Bernard Lahire s'interroge « Peut-on percer les mystères de la création ? » et propose une méthode jouant sur les focales, les plans d'ensemble et les gros plans, utilisant des métaphores cinématographiques pour aborder les mécanismes de création dans une lecture historique de l'oeuvre de
Franz Kafka. « Si je n'avais pas été persuadé que le social gît dans les détails et dans le singulier autant que dans les institutions, les groupes ou les mouvements collectifs, un tel travail n'aurait pas été imaginable. »
Dans la première séquence « Éléments pour une théorie de la création littéraire » l'auteur, à partir de critique des théorisations de
Pierre Bourdieu, décrypte les différents enfermements de la sociologie (champ, habitus, texte) pour prôner un élargissement des analyses à « Étude de cas et biographie sociologique ». En soulignant les limites des sociologies antérieures, l'auteur montre la possible fécondité de la voie qu'il va parcourir en trois grandes divisions « La fabrique de
Franz Kafka », « In litteris véritas » et « Domination et point de vue des dominés ».
Pour ce faire,
Bernard Lahire entreprend un retour systématique aux sources (lecture intégrale et exhaustive des textes de
F. Kafka), en rapportant les éléments étudiés aux moments et contextes biographiques dans lesquels ils ont été produits. L'auteur respecte à la fois le principe de spécificité des sources (sens des textes en fonction de leur statut respectif) et la spécificité des contextes d'action. Enfin il procède à une lecture précise et détaillée des textes « Mais la lecture précise et une présentation généreuse des textes est une la seule manière d'éviter les approximations et les à-peu-près inévitables dès lors que l'on réduit des textes littéraires à des thématiques ou des arguments trop schématiques, abstraits ou sommaires. C'est aussi la seule façon de déterminer le style propre à l'auteur en se donnant la possibilité de le rapporter à des dispositions sociales spécifiques. »
Au delà du plaisir de la lecture, bien loin des multiples réductions habituelles, les analyses de
Bernard Lahire ouvrent des compréhensions élargies non seulement de l'acte d'écrire, mais aussi de l'approche des rapports de domination. « Ces rapports de domination sont le plus souvent vus au travers des yeux du dominé, montrant la contribution que ce dernier – avec son sentiment de culpabilité, sa propension à l'autodépréciation, sa disposition à l'attente illimitée, etc..- apporte au maintien de sa condition. »
Ne vous laissez donc pas rebuter par la taille de cet ouvrage de plus de six cent pages pleines d'intelligence, apportant un regard plus global sur l'oeuvre de
Franz Kafka, les processus de création littéraire et la complexité du monde.
Et reprenons les lectures individuelles et créatrices, sans vocation scientifique, de «
La métamorphose », «
le procès », «
La colonie pénitentiaire », «
le château », etc….
Ce livre fait suite et écho au passionnant «
La culture des individus, dissonances culturelles et distinction de soi » (La Découverte 2004) et à «
La condition littéraire, la double vie des écrivains » (La Découverte 2006).
En complément ou en introduction, je renvoie aussi au très beau «
Franz Kafka, rêveur insoumis » de
Michael Lowy (Stock 2004)