honnêteté et la dignité d'Anna, l'amour que se portent la mère et le fils. Il leur prête une passion commune pour le surf et leur ménage ainsi des moments de complicité et, pour le lecteur, de respiration bienvenus. J'aime l'écriture d'Incardonna : précise mais jamais sèche, adoptant des rythmes irréguliers, des longues périodes jusqu'aux phrases composées d'un seul mot, sa manière d'aller à la ligne pour intensifier le moment. J'aime aussi trouver un « je » à la première page, intervention du narrateur/auteur qui disparaît avant de se transformer en un « nous » dans lequel le lecteur se sent inclus, un peu plus loin. J'aime aussi son rapport avec ses personnages qu'il tutoie, qu'il interpelle parfois, même si ces procédés sont beaucoup moins présents dans ce roman-ci. Bref, vivement le suivant !
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On achève bien les mères célibataires

Les Corps solides, le nouveau roman de Joseph Incardona est une pépite, bien dans la lignée de la soustraction des possibles. On y suit Anna, essayant de se sortir de ses problèmes d'argent en participant à un jeu de téléréalité particulièrement cruel. Implacable.

C'est le genre de fait divers qui ne fait que quelques lignes dans le journal. Après avoir heurté un sanglier, une fourgonnette a fini dans le fossé avant de prendre feu. Aucune victime n'est à déplorer. Mais pour Anna qui vit seule avec son fils de treize ans dans un mobil-home en bordure d'un camping du sud-ouest, face à l'Atlantique, c'est un gros coup dur.
Elle survivait en vendant des poulets rôtis dans sa camionnette et cet accident la prive de tout revenu. Sans compter que l'assurance ne lui accordera aucun remboursement sous prétexte qu'elle consomme régulièrement du cannabis.
Elle a bien quelque 2000 euros en réserve, mais sa fortune s'arrête à ce mobil-home qu'elle n'a pas fini de payer et à une planche de surf, souvenir de ses années où elle domptait les vagues californiennes, où son avenir semblait plus dégagé, où avec son homme elle caressait l'envie de fonder une famille et avait mis au monde Léo.
Un fils qui surfe à son tour et essaie d'épauler au mieux sa mère, même s'il est constamment harcelé par Kevin et sa bande. Il travaille bien au collège, revend en douce le cannabis que sa mère a planté dans un coin du jardin et décide d'envoyer un courrier aux producteurs d'un nouveau jeu de téléréalité dont le gagnant empochera un SUV de dernière génération valant plus de 50000 €.
Mais quand Anna découvre le courrier lui annonçant sa sélection, elle enrage. Pour elle, il est hors de question de s'abaisser à cette exploitation de la misère humaine. Elle a assez à faire avec ses emmerdes, avec ce sentiment d'oppression. «Cette sensation que, où qu'elle regarde, des bouts d'humanité s'effritent comme les dunes de sable se font happer sous l'effet des tempêtes.»
Elle préfère continuer à trimer comme femme de ménage affectée à l'entretien des mobil-homes avant l'arrivée des touristes. C'est alors qu'un nouveau drame survient. Rodolphe, son fournisseur de volailles, a été acculé au dépôt de bilan et s'est pendu dans son poulailler. Et Pauline, sa compagne, lui fait endosser la responsabilité de ce geste ultime. «"Fous le camp". Anna obéit. Elle avait besoin de ça, aussi. Besoin qu'on lui enfonce bien la gueule dans sa gamelle, qu'on lui fasse bien comprendre le rouage mesquin qu'elle représente dans la grande machine à broyer les hommes.»
C'est dans ce tableau très noir, que Joseph Incardona souligne avec son sens de la formule qui sonne très juste, que le roman va basculer dans l'horreur. Anna finit par accepter de participer au jeu pour tenter d'assurer un avenir à Léo, pour trouver davantage de stabilité. La règle du jeu en est on ne peut plus simple: les candidats doivent se tenir au véhicule et ne plus le lâcher. le dernier à tenir a gagné.
On pense évidemment à On achève bien les chevaux de Horace McCoy, ce roman qui racontait les marathons de danse organisés aux États-Unis durant la Grande dépression et qui récompensait le dernier couple à rester en piste. Mais aujourd'hui, des dizaines de caméras filment en permanence les candidats, que le public se presse, que les réseaux sociaux jouent leur rôle de caisse de résonnance. Ce beau roman social, ce combat insensé d'une mère célibataire dénonce avec force les dérives médiatiques. Mais le romancier en fait aussi une formidable histoire d'amour, celle qui lie sa mère et son fils, et qui nous vaudra un épilogue étourdissant
Après La soustraction des possibles, superbe roman qui nous entraînait dans la belle société genevoise, Joseph Incardona confirme qu'il est bien l'un des auteurs phare de la critique sociale, aux côtés de Nicolas Mathieu ou encore Franck Bouysse.


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Toucher la bagnole pour toucher le pactole, comment ne pas être touché par cette situation folle ?
Comment ça, on touche le fond ?

Elle s'appelait Anna, rappelle-toi, elle avait Léo et les bas.
Léo c'est son minot, les bas c'est la guigne pas legging, car jusqu'alors, ce qu'elle a touché, c'est pas l'or, c'est le fond.
Elle vend à ceux qu'ont la dalle, des poulets rôtis, car sa destinée fatale, c'est d'payer les crédits.
Mais un sanglier sur la route, comme c'était laie, ce fut vite la banqueroute, un vrai coup de balai.
Alors le fiston, qui voulait des biftons, après l'échec de la beu, l'a inscrite à ce jeu.
Elle voulait pas la môman, vendre son âme, mais ça va un moment, le ventre réclame.

Juste maintenir le contact, c'est le cas de le dire, tenir avec la main un morceau du gros lot, mais sans jamais lâcher le morceau, la gauche ou la droite c'est comme on veut, politiquement correct. Comme à la marche, toujours un pied au sol, mais ce n'est pas de la course, c'est du surplace.
Ce n'est pas le pied, c'est éprouvant, tenir avec une main, tenir jusqu'à demain, et plus si affinité, y a pas de temps limité.

"Et si on pouvait les comptabiliser, au final, les êtres et toutes ces choses qu'on touche dans sa vie ? Que touche-t-on le plus ? Les êtres aimés ? Soi-même ? le clavier de son ordinateur ? Son smartphone ? le volant de sa voiture ?"

Cynisme, perversité, voyeurisme, cupidité, tous les travers d'une société mercantile sont réunis dans ce jeu de télé-réalité.
On achève bien les chevaux, 190 sous le capot du pick-up, ça attise la convoitise.
Vingt concurrents au début du bouquin, et à la fin il n'en reste plus qu'un !

Je ne peux m'empêcher de penser au  Marche ou crève  de Stephen King.
Bon, d'accord, on ne va pas les achever un par un, ils peuvent s'exclure d'eux-mêmes et repartir en vie.
Alors,  La grande course de Flanagan  de Tom McNab, courir jusqu'à l'épuisement dans cette traversée des USA, là aussi pour toucher le pactole et devenir l'idole.

Oui, mais là, point de déplacement, facile à filmer autour de la bagnole, ça va pas coûter un rond à la production, facile à gérer pour la protection, peu de risques d'insurrection.

"Et cette proximité, cette évidence, cet espace occupé, dit, affirme et atténue le malaise : l'autre est là. L'autre existe et nous existons avec lui. Et, déjà, cet espace occupé apaise, il est le socle sur lequel tout reprendre à zéro."

L'action se déroule en bord de mer, la camera zoome, vue d'hélicoptère.
Le podium est en plein soleil, il faut tenir même en sommeil.
Comme il est dit dans le scenario, gros plan de la main sur le capot.
Comme il est précisé sur le script, filmer la sueur et les mimiques.
Ainsi soient-ils, tous les vingt dans la file.

Au fil des heures, ça diminue, souffrances et pleurs, n'en j'tez plus.
Au fil des jours, c'est la finale, y a plus d'amour, rien que du mal.
Ainsi soient-elles, deux mains pour deux rebelles.

"La vie s'en fout, c'est son insolence et sa grandeur. Même vieux, usé, abattu, il ne faudrait jamais perdre l'insolence. le fait d'être là, simplement d'être là vivant, est déjà un défi en soi."

Les corps solides dans le décor, avant la rigidité des corps.
Léo est parti sur la mer, le regard fixe de la mère.
Lâcher la main, tourner la clé, vroum à fond vers le lagon.
Ainsi est-elle, le père à la mer, le fils à la mère.

Vous l'aurez compris, ça se termine bien.
Les bas-fonds de la société, Léo fond vers la liberté.
Simpliste, l'histoire ? Irréaliste ? En tout cas, addictive.
J'ai tourné les pages, happé par le style, direct et envoûtant.
C'est le premier livre que je dévore de cet écrivain.
Il a réussi son numéro, faire réfléchir sans oublier de divertir.
Je suis tombé dans le panneau, je suis allé au bout, les audiences ont battu des records.
Il m'a touché, c'est foutu.


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On achève toujours aussi bien les chevaux au 21ème siècle qu'au précédent, la vulgarité de l'époque et la caisse de résonnance télévisuelle en plus.
Au centre de ce roman comme dans celui d'Horace McCoy de 1935 : un jeu absurde, stupide et cruel pour un public avide et bestial, auquel se prêtent des candidats amenés à cette extrémité par la misère.
La différence, c'est cette misère, plurielle en ce début de siècle : économique bien sur, comme c'est le cas de l'héroïne acculée par ses dettes à trahir ses idéaux de liberté et de fierté, mais aussi sociale, existentielle avec des candidats prêts à tout pour l'image, pour la possession matérielle, pour l'illusion d'un dépassement de soi en gagnant ce jeu à règle unique : toucher une rutilante voiture et être le dernier à la lâcher.
L'empathie fonctionne à plein avec Anna, jeune femme fière et lucide qui se bat avec rage pour garder la tête hors de l'eau et protéger son fils, avec leur relation magnifique tout au long du roman. En revanche, j'ai eu un peu de mal avec certains aspects caricaturaux du récit, en particulier la représentation d'un pouvoir élitiste sur son Olympe, destructeur d'humanité C'est vrai, mais j'aurais aimé plus de finesse dans l'évocation.
Beau roman qui dit l'époque dans toute sa crudité, quand même.
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Une belle découverte pour moi, cet auteur.
C'est d'abord un style, l'auteur écrit très très bien, on est tout de suite proche des personnages. de très beaux personnages, comme Anna, 35 ans, veuve et élevant seule son fils de 13 ans. Ils habitent dans un mobil home près de l'océan Atlantique et pratiquent le surf. Lorsqu'Anna rentre dans un sanglier un soir sur la route, son destin bascule car sa camionnette ( rôtisserie de poulets), outil de travail, est détruite. Elle devra alors trouver rapidement d'autres moyens de survivre pour rembourser ses prêts . Vient alors l'idée de participer à un jeu complètement dingue. 20 candidats prêts à tout pour gagner une voiture. Tous doivent toucher cette voiture et garder la main dessus, celui qui lâche a perdu. Ces candidats sont tous assez désespérés et en manque d'argent pour participer. Anna a toutes ses chances.
Ce qui est marquant aussi dans ce roman c'est la description de l'amour entre Anna et Léo.
Un roman original, qui dit beaucoup de choses sur notre société et qui me restera sans doute longtemps en mémoire car marquant.
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