En général, on correspond pour se rapprocher de l'autre, pour communiquer avec lui, du moins le croit-on. Mais peut-être est-ce surtout de son éloignement dont on fait alors l'expérience. Il y a en effet dans le geste épistolaire une fondamentale équivoque, dont l'exploitation conduit aux frontières de l'écriture poétique. La lettre semble favoriser la communication et la proximité; en fait, elle disqualifie toute forme de partage et produit une distance grâce à laquelle le texte littéraire peut advenir. Si l'écrivain voulait communiquer, il n'écrirait pas, et cette possibilité idéale de ne pas communiquer est sans doute la raison pour laquelle il entretient souvent des correspondances volumineuses, acharnées, s'efforçant inlassablement de convoquer autrui pour mieux le révoquer.
Fondation Agalma - Entretien avec Vincent Kaufmann