Une trentaine de pages écrites entre 2012 et 2020. Suscitées par des instants de poésie pure : au cours d'une déambulation dans une campagne de fin d'hiver, grise et endormie, le son limpide de la cloche d'un couvent proche, celui de
la Clarté Notre Dame.
De ce bref moment,
Philippe Jaccottet extrait toutes les nuances perceptibles de ce qu'il a entendu comme un appel.
Et c'est cela, cet appel, qui va être la trame des pages suivantes. Appel à une transcendance, à un Très-Haut, dont l'homme très âgé, ressent à la fois l'inquiétude et l'incertaine nécessité. Et en parallèle, le questionnement sur le sens que pourrait prendre la vie écoulée, cette vie consacrée aux mots, à la poésie, la sienne, et celle des auteurs qu'il a aimés.
Avec, en contrepoint d'une existence, tout compte fait, protégée, cette scène d'épouvante dont
Philippe Jacottet a entendu la relation lors d'un reportage : un journaliste relâché d'une prison syrienne, parcourant le couloir qui l'amenait à la libération, entendait les cris, derrière les murs, de ceux que l'on continuait à torturer.
La mémoire de
Philippe Jaccottet a fait sienne cette scène qu'il n'a pourtant pas vécue. Et c‘est sur elle qu'il achoppe, inévitablement, malgré la poésie. C'est elle qui anéantit l'espoir d'une réponse heureuse au questionnement existentiel «... comme si, à la fin du parcours, aucune parole n'échappait à la violence de bien pire qu'un orage. »
Mais plus tard pourtant, revenant à certains souvenirs de voyages, à ses notes, à ses anciens
poèmes, aux vers qu'il a retenus d'
Hölderlin, il trouve une cohérence, qui éclaire tout son parcours, dans la constance, la répétition de son émotion, celle « liée à un lieu religieux anodin, une petite chapelle, même modeste, même quelconque, pas même décorée, ou une crypte (...) rencontre, inattendue souvent, inespérée, et pourtant... peut-être poursuivie en le cherchant, du sacré. »
Les derniers mots, d'une sagesse rassérénée, de cet ouvrage sont datés du 7 juin 2020, soit moins de neuf mois avant la mort de l'auteur.
J'ai lu «
La Clarté Notre dame » une première fois, il y a plus d'un an. Je venais d'ingurgiter, en toussant souvent, le journal péremptoire, très conventionnel, assez insupportable d'arrogance, d'un auteur du début du 20ème. J'avais d'autant plus aimé, savouré, l'humilité subtile dont
Philippe Jaccottet fait preuve dans ses doutes et son questionnement.