Laurent Jouannaud, né en 1962, est agrégé de
lettres.
Il a écrit en 2003 "
Toxiques : Quand les livres font mal"
Il s'agit d'un essai littéraire sur sept
oeuvres que l'auteur qualifie de "toxiques" parce qu'elles ont désenchanté sa jeunesse.
Ne nous y trompons pas : il s'agit, en fait, d'une ode au pouvoir de la littérature, qui nous forme à la vie en nous déformant avant d'avoir vécu, dangereux paradoxe que celui du blasé qui n'a pas joui... mais auquel il ne renoncerait pas.
C'est que
Laurent Jouannaud entretient un rapport passionné et complexe avec le tragique : la littérature nous prépare-t-elle aux déceptions de la vie ? Dit-elle vrai ? Et quel est le prix de la lucidité ?
Enorme est le prix de la lucidité car il oblige au sacrifice du bonheur en faveur d'une tristesse de fond qui n'est pas incompatible avec les joies éphémères : les seules que nous puissions atteindre. Mais qui sont la trame de nos existences.
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Charles Baudelaire a été le premier empoisonneur de la jeune existence de
Laurent Jouannaud et lui a infusé ce spleen sans vraie cause en lui révélant que c'était le sien aussi ;
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Louis-Ferdinand Céline, à travers son voyage, a agité de sinistres hochets :
guerre, méchanceté et lâcheté irrémissibles des hommes, pauvres et riches, victimes et bourreaux ;
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Arthur Rimbaud, à qui la poésie ne suffit pas et qui l'abandonna ;
- L'empereur Hadrien de
Marguerite Yourcenar qui devint empereur par hasard et qui ne sut jamais quel était, parmi les masques qu'il avait portés, celui qui lui ressemblait le plus ;
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Albert Cohen et sa "
Belle-du-Seigneur", qui convainc le lecteur que l'on est jamais aimé que pour ce qui est impermanent en nous (beauté, gloire, jeunesse), c'est-à-dire pour ce qui n'est pas nous, et que l'amour-passion lui-même est tout aussi périssable que son objet ;
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Marcel Proust, dont le narrateur, un prénommé "Marcel" créa la dangereuse illusion d'être l'écrivain soi-même et faillit anéantir la jeune vocation de l'auteur pour avoir suivi trop longtemps ce modèle de fausse procrastination : ajourner, ajourner pour toucher un jour le sublime, au risque de ne vivre ni sa vie ni son art ;
- Enfin
L'Innommable de
Beckett, auquel manquent les mots pour se dire, ce qui est bien le comble pour un écrivain.
Ce petit volume (146 pages) est extrêmement séduisant. Je l'ai lu d'une traite. Il a été initialement publié aux Presses Universitaires de France puis réédité en 2015.
Il m'a apporté, outre le plaisir de lecture, un bénéfice secondaire non négligeable : celui de me réconcilier un peu avec
Baudelaire dont l'orientalisme m'a toujours rebuté. Eh bien, peut-être l'arbre m'a-t-il caché la forêt : il n'y aurait pas que de l'orientalisme chez
Baudelaire. Je vais y jeter un oeil nouveau.