Âme sensible, s'abstenir. le roman de
Jaroslav Melnik s'adresse à un public averti.
Non pas à cause de références sexuelles, mais bien par son sujet même, à savoir la création à un moment de l'Histoire, par eugénisme et bidouillages biologiques, d'une catégorie d'humains destinés à perdre leur humanité. Pourquoi ? Parce que ces nouveaux animaux anthropomorphes, dociles et stupides, remplissent deux fonctions : remplacer la main-d'oeuvre - libérant ainsi le reste des « Hommes » pour des fonctions plus hautes, intellectuelles ou créatives - et servir également et surtout de bétail pour l'alimentation. Oui… vous avez bien lu.
Les décennies passent et les Hommes ne se posent plus de questions : ils exploitent dans de grandes fermes des troupeaux de stors, les amènent à la reproduction, puis les abattent et les dépècent. Et à table !
Jusqu'à ce qu'en cette année 3899, quelques voix s'élèvent et clament que les stors possèdent toujours une part d'humanité, que les enfants stors élevés avec des enfants humains apprennent à parler et finissent par ne plus montrer de différences.
Est-ce à dire que durant toutes ces années les Humains n'étaient rien d'autre que des cannibales ? Que faire devant cette vérité ? La renier, la cacher, l'opprimer, l'accepter ? Et quelles suites donner ? Intégrer les stors à la « communauté « humaine » ? Mais qui va faire le travail ? Et quoi manger ?
Dima, exploitant d'une petite ferme de stors, journaliste et boucher, commence à douter lorsqu'une femelle de son cheptel, Macha, semble montrer un comportement « humain ». Biais cognitif ? Idée fixe ? Ou réalité ? Dima se pose beaucoup de questions, jusqu'à ce que te temps de l'action le rattrape.
En parallèle à ces monologues intérieurs et ses questionnements, le lecteur peut prendre connaissance d'écrits philosophiques et éthiques parus dans le journal officiel du Reich et l'organe d'opposition.
Car oui, évidemment, nous sommes dans un Reich mondial, le quatrième. Si toutes les idées nazies n'ont pas été suivies, la recherche, voire l'atteinte d'un « surhomme » est toujours d'actualité.
L'auteur, affranchi de tout interdit éthique par le label « roman de SF » n'épargne à aucun moment ses lecteurs ni ses personnages. Toutes les voies, des plus abominables au plus irréalistes, sont évoquées ; l'absurdité et le jusqu'au-boutiste détaillés sous toutes leurs formes. Car la société est dans une impasse.
Forcément, le lectorat de 2024 ne peut pas ne pas faire de lien avec la vague végétarienne, avec les appels à un meilleur traitement des animaux, des images insoutenables tournées en caméra cachée dans les abattoirs. Il ne peut non plus faire l'impasse sur les conditions de vie de certains travailleurs, sur leur exploitation et donc sur la notion même de « qualité de vie » et d' « être humain ». Je ne parle même pas de la condition de la femme ni de celle de la femelle, ventre pour procréer ou esclave dans la cuisine : il est question de surhomme, pas de surfemme !
Ce roman, écrit en 2013 en VO russe par un auteur ukrainien, ne peut enfin que faire un d'oeil cynique à notre actualité.
Hautement recommandable, «
Macha ou le IVe Reich » est un livre à lire, si possible en étant en forme !