En avril 1955,
Françoise Sagan, alors âgée de dix-neuf ans, vient présenter «
Bonjour Tristesse » aux États-Unis.
A Key West,
Tennessee Williams corrige les épreuves de sa pièce, «
La chatte sur un toit brûlant ». En lisant une interview de la jeune auteur, il découvre qu'elle le tient pour son écrivain préféré. Il n'en faut pas plus pour qu'il l'invite à passer quelques jours chez lui.
Huit ans plus tard, Frank Merlo, son compagnon, confie ses souvenirs à une journaliste intéressée par cette période.
Au fil de son récit, ces «
jours brûlants à Key West » reprennent vie. La chaleur incommode tout le monde, exacerbe les sentiments. La moindre étincelle peut mettre le feu aux poudres. La villa est équipée d'une belle piscine qui permettrait aux protagonistes de soulager leurs rancoeurs en se rafraîchissant. Hélas, il faut la curer et il est impossible d'obtenir la visite d'un homme de métier, même pour des gens aussi connus.
Carson Mc Cullers, qui est installée chez son ami, grogne à longueur de temps. Il faut dire qu'elle est « bien mal en point, un corps de vieillarde à trente-huit ans (…) une anémie inquiétante, persistante. Et son avant-bras devenu infirme à la suite de rhumatismes articulaires mal soignés, puis, d'une attaque cérébrale. » Elle souffre aussi de dépression depuis le suicide de son mari.
Tennessee est plongé dans son travail et n'accorde pas beaucoup d'attention à ses compagnons. Entre eux, Frank Merlo se demande ce qu'il fait là. Tennessee l'aime-t-il encore ou l'a-t-il déjà remplacé par un jeune bellâtre ?
La venue de Françoise va faire diversion. Elle se comporte de façon très naturelle : va à la plage, se baigne, conduit la MG à toute allure. Elle a aussi de longues conversations avec son hôte, mais, handicapée par la barrière de la langue, a besoin du truchement de Frank. Carson est jalouse de la proximité qui se crée entre les deux écrivains. Par dérision, elle surnomme sa rivale «
bonjour tristesse », quoique le charme de cette androgyne ne
la laisse pas indifférente. Frank lui-même est touché par le magnétisme de Françoise.
Brigitte Kernel nous offre un roman très curieux. Elle y met en scène des personnes qui ont réellement existé. Son action se situe dans une période assez courte (une quinzaine de jours) dont il ne reste quasiment aucune trace. On ne la connaît que par un article « Rencontre avec une jeune romancière » où
Tennessee Williams se montre (selon
Brigitte Kernel) très « évasif ». Quant à
Françoise Sagan, elle y fait allusion dans «
Avec mon meilleur souvenir » en 1984, presque trente ans plus tard, et ne nous apprend rien de concret sur les relations entre ces trois pointures de la littérature. C'est pourquoi, à mon avis,
Brigitte Kernel n'a pas jugé opportun de se focaliser sur ces auteurs bien connus du public (un tantinet cultivé). Non. Elle choisit, comme personnage principal, Frank Merlo, dont, personnellement, je n'avais jamais entendu parler. C'était le compagnon de
Tennessee Williams. Il a été acteur, mais n'a jamais connu les devants de la scène.
Brigitte Kernel répare cette injustice en lui donnant le premier rôle dans son histoire. C'est lui qui décide d 'écrire un roman. Pour cela, il se confie à une journaliste apprentie écrivain, à laquelle il raconte ses souvenirs, et, au fur et à mesure, ceux-ci s'estompent et s'effacent.
L'impression produite est bizarre parce que le récit s'interrompt régulièrement pour laisser place à l'interview. A d'autres moments apparaissent des courriers échangés entre B., la romancière et G. son éditeur. C'est un peu déstabilisant car on a l'impression que cette « B. », qui n'est identifiée que par une initiale, n'est autre que
Brigitte Kernel elle-même, alors qu'en 1963, elle n'était, sans doute, qu'une petite fille.
J'ai aimé cette impression un peu vertigineuse de se promener sur un fil ténu entre réalité et fiction. J'ai aussi aimé l'atmosphère sourde, tendue, électrique, où les personnages sont agacés, à la fois, par la canicule et par des sentiments exacerbés. On se croirait vraiment plongé dans la pièce à laquelle
Tennessee Williams met la dernière main et qui m'avait énormément plu.
Certes, moi qui ai lu presque toute l'oeuvre de
Sagan, j'aurais voulu qu'elle prenne davantage chair et corps dans le récit. On est abusé par la jaquette du livre qui présente une photo d'elle. C'est triste. Elle vole la vedette à ce pauvre Frank dont j'ai apprécié faire la connaissance. C'est à lui qu'aurait dû revenir l'honneur de la couverture.