S'il te plait, Sylvie-Courtine-Denamy, raconte-moi une histoire.
A priori il y avait peu de chance que je lise un jour un ouvrage de cette philosophe, traductrice, enseignante et chercheure, spécialiste de Hannah Arendt et de Simone Weil. Mais c'était sans compter sur la quatrième de couverture qui mentionne l'Espagne, l'Inquisition, la Castille et la ville de Cuenca. Aussi, sans savoir à quoi m'attendre réellement j'ai suivi l'auteure sur les traces de sa famille, de Sefarad, l'Espagne juive aux rives du Bosphore, de l'Occident à l'Orient, en faisant des sauts de puce dans l'espace et dans le temps, en jouant au chat et à la souris avec toutes les formes de répression, voire d'annihilation.
Le thème a sans doute été déjà traité, chez Eliette Abécassis qui s'intéressait au passé des juifs espagnols et nous amenait de Tolède à Mogador ou chez Alejandro Jodorowsky avec son arbre du dieu pendu et sa vaste légende familiale. Mais La maison de Jacob est un ouvrage à part.
Son sous-titre, "La langue pour seule patrie » symbolise la particularité et la force de l'ouvrage, synthétise la volonté farouche de Sylvie Courtine- Denamy de ne pas oublier les siens et de préserver un trésor, la langue judéo-espagnole. Pimentée de dictons, de chansons, d'anecdotes historiques qui n'existent plus aujourd'hui que dans les ouvrages universitaires, la langue vibre, respire, bondit de page en page, alors qu'elle a quasiment disparu après la décimation des populations juives de Salonique et le départ des juifs d'Afrique du nord. Elle était autrefois la langue de l'intime, de la famille, du foyer. « Plus tard, après ou avant la lecture des Mémoires de Canetti, je demandai à mon père polyglotte: « Quelle est ta langue maternelle? » Il répondit: « A la maison, le judéo-espagnol; dans la rue, avec les copains, le grec et l'Arménien; avec les domestiques, le turc; à l'école, le français; avec la gouvernante, l'anglais; au gymnasium, l'allemand. »
La maison de Jacob est un long monologue poétique et érudit. La narratrice nous berce comme si elle nous racontait une belle histoire. Même les pages les plus sombres du passé de l'Europe nous apparaissent nimbées de force, la force de la réminiscence. L'ouvrage s'ouvre sur une très jolie préface signée Julia Kristeva et se termine avec une bibliographie alléchante qui donne envie de prolonger le voyage et de plonger tête baissée dans La langue sauvée d'Elias Canetti en réécoutant DeLeon (Rahelika Baila, La Serena...).
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Se fue mi viejo, el mundo se lo yevo
I agora el viejo soy yo.
Mon vieux est parti, le monde me l'a enlevé
Et maintenant c'est moi qui suis vieux.
Si la mar era de letche,
los barkitos de kanela..
Si la mer était de lait,
les petites barques de cannelle...