L'histoire rappellera à tous un de ces faits divers terrifiants surgissant régulièrement dans les médias nationaux : Meg, une jeune fille de 14 ans se trouve malmenée, séquestrée, puis torturée par sa famille d'accueil après que ses parents ont été tués dans un accident de voiture. L'histoire est racontée par David, un garçon voisin et ami de la famille déviante. Un garçon de 12 ans, équilibré, plutôt bien dans sa peau, que cette expérience marquera sa vie entière. On peut le comprendre. Retour dans les années 50, dans une banlieue américaine bien sage que rien, en apparence, ne prédestinait à recéler une telle abomination.
Combien de fois a-t-on vu la mention "âme sensible s'abstenir" sur des livres ou des affiches de cinéma plus ou moins horrifiques, en guise d'accroche commerciale, promesse de sensations extrêmes ? On peut affirmer cette fois que rarement une oeuvre de fiction n'a autant mérité cet avertissement. A tel point que conseiller ce livre atypique de
Jack Ketchum n'est pas chose à considérer à la légère.
Pour l'exprimer plus directement : ce livre est insupportable. Il est insupportable dès que Meg reçoit les premiers coups, totalement gratuits, assouvissant les pulsions les plus malsaines d'une femme désaxée et de ses enfants. Car
Ketchum réussit dès les premières pages à abolir toute distance entre le lecteur et les faits qu'il rapporte par la voix du jeune David. Pour cette raison en particulier, ce texte m'évoque immédiatement "Funny games", le film de
Michael Haneke. Mais alors que Haneke nous donnait une leçon sur la représentation de la violence, que dire du roman de
Ketchum ? Funny Games était dérangeant au plus haut degré, provoquant chez tout individu normalement socialisé une répulsion sans nuance, et il tout aussi impossible de tirer le moindre agrément à la lecture de ce brûlot. Alors qu'en dire ? Qu'il est très habilement écrit ? Qu'il nous dévoile enfin dans son épouvantable intimité une horreur trop banalisée par les comptes rendus accrocheurs des médias, toujours surexcités lorsqu'une telle affaire éclate dans nos contrées réputées civilisées ?
La postface écrite par l'auteur évoquant la genèse de son texte apporte un éclairage bien pauvre à ces questions brûlantes.
Ketchum part en croisade contre le mal. Et le mal, ce sont les salauds de toute espèce, du criminel en col blanc au serial killer, en passant par le minable arnaqueur, qui pourrissent la vie des honnêtes citoyens. Point.
Il ne faut pas attendre davantage de la préface de
Stephen King qui, de son côté, provoque un véritable malentendu. King a été subjugué par ce roman, épouvanté mais tournant les pages malgré lui, happé par l'horreur se déployant crescendo. Et de comparer
Ketchum à
Jim Thompson. Aucun rapport entre ces deux là pourtant : l'univers de Thompson reste un univers de roman, aussi impressionnant a-t-il pu être parfois. A tout point de vue, King est à côté de la plaque. A ceux qui tenteraient l'aventure, je conseillerai d'attaquer directement le roman et d'ignorer cette préface que l'on peut toujours lire après coup pour juger de son inanité.
Le texte de
Ketchum ne mérite finalement ni préface ni postface. Nu, énorme, il reste là avec ses questions. Mais il est remarquable à plus d'un titre. En particulier, ketchum s'est parfaitement glissé dans la peau de ce pré-ado qui témoigne de l'affaire, évoquant son trouble devant le corps nu de la jeune fille alors que sa propre sexualité commence à s'exprimer, que son appréhension du bien et du mal est encore fragile, et que les paroles des adultes ont le poids terrible de la loi à laquelle tous les enfants doivent se soumettre.
Il appartient donc à chacun de juger s'il souhaite arpenter ce chemin de malheur ou s'empresser de l'ignorer. A bon entendeur...