Poèmes de Bohême

Messire de Coquelicoquibus

Un escargot montrait ses cornes à la lune ;
Les fées au bois d’argent pleuraient leur infortune,
Messire de Coquelicoquibus aussi.

Le nain qui le vit s’en fut vite au vieux donjon
Gratter ses trois cordes pour éveiller la belle
Qui mettait l’échelle de corde à son balcon.

La gorge était mignonne et la bouche à baiser
Savoureuse comme une pomme ; à la croisée
Pendait l’échelle de corde ou de soie brisée...

Et là-bas au bois d’argent où les blondes fées
Dansent l’une après l’une de soucis coiffées,
Un escargot montrait ses cornes à la lune :

Messire de Coquelicoquibus aussi.

LE BALADIN


Pour se faire aimer d’une fée, un baladin
Vint une fois de très loin tout vêtu de soie,
Mais il oublia son âme dans le jardin.

Elle tomba dans le cœur d’une rose ; un fou
Qui n’avait qu’un cœur de satin noir, vers le soir
Passa par là, triste et doux et cueillit la rose.

Or la fée était assise au rouet oisive,
Le baladin ne sachant que dire : au dehors
À loisir une chanson monta du jardin.

Un air qu’il avait chanté mais ne savait plus,
Un air de flûte aux notes trop vite croisées,
Chanta sous la croisée ouverte au soir d’été.

Sortie à peine et tout se tut. Et du balcon
Où montait une odeur de roses dans le soir,
Le baladin vêtu de soie put voir la fée

Qui s’enfuyait avec son fou dans le jardin.

LA BELLE AU BOIS DORMANT

Sous la neige d'hiver de la roseraie
La Belle au bois a bu le philtre des fées
Et s'est endormie en sa robe de prée.

Mais puisque le Chevalier vainqueur des fées
Va venir, la roseraie est refleurie
Sur la tête si mignonne et d'or coiffée.

Et pour que la Belle au bois dormant sourie
Et qu'une fraîche fleur à sa lèvre éclose,
Les pommiers ont fleuri leurs douces soieries,

Lorsque par la vertu des métempsycoses
La prairie a revêtu sa verte robe
Et l'air s'est embaumé de l'âme des choses.

Elle s'éveille et le sommeil se dérobe
Avec paresse ; frêle elle se soulève
En la tige merveilleuse de sa robe

Gomme une primevère avivée de sève,
Et regarde venir — une rose aux lèvres —
Le Chevalier Printemps son beau Prince au rêve.

YELDIS

Dans son rêve le vieux Prince de Touraine
Voit passer en robe verte à longue traîne
Yeldis aux yeux charmeurs de douce reine.

Yeldis passe sous les pommiers en fleurs
En robe verte de soie — et le Roy pleure,
Yeldis passe sous les pommiers en fleurs.

— « Pauvre Prince de Touraine et de Bohême
Pourquoi veux-tu donc encore que je t'aime,
Pauvre Prince de Touraine et de Bohême?

Tes cheveux sont trop blancs pour mes cheveux blonds
Au son des cloches tes yeux se fermeront ;
Je m'en vais : déjeunes Princes m'aimeront. —

Sous les pommiers rose fleuris de l'allée,
La belle a fini sa chanson désolée :
L'âme frêle du vieux Roy s'en est allée.