Fred «Bogus» Trumper est un sympathique looser, doté d'une confiance en soi-même quasiment nulle. Il prépare depuis plusieurs années une thèse qui consiste à traduire une sombre épopée écrite en nordique primitif inférieur, langue qui a définitivement sombré dans l'oubli, ce qui oblige notre héros à inventer de son mieux une bonne partie des vers. Pour ajouter à ses malheurs, il a un soucis urinaire, qui l'oblige à choisir entre accepter les douleurs, renoncer à toute vie sexuelle, boire des litres d'eau tous les jours ou subir une opération. Peu enthousiaste à l'idée des deux premières, et terrifié par la dernière, Fred choisit la solution aqueuse.
On est entraîné par des bonds incessants entre les trois parties de sa vie les plus importantes : sa rencontre avec sa première femme, sa vie avec celle-ci, et sa vie avec sa seconde femme. Fred est entouré d'amis particuliers, comme un diabétique qui disjoncte au moindre manque de sucre, ou un apprenti cinéaste qui se lance dans des projets totalement inintéressants, et qui tient à s'inspirer de la vie de Fred pour son prochain film.
Le récit est un peu décousu, et les sauts dans le temps pas toujours facile à suivre, mais les situations absurdes s'enchaînent, et les éclats de rire ponctuent chaque chapitre.
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Fred «Bogus» Trumper. C'est presque un ami désormais et son nom sonne à mes oreilles comme celui d'un proche, c'est à dire différemment. Ce livre est resté longtemps sur la pile de mes «restent à lire» (le RAL ou plutôt «le rââââle»).
Mes yeux glissaient sur sa couverture décorée d'un drakkar et sur le résumé de la quatrième. Je savais. Je pressentais. Ce livre allait parler de moi et venir titiller ma personne, c'est donc pour cette raison impérieuse que j'en ai repoussé la lecture pendant des années.
Jusqu'à ce jour.
Une sorte de suspens, l'attente gourmande d'un plaisir que j'ai voulu prolonger au maximum. Glace laissée sciemment au congélateur littéraire et que l'on garde pour la déguster lorsque le film le méritera enfin.
J'avoue que j'ai été touché par certains points très intimes de ce récit qui m'ont fait penser à ma vie. Des points de détails. de petits cailloux qui m'ont fait suivre ce récit avec d'autant plus d'intérêt.
Quand un ou des personnages arpente(nt) les mêmes chemins que les vôtres on ne peut pas le(s) détester. Pas complètement en tout cas. Mon avis est donc susceptible de partialité, pouvant donc verser à tout moment dans la partialittérature.
Oui, Fred est un bidon comme on le surnomme. Un raté. Mais ce n'est pas permanent ; c'est un état fluctuent chez lui, surtout en amour où il a du mal à prendre les décisions et les caps importants qui font qu'une relation avance. Pour moi il est de la famille des «beautiful losers». Il est navrant mais amusant comme l'ami qui se fait une spécialité du récit de ses galères, mettant son ego de côté dans le seul but altruiste de faire rire ses potes.
Bogus, c'est le désopilant désolent . Celui qui nous fait dire :«noooooooooooon !!!» à l'écoute de ses aventures.
Ses déboires sont d'ailleurs toujours adoucis par l'humour voire le burlesque des situations et par le sens de l'humour d'Irving qui n'est pourtant pas toujours dénué de sarcasmes.
Il y a des pages géniales que j'aurais voulu citer en entier. Notamment le chapitre 17 intitulé «Conséquences de l'échec de la méthode aqueuse», qui commence par la description de la salle d'attente du Dr Vigneron, urologue français que Bogus déteste du plus profond de son urètre «étroit et sinueux». C'est un petit bijou de description qui vient faire écho au duel oratoire d'introduction, lui aussi savoureux
C'est là où certains lecteurs n'ont peut-être pas pu juger de la pertinence et de la drôlerie d'Irving. Il faut avoir attendu dans un hall l'introduction d'une caméra dans son canal urinaire pour cela...
Là encore, on se doute qu' Irving s'est énormément documenté, ne laissant rien au hasard ; comme à son habitude.
Je prends plaisir à l'imaginer parcourant les revues médicales, scrutant les clichés médicaux illustrant syphilis, blennorragie ou cystites aiguës. Ne le verriez-vous pas assister à une conférence à New-York intitulée «An overview of the Genitourinary Disorders», prenant consciencieusement des notes sur un petit calepin, à moitié plongé dans le noir?
D'autres passages sont irrésistibles également comme la tragique et spectaculaire fin de ce canard dans la zoo d'Iowa City, noyé mais le cul au sec ou le calamiteux retour de la crapuleuse «chasse aux canards» (décidément) près du réservoir de Coralville.
Un personnage m'a particulièrement ému, c'est Merril Overturf. L'ami de Bogus. Un fou merveilleux, un risque-tout bordélique qui joue à la roulette russe avec son diabète. Ignorant superbement sa maladie et refusant la modération obligatoire qu'elle lui impose, il se suicide au glucose, à grand feu. Peu de traits psychologiques chez ce personnage mais toujours de l'action, de l'outrance et des piques acérées. Il occupe l'espace et les souvenirs de Bogus par ses «faits d'armes» bien plus que par ses paroles. C'est une sorte de héros nihiliste qui traverse le roman et le parsème de crises d'hypoglycémies sévères ou d'hyperglycémies homériques.
Il est souvent lié au rêve, au délire et par une filiation directe à une certaine poésie. C'est d'ailleurs de lui que vient l'une des plus belles images de ce roman : celle de ce tank immergé dans le Danube qui continue à pointer son canon borgne vers la surface, à travers les eaux noires. On ne peut le voir que lors des nuits de pleine lune si on se trouve au bon endroit et que l'on se place de telle façon qu'il apparaît, comme par magie. Quelques instants fugaces avant de s'évanouir à nouveau dans les ondulations du fleuve, fantôme sorti tout cuirassé du passé, tout comme Merril.
Beaucoup de thèmes aussi dans ce livre : L'amour à deux et la jolie addition qui fait que l'on va passer à trois et que tout le monde n'est pas bon en mathématique. L'amitié masculine, qui dure malgré tout, malgré les blessures que l'on se fait, les coups de putes parfois. le père face auquel l'homme adulte doit souvent lutter pour se positionner à son tour face à l'épineuse question de la paternité.
Certains ont trouvé que ce roman était un peu décousu, mal construit. Je suis pour ma part convaincu que cela résulte d'un choix délibéré d'Irving tendant à renforcer l'image d'un Bogus éparpillé, tiraillé entre ses amours, ses infections urinaires à épisodes et ses souvenirs.
Rien n'est planifié dans cette vie-là. Trumper n'est qu' un calcul laissé à la merci de la vidange urinaire des événements. Un flot ininterrompu d'ennuis, de douleurs, de bourdes qu'il subit en tentant d'y survivre quitte à se rattacher au passé, à cet avant qu'il essaie de retrouver. Il joue ainsi à l'archiviste, enregistrant des voix sur cassettes, montant des images sur bandes, étudiant les langues les plus mortes que l'Europe ait pu conservées. Il revient sur les traces de son passé, l'arpente continuellement, le rumine jusque dans l'écriture. Tout se chevauche,se croise et parfois se brouille comme souvent dans nos vies.
Le titre de ce roman, à l'origine ne devait-il pas être «Fucking Up» ?
Tout un programme.
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Il y a un ton flirtant entre l'humour et le pathétique dans ce roman. le personnage principal est un cas. Il est indécis et sa vie est relatée soit par lui, soit par un narrateur extérieur. C'est parfois perturbant, parfois très drôle, un peu loufoque mais enrichissant car nous suivons à travers ce dédale de situations l'évolution psychologique de ce personnage et son accession à une forme de bonheur. J'ai passé un bon moment.
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Un bon bouquin à mon avis, mais il faut dire que j'apprécie beaucoup l'écriture de John Irving. C'est pour cela que je lui ai laissé sa chance, car le début du livre m'a paru bien poussif... heureusement, l'auteur m'a rapidement pris dans son jeu et c'est à un rythme effréné que j'ai terminé la lecture de ce roman.
Ce type d'intrigue est toujours particulier, car il vous met au contact d'un personnage principal profondément antipathique, quoique touchant par moments. On se retrouve obligé de suivre les péripéties burlesques d'un type qu'on aurait envie de baffer quatre ou cinq fois par (court) chapitre. "L'épopée du buveur d'eau" est très tourné "satire des moeurs", avec comme souvent dans l'oeuvre de John Irving un regard important sur les personnages d'enfants.
Bourré de situations ridiculement drôles, de réparties acides et de personnages féminins désespérées par la veulerie de leurs compères, je me suis vite laissé capter par l'ambiance mi-comique, mi-sordide qui se dégage de ce livre. Le tout sans regrets.
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Fred "Bogus" Trumper est un aimable jean-footre qui (je ne sais plus où j'ai pêché l'expression) mène sa vie comme un chien crevé qui se laisse aller au gré du courant..
Et ça l'amène, bien malgré lui, à des situations surréalistes qui nous font pleurer de rire...
Il illustre parfaitement la "loi de Murphy" qui assure que, si ça peut mal tourner, ça tournera forcément mal, et au pire moment...
Je pense au fiasco de la partie de jambes en l'air avec sa mignonne petite élève, qui se continue par de l'auto-stop au sein d'une partie de chasse et se finit sous les yeux de sa femme avec une outre au bout du zizi parce qu'il avait oublié, en allant aux toilettes, de retirer son préservatif...
On en rit d'autant plus volontiers que les gags ne sont jamais tragiques, mais qu'on est bien content de trouver un Bogus encore plus Bogus que soi...
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Livre très drôle et loufoque , dont la construction peut dérouter : les chapitres alternent deux périodes de la vie du héros et passent de la 1ère personne à la 3ème personne et inversement. Mais une fois rentré dans le livre, on s'y habitue vite et on suit facilement les méandres de l'histoire.
Ce roman, pourtant écrit en 1972, est très contemporain par sa mise en scène de personnages un peu paumés, pas vraiment dans le moule de la conformité sociale, ses scénettes passant du coq à l'âne (qui m'ont fait penser à un film de Gondry), son tableau de relations conjugales cahotiques.
On trouve dans ce deuxième roman d'Irving quelques-uns de ses thèmes de prédilection, tirés de son expérience personnelle : L'Iowa et la Nouvelle Angleterre, Vienne, la lutte, l'absence du père.
J'ai apprécié le clin d'oeil à la métafiction : un film sur la vie du héros dans le roman qui est lui-même le récit de la vie du héros, la fin du livre où le héros se met à écrire quelques phrases qui sont celles du début du roman.
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C'est le premier roman de l'auteur que je lis dans lequel on ne suit pas le personnage principal dès l'enfance. On rentre dans la vie de Trumper en court de route en faisant de temps en temps des bonds en arrière vers son passé pour ensuite revenir au présent. Ce n'est pas le roman d'Irving que je préfère, mais j'ai passé un bon moment à le lire.
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