MADAME RATINOIS, bas à son mari,
Parle! courage!...
RATINOIS, bas,
C'est inutile... Ils ne voudront pas,
MADAME MALINGEAR,
Nous vous écoutons.
RATINOIS, très ému,
Monsieur et madame... je suis père... j'ai un fils unique... Frédéric...
MALINGEAR,
Nous le connaissons,
MADAME MALINGEAR,
Un charmant jeune homme!... qui veut bien quelquefois honorer nos salons de sa visite...
RATINOIS, bas, à sa femme,
Nos salons! Tu vois, ils ont plusieurs salons... Ils ne voudront jamais!
MADAME RATINOIS, à son mari,
Mais va donc!...
RATINOIS,
Ce jeune homme, qui est avocat, n'a pu voir votre demoiselle... votre honorable demoiselle... sans songer à une alliance... qui l'honorerait... en nous honorant... s'il pouvait entrer dans notre honorable famille... que tout le monde honore.
MADAME MALINGEAR, jouant l'étonnement,
Comment!...
MALINGEAR, de même,
Est-il possible!...
RATINOIS, bas, à sa femme,
Là!... tu vois?... Allons-nous-en!
MALINGEAR,
Monsieur, je vous avoue qu'une pareille demande... faite à l'improviste... nous surprend un peu!
RATINOIS, de même,
Allons-nous-en!
MALINGEAR,
Un mariage est une chose délicate... et nous vous demandons la permission de nous consulter... de réfléchir.
MADAME RATINOIS,
Comment donc!... c'est tout naturel!
Acte premier, scène XII
{N. B. : Ce passage sera repris presque mot pour mot par Sacha Guitry dans sa pièce Une Petite Main Qui Se Place.}
MADAME MALINGEAR : Tiens… tu étais sorti ?… D’où viens-tu ?…
MALINGEAR : Je viens de voir ma clientèle.
MADAME MALINGEAR : Ta clientèle ! Je te conseille d’en parler… Tu ne soignes que les accidents de la rue, les gens qu’on écrase ou qui tombent par les fenêtres.
MALINGEAR : Eh bien, ce matin, on est venu me chercher à six heures… chez moi… J’ai un malade.
MADAME MALINGEAR : C’est un étranger, alors ?
MALINGEAR : Non… un Français.
MADAME MALINGEAR : C’est la première fois, depuis deux ans, qu’on songe à te déranger.
MALINGEAR : Je me lance.
MADAME MALINGEAR : À cinquante-quatre ans, il est temps ! Veux-tu que je te dise : c’est le savoir-faire qui te manque, tu as une manière si ridicule d’entendre la médecine !
Acte I, Scène 2.
ROBERT, éclatant.
Non, je ne permets pas! Vous êtes des vaniteux, des orgueilleux!...
MALINGEAR
Monsieur!...
RATINOIS
Mon oncle!
ROBERT
Ah! Voilà un quart d'heure que je me retiens... il faut que ça parte!... Vous cherchez depuis quinze jours, à vous éblouir, à vous mentir, à vous tromper...
TOUS DEUX
Comment?
ROBERT
Oui, à vous tromper, en vous promettant des dots que vous ne pouvez pas donner. Est-ce vrai?... En vous pavanant dans une existence, dans un luxe qui n'est pas le vôtre!
RATINOIS
Mais...
ROBERT
Il n'y a pas de mais!... J'ai fait causer tes domestiques! Quand je veux savoir, je cause avec les domestiques... c'est mon système.
MALINGEAR
Emmeline est triste... elle ne mange plus.
MADAME MALINGEAR
Si je faisais venir le médecin?
MALINGEAR
Le médecin?... Eh bien, et moi?
MADAME MALINGEAR
Ah! oui, c'est juste!... (A part.) C'est plus fort que moi... je n'ai aucune confiance en lui!
SOPHIE, un panier sous le bras
Alors, madame, il ne faudra pas de poisson?
MADAME MALINGEAR, assise à droite du guéridon et travaillant
Non!... Il a fait du vent toute la semaine, il doit être hors de prix... Mais tâchez que votre filet soit avantageux.
SOPHIE
Et pour les légumes?... On commence à avoir des petits pois.
MADAME MALINGEAR
Vous savez bien que les primeurs n'ont pas de goût... Vous nous ferez un chou farci.
SOPHIE
Comme la semaine dernière?...
MADAME MALINGEAR
En revenant du marché, vous apporterez votre livre... Nous compterons.
SOPHIE
Bien, madame. (Elle sort à droite.)
Rencontres de Chaminadour 2021 : « Lydie Salvayre sur les grands chemins de Georges Bernanos ».
Jean-Basptiste Sastre et comédien et metteur en scène.
Après des études au Conservatoire national supérieur d'Art dramatique de Paris, il signe en 1995 sa première mise en scène, Histoire vécue du roi Toto, d'après l'oeuvre d'Antonin Artaud. Il montera par la suite des textes de Genet, Duras, Marlowe, Büchner, Marivaux, Labiche ou Coleridge. Son travail de metteur en scène ne consiste pas seulement à assurer la direction d'acteurs, mais aussi à créer avec ceux qui l'accompagnent, et plus particulièrement les poètes et les plasticiens dont il s'entoure, une esthétique propre à chaque spectacle.
À partir de 2005, Jean-Baptiste Sastre, alors lauréat de la Villa Médicis hors les murs à Londres, débute un travail sur le théâtre élisabéthain et tout particulièrement sur La Tragédie du roi Richard II.
En 2018, il présente au Festival d'Avignon La France contre les robots de Georges Bernanos, co-adapté avec Gilles Bernanos.
+ Lire la suite