Je suis subjuguée par le style de
Laura Kasischke. D'un fait divers banal, sa mère a quitté abruptement le domicile conjugal, elle le transforme en conte « livide », en fait d'hiver transparent et fragile comme les flocons de neige qui se déposent dans ses pensées et sur les pelouses de sa banlieue ennuyeuse. Il y a beaucoup de silences glacés et blancs comme les non-dits mais c'est aussi très noir ! L'habileté glaciale de l'auteure à nous emmener avec elle sans lâcher le livre est machiavélique. Coup de coeur !
Garden Heights est une ville de banlieue modeste (mais clean) de l'Ohio, les maisons ne sont pas en « dur » pour la plupart, elles se ressemblent toutes maison y respire du Mr Propre et du politiquement correct. Kat a seize ans quand sa mère, Eve, disparaît, prévenant son mari par téléphone qu'elle ne reviendra plus. Ce qui choque au début (et jusqu'à une partie avancée du livre), c'est l'absence totale d'émotions, de questionnements de la part du mari et de Kat. Elle semble soulagée de cette disparition, pouvant ainsi mener sa vie sexuelle avec son petit ami Phil à sa guise. Quelle idée enfin de disparaître pile au moment où ses hormones sont en ébullition ! Kat raconte, elle parle sans cesse de sa mère et malgré certains détails, longtemps nous n'avons qu'une image floue et évanescente d'Eve, belle, parfaite épouse et désespérément malheureuse avec son mari prévisible. Pas de violences physiques, pas d'alcool, je vous l'ai dit, en surface tout est propre, congelé par la rigueur des hivers de l'Ohio ou dans le congélateur du sous-sol où sont accumulés les menus six mois à l'avance. » Elle a vieilli un peu plus chaque jour – de cette façon qu'ont les épouses et les mères d'âge moyen d'être de moins en moins visibles à l'oeil nu ». (p. 29).
Pourquoi et j'ajouterais, comment Kat ne peut-elle avoir aucune idée de l'endroit où pourrait être sa mère ? Tout comme la propre mère d'Eve, Zeena qui dira : « L'enfer sera gelé bien avant que cette femme revienne. C'est ma fille, elle a la fuite dans le sang. » (p.164). Un hiver passe, puis un autre (comme si l'été ne faisait que survoler l'Ohio), Kat entre à l'Université, ses yeux vont se désiller, grâce à la psy qu'elle voit depuis le début mais aussi grâce aux questions qu'elle ne s'était jamais posées auparavant. Là je ne peux décemment vous en dire plus sans déflorer le livre… Il y a déjà un indice majeur dans ce billet que reconnaîtront celles et ceux qui l'ont lu…
Le style de
Laura Kasischke peut être cru quand Kat parle de ses parties de jambes en l'air mais il n'ôte rien à la poésie imagée du reste. Un livre très fort où l'on peut sentir les ongles de Kat (ou de
Kasischke) nous rentrer dans la peau et y laisser une marque brûlante. Un texte qui peut déranger également car la relation mère-fille n'y est pas magnifiée et la fin dont on ne se doute pas une seconde, nous renvoie à d'autres interrogations. Un livre à fleur de peau, à fleur de mots qui glisse comme sur les plaques de verglas traîtresses et dont on se relève le coeur au bord des lèvres, estomaqué ! Avec le sentiment de tenir un petit bijou au creux de la main.
Un extrait pour la route : » Etre une de ces lycéennes populaires, c'était un peu comme être un lapin, une créature tremblante et éphémère, un simple désir vaporeux, plein de sagesse rétrospective, qui sautille. Une essence, une légère bulle d'air, de l'énergie fantasque qui entre et sort vivement d'un bas de jolie fourrure claire, sur le point d'être dépecée, membre par membre, par le chien égaré du Temps. » (p.177).
Lien :
http://leslecturesdasphodele..