Genèse et critique :
1/Remplis des
carnets secrets et tape à la machine des pages frénétiques, pour ta seule joie.
2/Soumis à tout, ouvert, à l'écoute.
3/Essaie de ne pas être ivre hors de ta maison.
4/Sois amoureux de ta vie.
5/Quelque chose que tu sens finira par trouver sa forme propre.
6/Sois un foutu simple d'esprit saint de l'esprit.
7/Souffle aussi profond que tu veux souffler.
8/Ecris ce que tu veux depuis le fond sans fond de l'esprit…
Eté 1956, Etat de Washington aux Etats-Unis, en redescendant le
pic de Désolation, une ermite, un ranger ou un écrivain vit dans une cabane de garde forestier, avec pour seule compagnie, les incendies de la valets en amont et cela durant 63 jours, sans alcool, ni drogue, cherchant les visions de sa foi bouddhiste. Ceci une année avant la sortie de
Sur La Route, mais déjà six ans que Kerouac travaille et retravaille son manuscrit, qui était initialement écrit en seulement trois semaines, du 2 au 22 avril 1951. Cet homme encore méconnu, ployant le genoux face à la dépression, le traînant plus bas que terre, mais pourtant si près du toit du monde, autant d'un point de vue physique, que littéraire.
Sur La Route est un livre ayant la particularité d'avoir été écrit à coup de 15000 mots par jour durant seulement trois semaines, trois semaines de “clic clic” et de “bing” sur des rythmiques jazz de George Shearing. Tout ça sur un rouleau de 36 mètres qu'il offrira sans peine aux éditeurs. Notamment à
Robert Giroux de la maison d'édition Harcourt Brace, qui refuse d'ailleurs malgré leur précédente publication de Kerouac
The Town and the City. Il faudra attendre que la maison d'édition Viking accepte, mais les transgressions devront être censurés, comme le sexe, la drogue, le vol de voiture pour une amérique encore frileuse. Mais l'ultime transgression est peut-être la déconstruction de la forme traditionnelle d'un roman. Qui n'est pas anodine et même assumée, comme exprimé dans cette lettre de Kerouac à l'une de ses petites amies,
Joyce Johnson : « I don't write novels, I only write books. BOOOGS. That's what I call'em » (« Je n'écris pas des romans, j'écris seulement des livres. Des BOOOUQUINS. C'est comme ça que je les appelle »). Les conservateurs lui reprocheront d'ailleurs le manque d'intrigue, l'écriture anarchique à la machine et une décadence constante. Tout cela lui devra des négociations byzantines et des censures avec les éditeurs. Avec en lisière de son oeuvre une Amérique, baignant en plein dans le maccarthysme, aussi couramment appelé “la chasse au sorcière”, qui est initialement à but anticommuniste.
Sur La Route raconte 7 ans de voyage, de vagabondage, avec pour dentelles de nombreux périples autant sexuels, que délinquants ou même simplement de divagations poétique. Tout ça inscrit dans son
carnet, sous forme de notes, de
poèmes et de dessins.
Sur La Route est un livre écrit à l'effigie des routes qu'il a suivi ou dont il s'est fourvoyé. le rouleau original de 36 mètres est long comme une route et seulement semé d'artifices sans réel intrigue. Cette curieuse “écriture spontanée” est un élément essentiel de la genèse de ce roman, dont il est important d'arpenter à une allure raisonnable.
Mais cet ouvrage écrit en trois semaines cache aussi sept ans de prise de note dans des
carnets, très concrète, mais non dénué d'une part très fantasmagorique, avec la quête d'un Dieu, la recherche de vision boudhiste et l'écriture sous l'emprise de drogue, d'alcool et enclin au sexe. Tout ceci mérite de faire partie intégrante de la genèse de ce livre, qui relate justement ces événements.
Kerouac souffrait de son grade de héraut de la génération Beat, avec
Allen Ginsberg et William Burroughs, suite à la publication de
Sur La Route. La genèse de son livre était finalement ses derniers temps, avant qu'il succombe à la notoriété qu'il ne prétendait pas. Kerouac n'avait rien à voir avec les hippies qui ont découlé du mouvement Beat. Il était un enfant bien élevé, timide et introverti, il songeait même à fonder une famille et vivre une vie somme toute classique. Mais devenu emblème de la contre-culture, nous allons nous pencher sur ce qui a fait de lui, l'homme du bivouac du
pic de Désolation, au milieu des vents cinglant dans les sapins, retravaillant sans relâche son manuscrit pour les us de la société conformiste de la fin des années 50.
Write the road
Écrire la route le long des routes, cela sur un rouleau à l'effigie de celle-ci, fendant l'espace et le temps sur son tracé. Il d
écrit sa cavalcade anti sociétal jonché de nuits blanches, vole de voiture, sexe en tout genre, alcool et marijuana. L'oeuvre qui en découle,
Sur la Route, écrit à toute hâte lors d'une fièvre scripturale après ce fameux voyage, sera refusée auprès d'un bon nombre de maisons d'édition, notamment les éditions Triptyque, qui voient à leurs têtes, depuis 1981,
Robert Giroux. Il est auteur d'ouvrages sur la littérature et la chanson ainsi que plusieurs recueils de poésie, il a à son actif une vingtaine de titres. Malgré ce refus catégorique, les deux hommes entretiennent une complicité et une amitié. « Je l'ai fait passer dans la machine à écrire et donc pas de paragraphes… l'ai déroulé sur le plancheret il ressemble à la route. », « Je vais me trouver un rouleau de papier pour couvrir les étagères, je vais le glisser dans la machine,et je vais taper à toute vitesse, à toute berzingue, au diable les structures bidons, après on verra »…« j'ai écris ce livre sous l'emprise du café… 6 000 mots par jour, 12 000 le premier jour et 15 000 le dernier… » Exprime
Jack Kerouac en 1951. Cette relique ne sera acceptée qu' en 1957 dans les éditions Viking avant d'arriver trois ans après en France avec Gallimard, mais au dépend de la fidélité du texte original, car de nombreux passages seront censurés. Kerouac s'inscrit comme un marginal, contre une culture de la guerre froide, monologique et pusillanime, à une époque où l'Amérique s'autosurveille et s'autocensure pour que d'eux, ne découle que du politiquement respectable. A une époque où McCarthy lance sa « chasse au sorcière ». Aussi connu sous le nom de maccarthysme, chasser les communistes des États-Unis et de cette société de la bien-pensance unique, Kerouac va en pâtir.
Sur la route est avant tout un récit de route, quitter New-York pour aller vers l'Ouest, revenir et faire une incursion plus profonde dans l'Est, puis dans l'Ouest, pour ensuite plonger jusqu'au Mexique. Lors de l'écriture de ce roman d'aventure, Kerouac rendait souvent visite à
John Clellon Holmes pour lui montrer l'oeuvre en devenir. Celui-ci écrira sur Kerouac :
« Quand il venait, en fin d'après-midi, il apportait généralement de nouvelles scènes, mais ses personnages restaient largement dans les limites de la composition classique, contrairement à tout le déracinement, toute l'émancipation à venir. Il faisait de longues phrases complexes, à la Melville [...] Moi, j'aurais donné n'importe quoi pour écrire une pareille prose fleuve, mais il jetait tout au panier, et se remettait à l'ouvrage, de nouveau en proie à un sentiment d'échec qui le déstabilisait et le chagrinait. »
Cette « prose fleuve » serait la définition parfaite pour l'écriture spontanée si chère à Kerouac.
« Il y a dans son écriture un caractère qui est éphémère. On a l'impression qu'il a consigné sur la page des choses qui ne faisaient que passer. Mais pour autant il ne corrigeait pas, il ne revenait pas en arrière, gardant le bon le mauvais, l'anecdote et le significatif. Il y a donc à la fois ce désir de saisir le réel, et en même temps dans son texte la crainte de le figer sous une forme qui serait trop définitive. Son texte apparaît toujours comme un « work in progress », un texte en gestation, en développement, en pleine métamorphose »
Explique Yves le Pellec à propos de l'écriture spontanée de Kerouac, son oeuvre peut-être aisément comparée avec une confession, il ne revient pas sur ses actes, même les plus pro
pice à faire trembler les esprits frileux, les moins morales, les plus gores et les plus sexuels. Son écriture spontanée et un voeux d'honnêteté pour une Amérique qui n'était qu'à l'ode de sa liberté porté aujourd'hui comme un étendard.
Live the road
Kerouac comme la majeur partie de l'Amérique, est un nostalgique de l'Ouest, Kerouac à foi en un lieu, au bout de la route où établir son foyer, ôter son tablier de marginal et entrer dans la société, l'homme qui comme Holmes le résume bien est, « mis hors la loi, exilés à la marge par les temps qui courent ». Dans
Sur la route, son but est encore de décrire l'écosystème des marginaux, de ceux que l'on entend que très peu, ou dont l'opinion générale n'est guère le reflet de la réalité, réalité bien plus encline à faire passer ces gens pour des délinquants. Ses 15000 mots par jour ininterrompu, avec pour seul support ses souvenirs et ses
carnets noircis durant ses voyages.
Mais la route demeure son sujet, il écrit le pourquoi de la route et non pas la route elle-même. L'écriture de cette oeuvre n'aura pas été un long fleuve sans accroc, entre préoccupations parallèles et le travaille du manuscrit de
The Town and the City, il avouera le 29 septembre 1949 :
« Je dois bien le reconnaître, je bloque avec
Sur la route. Pour la première fois depuis des années, je ne sais que faire. Je n'ai pas la moindre idée de ce que je dois faire. »
Pour ensuite écrire le 17 octobre 1949 qu'il lui est « impossible de dire que la Route a commencé pour de bon. En fait, j'ai commencé
Sur la route en octobre 1948, il y a un an. Ma production est un peu maigre, pour un an, mais la première année on avance toujours lentement. »
En novembre, au dos des « Lectures et notes pour
Sur la route », Journal entrepris au printemps précédent, il écrit : « Nouvel itinéraire avec plan ». Cela au-dessus d'une carte où sont placées les villes traversées par le scénario, il inscrit : «
Sur la route » et « Revenir à un style plus simple - nouvelle version + début - Nov. 1949 ». Un manuscrit de 10 pages daté du 19 janvier 1950, écrit à la main et en français, puis traduit par lui (« On the Road ECRIT EN FRANCAIS »), commence ainsi :
« Après la mort de son père,
Peter Martin se retrouva seul au monde; or que faire quand on vient d'enterrer son père, sinon mourir soi-même dans son coeur, en sachant que ce ne sera pas la dernière fois qu'on mourra avant la mort définitive de son pauvre corps mortel, où père soi-même, ayant engendré une famille, on retournera à sa forme première, poussière aventureuse dans cette fatale boule de terre. »
Ceci est le motif qui devra motiver le lecteur à s'aventurer
sur la route, en compagnie de Kerouac. La mort d'un père, mais ceci n'est pas anodin, car pour Kerouac d'après Tom Clark, « le fondement de la compréhension de la vie, la force sous-jacente qui animait les courants profonds de son oeuvre, et lui valait ce qu'il appelait lui-même [...] “cette profondeur de tristesse à laquelle on n'échappe pas et qui lui donne son éclats”»
C'est bien la mort sous la forme de l'inconnu voilé, qui poursuit le voyageur d'un bout à l'autre de ce vaste pays que sont les Etats-Unis. Il faudra ensuite attendre 1951 pour que ce livre soit écrit d'un seul jet, en trois semaines (du 2 au 22 avril 1951).
Bien avant ses lectures sur le bouddhisme, Kerouac montrait des traits instinctif le poussant à passer d'une vision du monde où la conscience implacable de sa mortalité frappe d'absurdité le vécu de l'Homme à une vision du monde où justement, ce vécu mérite d'être célébré dans ses moindre aspects. Car comme lui-même l'exprime « nous allons tous mourir bientôt ». Les notes, plus généralement l'acte d'écrire, est pour lui la façon d'échapper à cette aporie inévitable, immortaliser et mystifier sa vie, les vies et ses quêtes. C'est ainsi que naîtra cette oeuvre à première vue classique, sans grande prétention à révolutionner la littérature de son époque, mais ayant pourtant mis à mal tous les codes de l'écriture traditionnelle. Il sera victime de censures pacifiant et dénaturant fortement l'oeuvre, car Kerouac savait le rythme qu'il voulait offrir à son histoire, les incises et la ponctuation adaptant le travail initial. Ôtant à l'oeuvre son visage mystique et son réalisme, car les noms des personnages changent, comme par exemple
Neal Cassady, qui deviendra sous la pression des négociations byzantines avec les maisons d'éditions,
Dean Moriarty.
Cette oeuvre était conçue pour être transcrit sous la forme d'un film, Kerouac avait même demandé à Marlon Brando de rejoindre le casting. En vain à l'époque de celui-ci, mais il inspira bon nombre de road movies.
Hit the road
Jack Kerouac a utilisé pour la première fois le terme
Beat generation pour parler de son groupe d'ami au romancier
John Clellon Holmes. Puis le mot « beatnik » apparaît pour la première fois le 2 avril 1958 sous la plume de Herb Caen dans le journal San Francisco Chronicle. Ce terme, forgé à partir du mot beat et du nom du satellite russe Spoutnik, était initialement péjoratif en cherchant à faire croire que les beats étaient une communauté de communistes illuminés en pleine période de maccarthysme (chasse au sorcière). Cela collera donc à la peau de Kerouac, qui lui vaudra d'être bafoué et accusé à tort. La
Beat generation a directement inspiré aussi bien les mouvements de mai 1968 que l'opposition à la guerre du Vietnam, ou les hippies de Berkeley et Woodstock. Pourtant elle a aussi contribué à enrichir le mythe américain. Notamment par les éloges faits aux grands espaces, routes et monuments américains.
«I am not a beatnik, I am a catholic» («je ne suis pas beatnik, je suis catholique»), écrivait
Jack Kerouac dans la préface du Vagabond solitaire. Une assertion en apparence surprenante dans la bouche de celui qui fut, dès son vivant, consacré pape des marginalités, prince de la déviance, chantre de la contestation. Bien à contrario avec l'image qu'il reflète dans
Sur la route où il est supposé avoir été un évangile de la déréliction pour les générations perdues et enfantées par le consumérisme des Trente Glorieuses, cherchant leur salut dans l'auto-stop, la frénésie sexuelle, la Benzédrine ou le LSD. Beat qui témoigne également dans son oeuvre d'un attachement profond aux grands espaces, à la nature et aux spiritualités chamaniques, bien à l'opposé des idées catholique.
Mais Kerouac voué un culte aux écrivains tel que
Proust et Joyce, exprimé explicitement :
« La Légende de Duluoz compte à présent sept volumes, quand je l'aurai terminée dans environ dix-quinze ans, elle couvrira toutes les années de ma vie, comme
Proust, mais au pas de course, un
Proust qui court, je vois à présent la cathédrale de la forme que cela représente »
Le désir d'un jour installer sa propre famille dans une belle maison de campagne et d'écrire à l'instar de
Proust, une saga recouvrant la moitié de sa vie. le mode de vie tempétueux du Beatnik reste la jouissance d'un groupe de jeunes, tous à vif de sensation et de compréhension intérieurs, loin du désir farouche d'un jour reprendre le flambeau des plus grands écrivains et de la vie bien tranquille.
End of the road
Kerouac aura l'honneur de contredire l'Amérique par les faits, d'inspirer à des générations entières de jeunes, la vie de bohème, aussi libre que ivre. Il aura aussi influencé des mouvements tels que les hippies, découlant d'eux des personnalités tel que
Jim Morrison, Johnny Depp (qui achètera d'ailleurs aux enchères, l'un des manteaux de Kerouac) et son ami écrivain,
Neal Cassady.
La spiritualité de Kerouac se reflétant de façon confuse dans son oeuvre, car il souligne la spiritualité compliquée de Kerouac : élève catholique, il a ensuite embrassé le bouddhisme et développé une personnalité hors du commun.
Le Kerouac qui jonchent les routes américaines dans
Sur la route est loin d'être l'homme sage cherchant le bout de sa route, cherchant un paradis où s'installer avant son dernier souffle, posant avec lui les fondations d'une famille qu'il verrait grandir le long des rouleaux gravés de sa vie. Car à travers l'écriture Kerouac cherche avant tout à rendre sa vie immortelle, car « nous allons tous mourir bientôt ».
Kerouac, de son surnom « le clochard céleste », mourra le 21 octobre 1969, à la suite d'une hémorragie, à l'hôpital de Saint-Petersburg (Floride). Il était âgé de quarante-sept ans, n'avait en vain réussi à trouver le bout de cette route, la paix. Sans cesse rappelé à ses origines de père de la
Beat Generation, sa vie aujourd'hui éternelle de par l'écriture, n'a pu avoir la conclusion désirée.
Sur la route est plus qu'un livre, c'est un phénomène qui maudira son auteur
sur la route.
Always on the road
MALBEC Kyllian