La lecture des mémoires de
Buster Keaton sont intéressantes à plus d'un titre. Elles nous plongent d'abord dans une époque d'insouciance et de foi en l'avenir, ensuite elles nous permettent de découvrir la naissance du cinéma à travers le point de vue d'un de ses pionniers, enfin elles nous font pénétrer la pensée d'un créateur touche-à-tout.
Beaucoup d'anecdotes émaillent le livre.
Buster Keaton aime autant parler de l'invention de ses plus célèbres gags que des farces parfois dantesques que les gens des débuts d'Hollywood aimaient à se faire entre eux. Il a peut-être finalement une préférence pour ces dernières, ce qui fait que cette autobiographie d'un homme de cinéma prend plus d'une fois des chemins de traverse pour échapper à son sujet qui n'a pas l'air de passionner son auteur !!! On finit par comprendre que la star du burlesque est véritablement modeste et se demande, au fond, qui peut bien être intéressé par l'histoire de « ses petits films » !
D'où une certaine frustration de ma part qui attendait davantage de détails sur les coulisses des tournages, la naissance des idées…
Se cassant une jambe sur le tournage du court métrage « La Maison démontable », terminant le long métrage « Sherlock Junior » avec des vertèbres cervicales fracturées (ce qu'il ne découvrira que des années plus tard), les talents d'acrobates, de clown et de cascadeur de Keaton sont mis à rude épreuve car on n'apprend qu'il n'était jamais doublé. Certaines séquences étaient si dangereuses qu'il n'y avait qu'une seule prise !
Improvisant en direct, profitant du moindre accessoire ou des bonnes idées de son entourage (Keaton rend à César ce qui est à César et revient plusieurs fois sur l'importance du travail en équipe, une méthode acquise lors de sa formation familiale sur les planches du music-hall), son art est en grande partie instinctuel et spontané. Mais, attention, n'oublions pas qu'il avait aussi un sens très fort des possibilités techniques de la caméra. Il emploie les effets spéciaux (surimpression, caches pour se dédoubler, montage) de façon magistral, par exemple dans « Sherlock Junior » où son personnage entre dans un écran de cinéma, à l'instar du film de
Woody Allen « La Rose pourpre du Caire » six décennies plus tard.
On découvre cependant une belle personne derrière la célébrité, quelqu'un qui a vécu et qui regarde avec philosophie les hauts et les bas de son parcours. Un Keaton bon-enfant, assez naïf, très humble. Pour quelqu'un qui a connu la gloire, c'est assez surprenant de ne pas enjoliver son génie dans un temple littéraire écrit pour raconter sa carrière. Mais le roi du burlesque a connu aussi de sales périodes (alcoolisme, divorce) qu'il n'omet pas dans ses mémoires, sans toutefois s'appesantir dessus et en faisant preuve de beaucoup de pudeur.
Peut-on dire que
Buster Keaton s'est livré dans ses personnages ou que son (ses) personnage(s) l'ont façonné ? Un peu des deux sans doute.
Certains ont vu en lui un pionnier du surréalisme et un pourfendeur de la folie écrasante du monde moderne.
Buster Keaton se défiait des étiquettes et ne se voyait d'ailleurs pas comme un génie. Pourtant génie il y a dans cette oeuvre. Mais l'homme qui ne rit jamais, tel un Monsieur Jourdain, pratiquait la poésie pure à l'état visuel sans le savoir !
Le seul vrai reproche que je formulerai à l'encontre de cette autobiographie s'adresse donc à son auteur que j'admire. La légèreté avec laquelle il survole son travail est tout à son honneur mais ne rend pas justice à ses créations.
Buster Keaton se considérait comme un amuseur, un clown au service du public pour lequel sa gratitude était totale. Il se s'estimait chanceux d'avoir eu la chance de passer sa vie à faire ce qu'il aimait. Il en oublie la somme de travail nécessaire, son abnégation à son métier, son plaisir à donner le meilleur et la puissance formelle de ses comédies qui restent des sommets abasourdissants d'inventivité et de poésie.