« Ils disent que je dois mourir. Ils disent que j'ai volé à ces hommes leur dernier souffle et qu'ils doivent voler le mien. Comme si nous étions des bougies - je vois palpiter leurs flammes graisseuses dans l'obscurité et le mugissement du vent. Et je crois entendre des pas déchirer le silence. D'horribles pas qui viennent à moi, qui viennent pour éteindre et emporter ma pauvre vie dans un ruban de fumée grise. Je me disperserai dans l'air nocturne. Ils nous éteindront tous, un à un, jusqu'à ce qu'ils ne s'éclairent plus qu'à la lueur de leurs propres bougies. Où serai-je alors ? »
Fiction basée sur des faits réels, «
A la grâce des hommes » raconte l'histoire de la dernière condamnée à mort d'Islande, Agnès Magnusdottir, en 1830. Agnès était servante dans la maison de son amant, Natan, au moment où celui-ci a été retrouvé sauvagement poignardé. Présente sur les lieux, elle est interrogée par les autorités qui la condamnent pour meurtre avec préméditation : Elle est condamnée à la peine maximale encourue à cette époque, la peine de mort.
« Pendant le procès, ils ont picoré mes mots comme une nuée d'oiseaux. D'affreux oiseaux, vêtus de rouge et boutonnés d'argent. Têtes penchées, becs serrés, ils fouillaient mon âme en quête des baies rouges de la culpabilité. Ils ne m'ont pas laissé raconter les événements à ma façon : Ils se sont emparés de mes souvenirs de Natan, de mes images d'Illugastadir, et les ont distordus jusqu'à les rendre méconnaissables. Ils m'ont arraché une déposition qui faisait de moi une femme vile et malveillante. Tout ce que j'ai dit m'a été volé ; tous mes mots ont été altérés jusqu'à ce que cette histoire ne soit plus mienne. »
Selon les autorités, elle avait deux complices qui sont eux-aussi condamnés à la peine de mort : Fridrik, l'ennemi de Natan, Sigga, sa jeune gouvernante à l'air ingénu. En attendant que tout soit prêt pour leur exécution (hache, gradin, etc…), ils sont détenus séparément près de leur lieu d'exécution : Agnès est hébergée dans la ferme familiale d'un policier. Lors des visites quotidiennes du révérend à la condamnée, celle-ci lui raconte son histoire et sa version des faits, que nous découvrons donc au fil des pages.
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Merci à Babelio et aux éditions
Presses de la Cité pour l'envoi de ce livre dans le cadre des opérations Masses Critiques. C'est un premier roman très réussi sur le thème de la peine de mort, qui pose la question de son bien-fondé et de son abolition. L'auteure a choisi un narrateur extérieur pour raconter son histoire, sauf quand il s'agit de la condamnée où l'utilisation de la première personne du singulier souligne son statut d'héroïne et nous fait ressentir une empathie supplémentaire à son égard, procédé très approprié à l'histoire.
Je suis toujours curieuse et intéressée de lire les arguments des auteurs sur ce thème : Dans «
La Pendue de Londres » de
Didier Decoin, le plaidoyer contre le caractère inapproprié de la peine de mort était extrêmement bien construit car l'auteur réussissait à nous convaincre de l'injustice d'une telle peine malgré la culpabilité de l'accusée.
Dans «
le dernier jour d'un condamné » de
Victor Hugo, c'est l'inhumanité de ce que subit le condamné à mort et surtout sa famille, qui en fait une peine injustifiée et à bannir.
En lisant «
A la grâce des hommes », c'est l'absence de justification de la peine de mort qui est mise en valeur (l'héroïne n'a pas de famille pour nous apitoyer), et le trop grand prix à payer en cas d'erreur judiciaire ou même de cas ambivalents.
Dans une Islande très croyante, la condamnée a des arguments censés que tout pays civilisé devrait prendre en compte :
« - Et Dieu a dit : "Tu ne tueras point" ? [demanda Agnès].
- Oui, acquiesça prudemment le Révérend Toti.
- Dans ce cas, Blondal et ses acolytes vont à l'encontre des saintes écritures. Ce sont des hypocrites. Ils prétendent servir la volonté de Dieu, mais [en me condamnant à mort] ils ne font que servir celle des hommes ! »
Agnès souligne donc l'hypocrisie de la justice des hommes et son injuste paradoxe : Ceux-ci punissent des citoyens (coupables ou parfois innocents) pour un crime qu'ils s'autorisent pourtant en l'érigeant en institution. Ce système n'a qu'un but et porte son nom : la vengeance - et cela est encore accentué par le fait que le bourreau sera le frère de la victime !
Le titre suggère d'ailleurs la faiblesse du système où le condamné en est réduit pour survivre à compter sur la grâce des hommes dont certains d'entre eux l'ont condamné : l'homme (ici le roi du Danemark) remplace Dieu, a droit de vie ou de mort sur les condamnés alors que c'est justement ce qu'on leur interdit à eux…
Et c'est toute l'injustice de cette justice des hommes qui éclate au grand jour lorsque, quand entre deux prisonniers, un seul est gracié… (Même si en l'occurrence a priori la décision pouvait se justifier par le niveau d'intervention de chaque protagoniste - mais ce n'est pas toujours le cas : dans La pendue de Londres, la coupable était aussi la victime).
Agnès souligne également l'inhumanité de cette sentence par l'un des arguments principaux développés dans
le Dernier jour d'un Condamné : Si les bourreaux prétendent que les condamnés ne souffriront pas car la hache les tuera d'un coup, Agnès est pourtant bien torturée par l'interminable attente de sa mort : mentalement, puis cela entame son physique (elle ne pouvait plus manger, marcher…), jusqu'au coup final.
L'ironie c'est que, pour avoir voulu abréger les souffrances de Natan, déjà mourant à son arrivée (qui serait mort lentement de ses blessures), les hommes la condamnent à souffrir elle-même dans l'attente du coup de hache qui, disent-ils pour se donner bonne conscience, sera bref pour ne pas la faire souffrir.
Enfin, même s'il subsistait un doute sur le geste d'Agnès
(Voulait-elle délivrer Natan de ses douleurs ou bien libérer sa propre colère à son encontre ?), ne pas le prendre en compte dans la sentence rend celle-ci dangereuse voire arbitraire, surtout lorsque cette sentence est l'outil le plus dangereux à mettre en les mains des hommes : La peine capitale.
" Après que le sous-révérend Thorvardur Jonsson l'eut dûment préparée à la mort, le bourreau lui a tranché la tête avec la même adresse qu'auparavant. Les têtes des condamnés ont été plantées sur des piques près du billot d'exécution, tandis que leurs corps étaient enfermés dans des cercueils en bois blanc, puis enterrés avant que la foule ne soit dispersée."
Un premier roman très bien construit et très documenté, dont certains extraits historiques ponctuent utilement de jolies tournures fluides et imagées (régalez-vous des extraits ci-dessus) : Vous pouvez vous lancer ! (Toutes les références des livres cités dans cet avis figurent dans l'article de mon blog)
Lien :
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