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EAN : 9782809709889
304 pages
Editions Philippe Picquier (04/04/2014)
3.88/5   21 notes
Résumé :
Mes parents avaient seize ans quand ils m’ont eu. J’ai eu seize ans cette année.
Je ne sais pas si je vivrai jusqu’à mes dix-huit ans. Je ne suis sûr que d’une chose : il me reste peu de temps. Pendant que les autres enfants grandissent, moi, je vieillis. Pour moi, chaque heure compte comme un jour. Chaque mois, comme une année. Aujourd’hui, je suis plus vieux que mon père.
Seize ans est-il un bon âge pour avoir un enfant ? Trente-deux ans est-il un bo... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Devenir parents à seize ans n'a pas été une sinécure pour les parents d'Areum. Trop jeunes, immatures, pas prêts à accueillir un enfant, ils ont pourtant fait face, tant bien que mal à une situation qui les dépassait. Seize ans plus tard, ils ont quitté leur village de montagne pour s'installer en banlieue de Séoul, plus proches des hôpitaux où Areum passe le plus clair de son temps. Atteint d'une maladie dégénérative incurable, leur enfant adolescent a le physique et les organes d'un vieillard. Condamné à mourir avant d'avoir véritablement commencé à vivre, Areum reste un enfant optimiste, curieux de tout, amoureux de cette vie qui le quitte à grands pas. Depuis toujours, il s'instruit par les livres et les questions qu'il pose à son entourage. La vie, l'amour, la mort sont le sujet d'intenses réflexions qu'il tape avec frénésie sur son ordinateur, ayant entrepris de laisser à ses parents, en guise de testament, l'histoire de leur vie extraordinaire, de leur vie palpitante.

Comment faire passer dans une chronique toute l'émotion qui se dégage de ce roman ? C'est impossible et pourtant que de poésie, de sensibilité, d'amour entre ces pages de l'auteure coréenne Ae-ran Kim. Elle a su se glisser dans la peau d'un adolescent condamné pour nous faire partager ses petits bonheurs, ses espoirs, ses questionnements, sa douleur aussi. Personnage très attachant, Areum nous met sans détours en face de sa maladie qui enferme son énergie, ses projets, ses envies dans un corps de vieillard inapte à suivre l'adolescent qu'il est dans sa tête. Face à sa maturité durement acquise, ses parents sont démunis. Trop jeunes, dépassés par une situation qui les minent, ils n'ont pourtant pas céder à la tentation de baisser les bras, d'abandonner le combat et font front pour soutenir ce fils qu'ils aiment et qu'ils vont perdre.
Au fil des pages, on s'immerge dans le quotidien de cette famille atypique jusqu'à l'inévitable dénouement...Areum, le courageux, l'espiègle, le terriblement vivant Areum, fait partie de ces personnages inoubliables dont le souvenir palpite encore en nous une fois la dernière page tournée. Un grand roman.
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La 4e de couverture résume bien ce livre inclassable : "Ceci est l'histoire de très jeunes parents et de leur très vieil enfant". Areum a 16 ans, l'âge qu'avait ses 2 parents quand il est né et que leur amourette d'adolescents les a précipités un peu vite dans la vie d'adulte. Condamné par une maladie qui le fait vieillir trop vite, il sait qu'il va mourir bientôt et s'interroge sur la place de chacun dans ce monde : que signifie être adulte ? Quel âge a-t-on vraiment ? Vaut-il mieux être vieux ou jeune ?

J'ai adoré les 2 premières parties de ce livre étonnant. Dans la première, on découvre Areum, son histoire et celle de ses parents. Deux adolescents coréens comme les autres ou presque pour lesquels une grossesse imprévue a tout changé et qui ont été très vite confrontés à des responsabilités d'adultes. Dès les premières pages on est happé par cette histoire pas comme les autres et on s'interroge sur la mystérieuse maladie d'Areum qui le fait vieillir trop vite et semble le condamner à une mort prématurée. le ton est particulièrement juste, plein de délicatesse et de sensibilité et avec un humour parfois mordant. Chapeau au passage aux traducteurs : tout sonne parfaitement bien en français et vu les différences de structure entre nos deux langues cela n'a pas dû être facile.
Retournement de situation dans la seconde partie : Areum va passer à la télé pour raconter son histoire. le ton se fait plus mordant, incisif. J'ai adoré l'ironie distillée de ci de là par l'auteur et les nouveaux personnages qui font irruption dans l'histoire, comme ce producteur de télévision mi-roublard mi-honnête.

Et puis malheureusement le roman m'a paru changer de direction avec la correspondance qu'entreprend Areum avec une jeune fille de son âge avec qui il a été mis en contact par l'entremise de la télévision. A partir de là, j'ai eu plus de mal à m'intéresser à l'histoire : les échanges de lettres entre les deux adolescents m'ont paru longuets, le ton plus mièvre et moins naturel, bref une partie du charme initial s'est perdu. On retrouve de ci de là les fulgurances du début, notamment dans la relation qui se noue entre Areum jeune-vieux adolescent et le Vieux Jang jeune-vieux vieillard, fils du Très Vieux Jang qui continue à traiter son fils comme un gamin.

Cela reste une belle lecture, originale et émouvante où l'auteur fait preuve de tendresse envers ses personnages et de poésie dans sa description des petits événements du quotidien. Dommage que les longueurs de cette seconde moitié m'ait empêché d'en faire un vrai coup de coeur. Une belle incursion dans la littérature coréenne contemporaine malgré tout !
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Ce livre représente ma première incursion dans la littérature coréenne, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il m'a totalement chamboulée. Empli d'une émotion magnifiquement décrite, sans jamais tomber dans l'écueil du pathos larmoyant, voilà une jolie pépite qui ferait fondre les coeurs les plus aguerris.
Areum est atteint d'une maladie rarissime, la progéria, dont on ne recense qu'une centaine de cas dans le monde. Incurable et dégénérative, les enfants atteints de ce mal vieillissent à toute vitesse et meurent généralement durant l'adolescence. Areum n'a que seize ans, mais le corps d'un homme de quatre-vingts ans ; il sait qu'il est condamné, et que sa faible constitution l'empêche de faire les mêmes activités qu'un adolescent lambda, mais il engloutit des livres afin d'accumuler le plus de savoir possible, afin de voyager et de comprendre ceux qui ne sont pas malades. Si parfois il se demande ce qu'aurait été sa vie sans cette maladie, il a accepté son sort ; c'est en cela qu'il fait preuve d'une maturité et d'une sagesse étonnantes. Ceci dit, il reste un adolescent avec les envies inhérentes à son âge.
Areum est un personnage très attachant, ce qui rend sa condition d'autant plus triste. Ses parents, au contraire de lui, ont beaucoup plus de mal à se faire à l'issue inéluctable du destin d'Areum.
L'écriture est délicate, limpide, et se lit avec grand plaisir. le thème du roman est triste, mais cependant émaillé de moments de joie, et par moments on en oublie même la maladie d'Areum, grâce aux tranches de vie d'une famille certes différente, mais qui n'en est pas moins une. Un roman bouleversant, magnifique, dont on ne sort pas indemne.
Lien : https://clairesalander.wordp..
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Han Areum a 16 ans dans un corps de vieillard. Ses propres parents avaient 16 ans au moment où il a été conçu. Il naît dans un village de montagne, au sein d'une famille de deux générations, parents et grands-parents. Lui et ses parents logent dans une maison construite par le père de sa mère en vue de louer des chambres aux ouvriers venues travailler dans la région. Les autorités ont projeté de faire de l'endroit un haut lieu touristique, un canal doit être creusé, entre autres. le narrateur revient sur la jeunesse de ses parents et sur l'annonce de la grossesse. Atteint d'une maladie dégénérative rare, il ne peut aller à l'école, il décide donc de compenser en lisant pendant des heures chez lui ou sur son lit d'hôpital. Il se pose des questions sur le but de l'existence, sur l'amour, sur la mort. À côté de lui, nous observons ses parents adultes adolescents, vieillis avant l'heure par les difficultés financières et la douleur de voir souffrir leur enfant.
C'est au sein d'une région du pays en pleine mutation que se passe l'histoire, un mode de vie est effacé pour faire place à un autre, mondialiste, capitaliste.
Avec beaucoup de tendresse et d'amour pour ses personnages, l'auteure nous décrit les tensions, les petits bonheurs du quotidien d'un enfant pas comme les autres en total contraste avec ses parents dépassés par les évènements.
Le temps se perd quelque part dans ce poignant récit où la mort est conjurée avec un humour légèrement pince-sans-rire.
Je ne suis pas du tout fan d'habitude de ce genre de roman que je trouve trop larmoyant, le sujet de la mort et de la maladie est parfois très mal exploité et souvent « casse-gueule », tombant dans un pathétisme sans objet.
Ici : tout le contraire. J'ai apprécié la poésie des mots-maux, l'art du rythme, l'exactitude de l'auteure.
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Atteint d'une maladie dégénérative, Areum vieillit à toute vitesse et mourra avant de fêter ses 18 ans. C'est lui qui raconte, dans Ma vie palpitante, son quotidien, ses espoirs et surtout l'attitude de ses parents qui l'ont conçu à l'âge de 16 ans. Areum, adolescent dans sa tête, est plus vieux que ses parents dans son corps et condamné à disparaître bien avant eux. Sur la corde raide de l'émotion, Kim Ae-ran signe un roman sensible, drôle et poignant qui parvient assez souvent à ne pas tomber dans les abîmes du mélodrame. Mais pas toujours, tellement le sujet est lourd. La plus belle réussite du livre réside dans ses dialogues, burlesques et parfois absurdes, et dans le regard que pose ce garçon sur la vie qu'il n'aura jamais. Avec une résignation qui ne s'apparente pas à de la tristesse et qui, par le biais de la poésie, embellit une histoire fondamentalement déchirante.




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Citations et extraits (58) Voir plus Ajouter une citation
Je m’efforçai de lire entre les lignes. Je finis par mémoriser des passages
entiers par cœur.
J’hésitais à répondre. J’avais peur de ce qui pouvait arriver. Je pressentais
que j’allais tomber amoureux. Je craignais aussi de vouloir m’accrocher à la
vie à cause de cet amour et redoutais surtout de ne pas être à la hauteur. Je
commençai : Yi Seo-ha… Effaçai. Ecrivis Bonjour, je m’appelle Areum. Et
supprimai. Pour finir, j’allai me coucher. Il fallait que je l’oublie. Après
tout, cette lettre n’avait rien de plus que toutes celles envoyées par des
téléspectateurs. Je devais essayer de ne pas y accorder d’importance. Hélas,
elle prenait déjà toute la place dans mon esprit. Je ne pensais plus qu’à cette
fille.
Voilà pourquoi j’ai décidé d’appeler ce temps en toi Hallasan , alors que les autres
parlent de vieillissement précoce.
Une fille capable d’écrire ça ne pouvait être mauvaise. Peut-être avait-elle
besoin d’un ami. A cette pensée, je sentis mon cœur battre plus fort. Mais la
raison me conseilla de me calmer. Ce n’était qu’un mail d’encouragement
dicté par la bienveillance, je ne savais rien de cette fille, les malades
n’étaient pas tous forcément gentils. En fait, il n’y avait pas plus
égocentrique. Une foule de pensées négatives m’assaillirent.
Cette fille connaissait-elle déjà l’importance de la musique dans la
naissance de l’amour ? Etait-elle du genre déluré ? Faisait-elle semblant de
comprendre le malheur des autres, juste pour se donner de l’importance ?
Oui, c’était sûrement ça. Elle voulait se servir de moi pour se faire
remarquer. Et par la même occasion se consoler en se disant que sa vie
n’était finalement pas si malheureuse…
Mais, au fait, qu’est-ce que je m’imaginais ? Tomber amoureux, moi ? Je
me faisais des illusions, oui !
Cette nuit-là, je fis le même rêve que d’habitude. Le ciel était bleu,
l’herbe tendre. Je m’amusais à faire des bonds sur l’immense trampoline au
milieu d’une vaste prairie. Mais peut-être avais-je cette impression de sauter
à cause de mon cœur malade. Je rebondissais sur la toile en riant,
recommençais en fermant les yeux. A chaque saut, je restais un long
moment suspendu en l’air, comme si le film s’arrêtait. Tout à coup, une
musique douce, suivie par un air de piano, de guitare et de batterie. Je
continuais à sauter au rythme de la musique. Je jaillissais vers le ciel en
tendant les bras et chantais à tue-tête :
— Pour lutter contre le désespoir, nous danserons… Nous ne gèlerons
pas… Boum boum tam… boum boum tam… Pour lutter contre le désespoir,
nous danserons… Nous ne gèlerons pas… Boum boum tam… boum boum
tam… Nous ferons fondre le sable au fond de la mer.
Je répétai la chanson plusieurs fois. Les vents chuchotèrent entre eux.
— Plusieurs fois ? demanda le vent qui passait.
Le vent qui arrivait en sens inverse répondit :
— Oui, plusieurs fois.
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— Il faut que tu dormes. Nous allons à l’hôpital demain.
— D’accord, mais laisse-moi encore un petit moment.
— Tu as pris ton médicament pour la tension ?
— Oui.
— Et celui pour la douleur ?
— Bien sûr.
— Et celui pour les articulations ?
— Oui, maman.
— Et celui pour l’estomac, tu l’as pris ?
— Bon, ça va, maman. J’ai l’habitude. Ne t’inquiète pas, j’ai fait ce qu’il
fallait.
Ma mère hésitait sur le seuil, n’osant pas le franchir par respect pour le
territoire de son fils adolescent. Je lui avais demandé un jour de frapper
avant d’entrer. Je me rappelle encore la peine qui avait envahi son visage
lorsque j’avais prononcé le mot « frapper ».
— Maman ?
— Oui ?
— Quelque chose ne va pas ?
— Non. Je suis venue parce qu’il y avait de la lumière dans ta chambre.
Et puis, j’ai fait un rêve troublant.
— Tu as l’air fatiguée.
— Oui, je ne sais pas. C’est bizarre, mais je suis encore plus fatiguée les
jours de congé.
— De quoi as-tu rêvé ?
Après un silence, elle répondit :
— D’eau. C’est toujours le même rêve.
— Encore ?
— J’aurais dû te sauver avant de me réveiller… dit-elle d’un ton plein de
regret.
— Maman ?
— Oui ?
— Je vais rêver que je suis champion de natation. Si tu veux, je nagerai
jusque dans ton rêve et je te ferai une démonstration de ballet aquatique.
— Et tu ne te laisseras pas emporter par le courant ?
— Non, je te le promets.
— Les enfants comme toi… commença-t-elle avec un sourire.
— …
— … ne devraient pas être malades.
Je la dévisageai de mes yeux enfoncés et dépourvus de cils et de sourcils.
Je ne savais que lui répondre. Puis je dis avec précaution :
— Tu sais, maman, les garçons comme moi…
— Oui ?
— Les garçons aussi géniaux que moi…
— Oui ?
— … ne peuvent créer que des parents comme vous.
Pendant un instant, ma mère se demanda ce que je voulais dire, puis elle
esquissa un petit sourire.
— Ça suffit, Internet. Tu dors, maintenant. Si tu continues, je te
confisque l’ordinateur.
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Cette visite n’aida en rien ma mère à prendre une décision. Rongée
d’inquiétude, elle changeait d’avis plusieurs fois par jour. Le temps passa…
Je me développais dans mon abri sombre et humide, entouré d’incessants
battements. Ces bruits, je les percevais non par mes oreilles, mais par tout
mon corps. Je tentais d’en comprendre le sens, comme un radio dans son
bunker déchiffre un message en morse. Le signal disait quelque chose
comme : tchoupoum… tchoupoum… tchoupoum…. Ou peut-être : boum
boum ou tam tam. Ça ressemblait à un roulement de tambour dans le
lointain ou aux pas d’un géant s’approchant de moi. Je voulais sortir de là,
pareil aux félins qui s’enfuient à la moindre secousse sismique. Parfois,
quand j’entendais le cœur de ma mère et le mien battre à l’unisson, j’avais
envie de danser. Boum tam tam… boum tam tam… boum boum tam… boum
tam…
Les battements plus forts, boum, c’était ma mère, les petits, tam, c’était
moi. Attaché à mon cordon ombilical, je me concentrais sur ces sons.
Accroché au-dessus de moi comme une lune dans le ciel, le cœur de ma
mère envoyait des pulsations, goutte à goutte, tel un arbre qui fleurit en vert.
Ces sons étaient à la fois des bits, des unités d’information, et des beats, des
scansions musicales, qui s’éparpillaient comme des tracts, diffusant des
messages essentiels dans toutes les cellules de mon corps. Leur rythme
lancinant faisait naître en moi des « désirs ». Mes cellules obéissaient aux
ordres, mes organes se développaient sous une pluie de pulsations, mon foie
grossissait, ma vessie prenait forme, mes os s’allongeaient. Je grandissais.
Parfois, ma mère et moi nous rencontrions dans nos rêves et nous
divaguions.
— Maman…
— Oui ?
— Maman…
— Je t’écoute.
— J’ai le cœur qui cogne… Je ne peux pas l’arrêter… Ça me fait mal…
J’étouffe… J’ai l’impression que je vais mourir…
— Mon bébé…
— Oui, maman.
— Moi aussi, j’ai le cœur qui bat. J’ai mal comme toi. Mais je ne peux
pas l’arrêter...
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Mon père avait dix-sept ans. Il ignorait beaucoup de choses mais au
moins comprenait-il qu’une opportunité se présentait à lui. Seulement, il
avait un peu peur. Il n’avait jamais travaillé dans le commerce et n’avait
aucune confiance en lui. De plus, son beau-père semblait exiger cette fois
qu’il devienne adulte. Même si mon père n’avait qu’une vague idée de ce
qu’était un adulte, tout en ayant toujours voulu qu’on le traite comme tel, il
se rendit compte ce jour-là qu’il n’avait jamais souhaité en être un. Il n’avait
aucune expérience de la vie mais il savait que le mot « adulte » dégageait
une forte odeur. Pas seulement une odeur de fatigue, d’autorité ou de
dépravation, comme il l’avait encore pensé récemment. Maintenant qu’il
allait entrer dans l’âge d’homme, il sentait instinctivement que ce mot
contenait de la solitude. Rien qu’en l’entendant, il avait l’impression qu’un
inquiétant champ magnétique se formait et qu’une fois aspiré à l’intérieur, il
ne pourrait plus en sortir. Et derrière le sourire et le soutien affiché de son
beau-père, il comprenait qu’on exigeait de lui qu’il prenne sa vie en main et
tienne son rôle de chef de famille. Mais était-il normal qu’un garçon de dix-
sept se préoccupe de mener une vie respectable ? Etait-ce même possible ?
Mon père hésitait. Il aurait voulu feindre l’humilité et décliner l’offre de
mon grand-père, mais il n’avait pas d’autre option. Même s’il n’en parlait
jamais, son travail sur les chantiers lui pesait – il avait mal partout –, de
même que la responsabilité de s’occuper d’un enfant en pleine croissance.
De fatigue, il avait même mouillé son lit. Il avait interdit à sa femme de le
dire à qui que ce soit, l’avait menacée de la quitter et de ne revenir que dans
dix ans si quelqu’un l’apprenait. En avait-elle parlé à son père ? Si ce n’était
pas le cas, pourquoi lui demandait-il ce qu’il voulait faire ? Mon père
réfléchit. Il savait qu’il ne pouvait répondre comme la dernière fois : « Je
n’en sais trop rien, père. » Il aurait bien aimé avoir un magasin de jeux
vidéo ou de bandes dessinées, mais il était conscient qu’il valait mieux ne
pas le mentionner. Il se creusa la tête, tâchant de trouver une réponse qui le
ferait passer pour un gendre digne de confiance. Que voulaient les jeunes
aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’il manquait en ville ? Un instant plus tard, une
idée lumineuse jaillit dans son cerveau, une idée qui allait satisfaire son
beau-père.
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Quand le vent se lève, les mots en moi tourbillonnent.
A mesure que mon vocabulaire s’élargit, les mots les plus anciens
rétrécissent, tels des poissons séchés au vent marin, pour faire de la place
aux nouveaux. Je me rappelle les premiers que j’ai prononcés : neige, nuit,
arbre, terre, toi… Enfant, je commençais par me familiariser avec le son des
mots, puis je les recopiais plusieurs fois. C’est ainsi que j’ai appris le
monde qui m’entourait. Aujourd’hui encore, je m’étonne parfois de
connaître autant de choses par leur nom.
Quand j’étais petit, je ramassais des mots toute la journée. « Maman,
qu’est-ce que c’est ? Et ça, c’est quoi ? » demandais-je sans arrêt, semant la
pagaille sur mon passage. Les mots étaient si clairs et légers qu’ils ne
collaient pas aux objets. Alors, je posais la même question, encore et
encore, comme si c’était la première fois. Dès que je désignais quelque
chose du doigt, un son inconnu sortait des lèvres de mon père ou de ma
mère. Tout comme les carillons éoliens s’agitent dans le vent, les choses
prenaient vie sous le souffle de mes questions. De sorte que je n’hésitais
jamais à redemander. J’adorais ça, plus encore que les réponses.
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