La Princesse de ClèvesMadame de la Fayette (1634-1693)
« La magnificence et la galanterie n'ont jamais paru en France avec tant d'éclat que dans les dernières années du règne de Henri le second. »
Ainsi commence l'histoire de
la Princesse de Clèves, un des romans les plus célèbres du XVIIe siècle. Paru en 1678 sans nom d'auteur, ce roman précieux, historique et d'analyse se passant à la cour des Valois au XVIe siècle connut immédiatement un succès retentissant et reste de nos jours un des plus beaux romans d'amour de la littérature française.
Madame de la Fayette, de son vrai nom
Marie-Madeleine Pioche de la Vergne comtesse
De La Fayette, fut l'amie
De La Rochefoucauld et de Madame de
Sévigné.
Petit rappel historique.
Henri II, duc d'Orléans et de Bretagne, second fils de
François Ier et de Claude de France naquit en 1519, et régna de 1547 jusqu'à sa mort en 1559, survenue de façon accidentelle lors d'un tournoi (contre Montgomery, capitaine de la garde royale), organisé pour le mariage de sa fille Élisabeth avec Philippe II roi d'Espagne. Epoux de Catherine de Médicis il avait une première favorite en la personne de Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois dont la reine, dissimulatrice, ne sembla jamais jalouse. Diane de Poitiers avait été la maitresse de son père
François Ier et l'était encore de bien d'autres comme le comte de Brissac. Henri II accéda au trône en 1547 suite à la mort de son frère aîné François le dauphin en 1536. Il était un séducteur et aimait le commerce des femmes. Hélas sous son règne débuteront les terribles guerres de Religion.
L'histoire.
Mais tout d'abord une précision sémantique importante à savoir qu'au XVIIe siècle le mot « amant » signifie seulement « celui qui aime » sans connotation sexuelle comme de nos jours.
Arrive un jour à la cour une vertueuse beauté âgée de quinze ans qui attire les yeux de tout le monde, une beauté parfaite issue de la Maison de Chartres. Orpheline de père, elle est élevée par Mme de Chartres sa mère qui ne se contente pas de lui apprendre à cultiver sa beauté et son esprit mais fait tout pour lui donner en plus vertu et amabilité. Chez un bijoutier italien elle est remarquée par le prince de Clèves, un homme respectable et de haute naissance, ami de François de Lorraine duc de Guise. Il est séduit par sa beauté et ne voit d'autre issue pour la revoir que de se confier à Madame, la soeur du roi, qui a une grande influence à la cour et qui organise la rencontre. Par la suite Mlle de Chartres devient la favorite de la Reine dauphine,
Marie Stuart l'épouse du dauphin fils ainé du roi, et fréquente Mesdames filles du Roi et fait l'unanimité à la cour, excepté auprès de Madame de Valentinois, la favorite du Roi. Passionnément amoureux, le Prince de Clèves d'un statut social plus élevé que celui de Mlle de Chartres, désire ardemment l'épouser. Ce que sait hélas aussi le prince, c'est que son ami le chevalier de Guise en est lui aussi amoureux depuis le premier jour qu'il l'a vue. Et puis le père du prince, le duc de Nevers est aussi un obstacle probable de par son étroite relation avec Madame de Valentinois ennemie de la maison de Chartres. Il faut dire qu'à la cour, l'ambition et la galanterie sont source de cabales et de jalousies, de commérages et d'intrigues amoureuses et politiques.
« …On n'y connaissait ni l'ennui, ni l'oisiveté, et on était toujours occupé des plaisirs ou des intrigues…Ainsi il y avait une sorte d'agitation sans désordre dans cette cour, qui la rendait très agréable, mais aussi très dangereuse pour une jeune personne. »
La mort du duc de Nevers son père laisse le champ libre au Prince pour demander en mariage Mlle de Chartres, mais avisé, « il eut préféré le bonheur de lui plaire à la certitude de l'épouser sans en être aimé. » Car il apparaît que la demoiselle n'éprouve aucune inclination particulière pour le Prince, son sentiment étant d'estime tout au plus. Quoi qu'il en soit, le mariage se déroule au Louvres, mariage qui donne au Prince des privilèges mais pas davantage de place dans le coeur de sa femme.
À la cour la beauté de Mme de Clèves ne laisse de susciter de l'admiration et Jacques de Savoie duc de Nemours, grand séducteur, homme brillant de retour de Bruxelles ne peut qu'être surpris par sa beauté et lorsqu'il fut proche d'elle et qu'elle lui fit la révérence, il ne peut s'empêcher de donner des marques de son admiration, et en peu de temps faire une grande impression dans le coeur de Mme de Clèves. « Se voyant l'un et l'autre ce qu'il y avait de plus parfait à la cour, il était difficile qu'ils ne se plussent infiniment. »
Sur son lit de mort Mme de Chartres rappelle ses devoirs à sa fille et ce qu'elle doit à son époux, la met en garde quant à sa réputation si elle se laisse séduire par le duc de Nemours.
Des récits secondaires viennent se greffer sur l'intrigue centrale et illustrent la thèse centrale en attirant l'attention sur les désordres de l'amour. Ainsi la seconde partie de ce récit cite entre autres la conversation que tient M. de Clèves à sa femme au sujet de la relation entre Mme de Tournon et son amant M. de Sancerre, (ami de M. de Clèves), qu'elle trompe avec M. d'Estouville. Leur projet de mariage semble prendre mauvaise tournure car M. de Sancerre n'est pas un parti assez bon pour elle. de retour de voyage M. de Sancerre apprend et la mort subite de Mme de Tournon et son infidélité et se confie à M. de Clèves.
Également est évoquée par la reine Dauphine,
Marie Stuart, à l'intention du duc de Nemours, la vie de Anne Boulen (ou Boleyn) qui fut la seconde femme de
Henry VIII d'Angleterre, reine consort de 1533 à 1536 et mère de la reine Élizabeth I ère. Née en 1501, son mariage avec
Henry VIII est à l'origine de la réforme anglaise, Rome tergiversant pour accorder le divorce à Henry d'avec Catherine d'
Aragon. Accusée injustement de trahison, d'adultère et d'inceste avec son frère le vicomte de Rochefort, elle fut décapitée en 1536.
On ne peut que remarquer dans ce roman qui est aussi une peinture des moeurs de l'époque la précision du style dans l'action et la subtilité de l'analyse du caractère des personnages et des passions qui les animent. On peut dire que
Madame de Lafayette a su concilier dans cette oeuvre la subtilité romanesque de l'esprit précieux et la vérité sobre et éternelle du classicisme. Les situations sont souvent compliquées et parfois invraisemblables.
Dans la troisième partie, on découvre la lutte de Mme de Clèves avec des rebondissements incessants pour ne point succomber au charme du duc de Nemours, quitte à s'éloigner un temps de la cour après avoir avoué à son époux qu'un prince de la cour, sans en citer le nom, la poursuit de ses assiduités et qu'elle en est touchée de passion. le duc de Nemours dissimulé derrière une porte assiste à la confession de la princesse. La jalousie de M. de Clèves va grandissante malgré la grande marque de sincérité que constitue l'aveu de son épouse. Garder le secret est le plus difficile, et des bruits courent … Mais Mme de Clèves se refuse au duc de Nemours autant par souci de sa tranquillité que par respect de son devoir d'épouse. Et puis elle lui en veut de son manque de discrétion et de son imprudence dont il s'afflige in fine : elle sait qu'elle a eut tort de croire qu'il y eût un homme capable de cacher ce qui flatte sa gloire. La troisième partie se termine sur la mort du roi lors du tournoi organisé lors du mariage de sa fille.
Après la mort du roi, la cour change complètement de face pour passer aux mains des Guise par l'intermédiaire du cardinal de Lorraine Charles de Guise qui devient le maître des finances, avec l'arrivée du duc de Guise aux commandes des armées. le connétable du roi, M. de Montmorency est le premier écarté, puis c'est le tour de Diane de Poitiers. A lieu à Reims le sacre du nouveau roi, François II, fils de Henri II, et époux de
Marie Stuart.
La mort de M. de Clèves qui plonge Mme de Clèves dans une douleur et un abattement indicibles, ne laisse pas de donner espoir au duc de Nemours de conquérir définitivement le coeur de la princesse, mais c'est sans compter sur le goût du sacrifice qui habite Mme de Clèves pour honorer la mémoire de son mari. Elle va prendre une décision irrévocable en accord avec son sentiment du devoir bien que son amour pour le duc de Nemours n'ait faibli.
En définitive c'est une vue pessimiste du monde et la négation de la possibilité d'atteindre le bonheur malgré les apparences qui domine dans ce magnifique récit. L'influence du jansénisme sur le caractère de la princesse est évidente, qui met en lumière le fait que l'amour mène à la perdition et à la mort selon un destin inexorable qui nie la notion de liberté humaine.
En conclusion, un chef d'oeuvre éternel.