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Erwan Larher (Autre)
EAN : 9782374911939
240 pages
Quidam (18/03/2021)
3.88/5   33 notes
Résumé :
Quand Sam Zabriski s'installe à Saint-Airy, dans la maison dite «du Disparu», le destin de ce village rural au riche passé historique bascule.
Ici, on se méfie un peu des étrangers. Ici, on décatit très bien entre-soi. Ici, on a des certitudes, dont celle que l'humanité se compose d'hommes et de femmes. Or impossible de deviner à quel genre appartient Sam, par ailleurs énigmatique quant à son passé. L'incertitude et l'inconnu dérangent, les passion s'exaltent... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
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Il n'a fallu que quelques phrases pour être séduite par l'écriture de ce roman.

La rencontre initiale avec le personnage central laisse tout de suite présager une originalité, quelque chose d'indéfini, qui en fait un être singulier. le doute ressenti à la lecture d'un curieux pronom personnel (une coquille ?…) laisse la place aux interrogations lorsque cette coquille se répéte, et définit ainsi l'ambiguïté de Sam.

Son arrivée dans la bourgade de Saint-Airy ( le clin d'oeil à Martin Mongin est réjouissant), ne passe pas inaperçu. Et lorsque son intention de s'y installer se précise, l'on parle, beaucoup, Clochermerle se réveille, pour le meilleur et surtout pour le pire.

L'intrigue m'a tenue en haleine, sans faillir jusqu'à la fin, soutenue par la magie de l'écriture. de l'écriture inclusive, qui aurait pu être un obstacle mais qui finalement est parfaitement justifiée par le propos, à l'emploi de néologismes, d'adjectifs déclinés en verbe, comme des bijoux dans un coffret.

L'auteur a un talent certain pour insérer des anecdotes à la fois drôles et informatives. Comme l'histoire de la vie de Mark Twain, et de sa relation à la comète de Haley. Et pour éviter l'effet wikipédia, recours au Jeu des Mille Francs !

Brève allusion à la pandémie, qui est une histoire ancienne et donc situe le roman dans un futur proche. de même que la polémique autour des humanoïdes. Et pourtant, on n'a aucune envie de classer le roman dans la catégorie SF.

La psychologie des personnages est subtilement mise en scène et le poids de l'exaltation collective démontre la fragilité de l'opinion personnelle face à l'irruption de sentiments refoulés.

La vie en collectivité dans une petite ville est bien cernée, avec les remous de conseils municipaux à haut risque, et la réputation des absents qui se construit entre les bacs à shampoings et le bar du centre-ville.


Très belle découverte d'un auteur lu pour la première fois mais pas la dernière.

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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IndésirableErwan Larher

Saint-Airy, petit village français, conservateur, dans lequel on préfère se retrouver entre natifs du lieu. Là bas, tout ce qui est étranger ou étrange dérange.
Sam y achète une maison qui était à vendre depuis longtemps et cela ne plaît pas à tout le monde. Sam est un être différent, non genré, ce qui questionne et inquiète les habitants du village. Rapidement, deux clans se forment, ceux qui tolèrent, côtoient, voire admirent Sam, et ceux qui lui font porter tout ce qui a changé depuis son arrivée. Au cours du roman, le lecteur découvre Sam, être plein de ressources inattendues.
Un bon roman assez sombre qui aborde des thèmes sociétaux importants . Une écriture agréable et un parti-pris de l'auteur très intéressant pour d'une part faire ressentir aux lecteurs ce que ressent son personnage et aussi pour qualifier le genre neutre assez peu traité en littérature. J'aurais mis cinq étoiles à ce roman poignant mais je n'ai pas aimé la fin, je ne peux en dire plus sans en dévoiler plus que je ne voudrais. A découvrir !
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Sam Zabriski traverse le premier chapitre du nouveau roman d'Erwan Larher sans que l'on sache si c'est un homme ou une femme. Par réflexe, je l'ai imaginé homme. Puis, arrivée au troisième chapitre, je suis allée relire le premier pour vérifier et obtenir confirmation : à aucun moment le genre de Sam n'apparaît, une jolie prouesse d'écriture. Par la suite, nous apprendrons que Sam est neutre. Ni homme ni femme. Nous devrons nous adapter aux drôles d'articles et autres terminaisons grammaticales inventées pour permettre à ce genre neutre d'exister. Un peu ahuris, incrédules. Sourire sarcastique au coin des lèvres. Neutre ? Nan mais qu'est-ce qu'il ne va pas nous inventer... Il a fumé la moquette ou quoi ? Neutre, ça n'existe pas ! Et pourtant, Sam débarque bien dans le village de Saint-Airy, en plein coeur de cette France rurale qui oscille entre préservation des vieilles pierres témoins de son riche passé historique et nécessaire adaptation à la vie moderne. Les habitants sont bien moins accueillants que les lecteurs habitués aux facéties de l'écrivain et aux libertés offertes par la fiction, non les habitants ne rigolent pas, étranger et neutre, ça ne colle pas bien avec l'image qu'ils se font de la normalité d'une vie bien tranquille. Peu importe, Sam a l'habitude. Sam se méfie des humains. La chaleur, ce sont les vieilles pierres qui la lui apportent. Et justement, dans le bourg de Saint-Airy c'est le coup de foudre pour celle que l'on appelle La maison du disparu. Sam la ressent au plus profond de son corps, Sam la veut, Sam l'achète, Sam s'installe. Et Sam emmerde pas mal de monde.

Dans ce roman étrange et protéiforme, Erwan Larher fait de Saint-Airy une sorte de laboratoire d'étude de la société française et même de la communauté humaine. Sam est le corps étranger qui vient perturber les petites affaires du clan du pouvoir, un être sans passé, mystérieux et différent. Autour de lui vont se cristalliser toutes les haines, les convoitises et autres intolérances. Mais son arrivée va également influencer les initiatives, donner à certains le courage d'entreprendre et de changer les choses. Ce qui offre à l'auteur l'occasion de développer pas mal de thèmes sociétaux et politiques tout en s'appuyant sur des personnages et une intrigue à haut pouvoir romanesque qui flirte parfois avec le fantastique. Sam Zabriski a des accents du Nicholaï Hel de Trevanian, toutes proportions gardées. Sam est peut-être de ceux qui fuient, comme le fameux Jo qui se cache pas très loin de là (voir Pourquoi les hommes fuient ?), les mafieux ne sont pas l'apanage des grandes villes et les murs de pierres multi centenaires sont de parfaits abris pour les trafiquants en tous genres. Il y a les apparences, celles et ceux qui vont au-delà et les autres. Et dans ce texte foisonnant à la densité aussi intelligente que tourmentée il y a une profonde interrogation sur l'existence et sa réalité. Sur ce qui définit un être vivant. Un genre ? Un passé ? Une appartenance ? Des idées ? Un comportement ?

"Elle a l'impression que ça n'existe pas quelqu'un. Il y a des moments de quelqu'un, des facettes de quelqu'un, des instantanés de quelqu'un. Elle n'est jamais une, elle se sent multiple, mouvante."

Faire un bout de chemin avec Sam est une drôle d'expérience dans laquelle on retrouve avec plaisir quelques ingrédients de l'univers d'Erwan Larher en plus de croiser certains personnages de son précédent roman. A la fois nouvelle et ancrée dans une oeuvre qui se construit livre après livre. L'expérience d'un langage, d'une immersion dans un monde parallèle qui ressemble pourtant étrangement au notre. Cette expérience a quelque chose d'un peu désespéré par ce qu'elle reflète de la communauté humaine par le prisme d'un regard devant lequel semblent être passées trop de déceptions. de désillusions. Trop d'articles de journaux sur la Fête des fleurs. Sam a bien raison et je l'adore : "Il faudrait ne pouvoir vivre que des premières fois".
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J'ai toujours rêvé de caler « protéiforme » dans une chronique et j'ai trouvé le roman parfait. Avec un « grand » mot comme ça, immédiatement ton petit avis gagne en crédibilité et en légitimité.

Dans « Indésirable », Erwan Larher mélange les fils narratifs et livre un roman protéiforme qui n'entre dans aucune case, si ce n'est celle du roman addictif.
Est-on face à un roman sociétal ? un polar ? une fiction politique ? Peu importe après tout. Peu importe, tout comme le sexe du personnage principal, Sam.

L'installation de Sam dans le village de Saint-Airy va venir remuer bien des choses. Ici tout est un peu figé, très traditionnel, très archaïque même. le conseil municipal fait la pluie et le beau temps, les notables mènent leurs petites magouilles, si besoin on ferme les yeux sur les maris violents, on regarde d'un sale oeil ceux qui mangent bio, etc… Alors l'arrivée de Sam dont on n'arrive pas à savoir si c'est un homme ou une femme, autant vous dire que ça n'a pas fini de faire parler, d'alimenter les conversations au café comme chez la coiffeuse, de perturber l'entre soi et la routine qui convient à certains. Les tensions ne vont faire qu'augmenter pour finir en véritable guerre.

Un roman très riche dans lequel Erwan Larher va intelligemment aborder un large panel de sujets qui font notre époque : l'identité sexuelle, l'altérité, la différence, l'intégration, le changement politique, la possibilité d'une autre forme de gouvernance. Un fourmillement de questions sociétales et politiques qui sont autant de fils conducteurs dans cette histoire qui brouille les pistes en se présentant dans un premier temps comme une simple querelle à Clochemerle.
Rythmé, fin, amusant, insolent, plein de trouvailles, « Indésirables » ne vous lâche pas et nous rappelle au passage que le collectif peut engendrer le pire comme le meilleur.

Impossible de ne pas conclure en parlant de l'écriture et du tour de force de l'auteur qui jamais ne fera de faux pas, jamais ne tranchera entre le « il » et le « elle », choisissant le « iel », déroulant toute la grammaire et la syntaxe qui vont avec.
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[ Pour le pitch, le synopsis, l'accroche, lire la quatrième de couverture, et la bio de l'écrivain ]

“ une lecture qui n'est pas neutre... ”

Je recycle ici une remarque un peu mystérieuse (même pour moi) que j'avais faite à propos du premier livre d'Erwan Larher que j'ai lu en février 2015 et qui était son quatrième roman (Entre toutes les femmes).
Je l'ai cherchée et retrouvée parce que la lecture d'Indésirable, et la particularité de Sam, le personnage central, me rappelaient quelque chose, mais quoi ?

Bingo, elle colle parfaitement pour ce huitième roman, qui ne ressemble pourtant pas aux précédents, qui eux-mêmes ne se ressemblaient pas entre eux !

Par ailleurs c'est une marque de fabrique d'Erwan Larher : les correspondances entre ses romans, les personnages qui font un cameo de l'un à l'autre, le héros de l'un qui fait silhouette dans l'autre et lycée d'Antony.

Et ça me rassure pour Sam : je parie qu'iel réapparaîtra un jour prochain entre des lignes encore à écrire (pardon, je divulgâche un peu, mais moins que d'autres). C'est peut-être un truc d'écrivain pour fidéliser les lecteurs qui aiment bien les surprises, en tout cas, ça marche pour moi !

Une autre spécialité d'Erwan Larher : les cameos de potes écrivains ; cette fois, encore plus subtil, c'est le personnage (mais tellement plus qu'un personnage) du formidable roman éponyme de Martin Mongin qui prend corps dans Indésirable : Francis Rissin, le polymorphe génial, réincarné en Erwan Lahrer, écrivain !
Si vous n'avez pas suivi, c'est pas grave... j'ai été bluffée par ce noeud de vraies-fausses références intriquées qui cache peut-être quelque chose de plus subtil que l'admiration généreuse d'un écrivain pour le travail de ses pairs.

J'entends votre méfiance persifler d'ici : ça sent l'entre-soi, que ce soit entre romanciers d'une même génération (et tous publiés chez des éditeurs indépendants — pas si “petits” que ça — tiens, tiens), ou entre lecteurs fanatisés et lectrices groupies.
Faux, archi-faux.
Et même si c'était (un peu) vrai... c'est un bonheur de découvertes et de retrouvailles, alors tant pis pour vous si vous ne voulez pas en profiter.

Quoi, vous râlez encore ? Comment ça je dis rien sur ce roman ? Je ne fais que ça, relisez-moi !
OK alors, pour celles et ceux qui n'ont pas encore compris : j'adore ce Larher-là, je l'attendais, je le relirai pour y trouver d'autres surprises, clins d'oeil et références détournées. Pour y retrouver aussi l'ambiance du village de Saint-Airy, plus intéressé par le tournage d'une émission de téléréalité dans ses murs que par le projet porté par Sam pour valoriser un patrimoine architectural décati ; les magouilles municipales, les réactions des Saint-Airois à “l'étrangeté” de Sam, les alliances qui se renforcent ou se retournent. Et voir comment à partir du Turning Point (titre du chapitre central), le roman prend d'autres couleurs, plus dramatiques, psychologiques, aventureuses, fantastiques...

Sachez quand même (surtout si vous n'en avez encore jamais lu) qu'Indésirable est une pierre d'un tout en construction, d'un édifice mythologique et littéraire qu'Erwan Larher compose patiemment, intelligemment. Vite chez vos libraires (profitez des rééditions récentes en poche) !

Vous êtes restés ? Chouette. Alors je me calme et je continue. J'ai déjà pas beaucoup de lecteurs, je vais veiller à ne pas les agresser !

Erwan Larher possède une écriture très reconnaissable.
Il y a par exemple son amour irréfragable pour les mots peu usités. J'ai pris l'habitude de les recopier en marge de mes notes de lecture manuscrites, pour le plaisir d'aller les “visiter” après coup (je note aussi la page). Il y avait cette fois entre autres : adamantin, amplective, amuïr, mofette, orpiment, palingénésie, perspicuité, siccité affective, sycophante, etc. ; je pense que désopilé fait partie des néologismes !
Une leçon d'humilité aussi : il y en a beaucoup que j'avais déjà rencontrés en lisant Larher, décodés, et oubliés...
J'ose lui faire une suggestion : publier bientôt un lexique des mots rares qu'il a dégoté depuis qu'il est entré en écriture !
À tout ça il a superposé dans la narration d'Indésirable une grammaire nouvelle pour le neutre (accords en genre, conjugaison de la troisième personne, etc.) !
Et ça marche parce que c'est fait sérieusement, sur des bases quasi académiques, tout en restant ludique.

Un autre conseil : procurez-vous le numéro 222 du Matricule des Anges d'avril 2021 qui consacre sa couverture et tout un cahier-dossier (10 pages et photos) à Erwan Larher !
Je reconnais que cela m'a un peu intimidée et paralysée pour vous parler d'Indésirable.
Difficile de trouver des angles de présentation originaux après ça.

À propos de notoriété littéraire. Erwan Larher confie au journaliste qui l'interroge que son succès est “familial”, voulant sans doute dire qu'il est lu dans un entourage amical limité. Fausse modestie ou vraie préoccupation ? En tout cas, dans mon entourage familial à moi, je fais lire Larher depuis que je l'ai découvert, et on m'en redemande ! Alors, d'un réseau de lecteurs à un autre, ça va commencer à faire flaque d'huile, non ?


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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Paysage bucolique à tendance bocagère, relief vallonné, revêtement routier récent – à l’oreille, probablement un béton bitumineux drainant. Comme sur la plupart des voies carrossables hors agglomération, la vitesse maximale autorisée insulte la puissance, la tenue de route et les équipements de sécurité des automobiles récentes. Ces vingt dernières minutes, Sam a failli se faire flagrant délinquer deux fois par des radars mobiles de type Vitronic PoliScan F1 HP. Et maintenant que le moindre quidam à penchants délateurs peut prêter serment pour moucharder ses semblables, rien ne dit qu’un radar embarqué, dont sont friands les collecteurs de taxes, n’ait pas croisé sa trajectoire infractionnelle.
Sam aime rouler vite. Sous le capot de son van, un V8 de 7,3 litres et 430 chevaux ; boîte de vitesses anuelle, on sera vieux bien assez tôt.
Sam aime rouler vite et voue volontiers aux gémonies, majeur dressé à l’appui et appels de phares en renfort (le klaxon, trop vulgaire, ne s’actionne qu’en cas de danger), les absentéistes du clignotant, les pépères-voie-du-milieu, les déboîteurs intempestifs. Ceux qui doublent par la droite ou ne respectent pas les priorités, Sam les poursuit parfois en posant son gyrophare bleu sur le tableau de bord. Il sort ensuite sa fausse carte de policier et leur fait la morale – il déteste les incivilités. Les conducteurs penauds en sont quittes pour une bonne frayeur ; avec les trop véhéments, Sam joue parfois des poings.
– Vous êtes un humanoïde XT 352 ! s’exclame, l’air ravi, le gamin assis à l’arrière. Programmé pour le maintien de l’ordre !
– Ça n’existe pas les humanoïdes, petit, rigole Sam.
– Papa dit que si !
Sam plante son regard dans celui du père, assis au volant.
– Il ne faut pas croire tout ce que te dit ton papa. Comment faire confiance à quelqu’un qui jette son mégot par la fenêtre ?
Sur sa gauche, en sortie de virage, à une centaine de mètres, Sam en repère une. Encore. Au moins la dixième du trajet. En piteux état. Un chemin y mène qui part de la route, enroncé à hauteur d’homme, exubérant d’herbes folles, effacé bientôt d’être inemprunté – les mûres poussent en barquettes, désormais. Sam a ralenti, les larmes aux yeux déjà. Pourtant, ce ne sont que quelques murs (certains éboulés), des poutres et des tuiles (là où il en reste, la moitié de la toiture est effondrée). Pourtant, ce n’est qu’une longère abandonnée comme il s’en désagrège tant en périphérie de nos panoramismes. Ce ne sont que les vestiges de temps révolus, d’existences ante-écrans, hors champ, de vies sans avatars, de rythmes saisonniers, de mots démodés – blutoir, maie, souillarde, écuellier. Sam a beau se raisonner, détourner le regard, serrer les dents, ou les mains sur le volant, chaque fois s’ébroue l’ontologique chagrin, l’alpaguent d’irrépressibles sanglots.
Sam se souvient avec une précision très haute définition du moment où la malédiction se déclara, à l’adolescence, dans la Citroën paternelle, lorsque apparut dans son champ de vision, immédiat et violent choc esthétique, Collonges-la-Rouge. Depuis, la moindre fermette croulante en bordure d’autoroute lui fissure les paupières. Idem pour un presbytère déserté, une chapelle désaffectée, un logis ébouleux, un manoir croulant, mais aussi les églises, les châteaux, les lavoirs, les granges, bref tout ce qui a plus de cent cinquante ans, reflète le génie bâtisseur de l’homme et périclite. Sam n’a jamais parlé à personne de son hypersensibilité aux vieilles pierres négligées. Sans cette faiblesse structurelle, on pourrait juger parfaite sa maîtrise émotionnelle. C’est tellement saugrenu de pleurer à cause d’une ruine ! De pleurer les vies qui s’y sont succédé ? De pleurer l’ablation du passé ? La médiocrité du présent ? L’excision de la beauté ? L’avènement du fonctionnel ?
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Bientôt treize heures au Crystal, l’unique bar de Saint-Airy. On peut sans surprise s’y désaltérer, ou s’y abreuver, pourvu qu’on n’ait pas de chichiteuses exigences : inutile en effet d’y commander un spritz, un Moscow mule ou une margarita, Annie ne connaît en guise de cocktails que le Picon-bière et le whisky-Coca. Elle est la serveuse du Crystal depuis la fin des années 1980. Elle a été embauchée par le père d’Oliver, l’actuel patron. Beaucoup de clients n’ont connu qu’elle ; c’est utile quand il faut virer un poivrot véhément ou refuser de servir un dernier verre. Personne ne lui résiste, quand c’est non c’est non.
Au Crystal, on vend aussi de l’espoir sous forme de jeux de hasard, paris sur des courses hippiques ou des événements sportifs, tickets à gratter. On y trouve des cigarettes pour fumer entre deux grattages perdants. Quelques journaux et magazines s’y périment pépères, comme le sel de céleri que le client de passage trop confiant aura le malheur de mélanger à son jus de tomates. L’endroit n’a aucun charme, pas même celui du pittoresque : éclairage jaunasse, peinture verdâtre, plafond crasseux, mobilier en plastique. Le changement le plus marquant de ces cinquante dernières années, c’est que les consommateurs doivent désormais sortir pour fumer.
Si Annie est bien lunée, elle vous préparera une omelette, décongèlera un croque-monsieur ou composera un sandwich. Le pain provient de l’unique boulangerie du village. Il n’est pas très bon. Le mardi, le jeudi et le samedi, Véro, la femme du patron, cuisine un plat du jour peu élaboré. Le mercredi, elle a ses gosses, et du dimanche midi au mardi matin, le bar est fermé. Aujourd’hui, bavette à l’échalote. La viande n’a pas été achetée chez Renaut, le boucher de Saint-Airy, mais au supermarché, où elle est moins chère. Si on veut garder un plat du jour à un prix raisonnable et sa marge, il faut faire des choix. Eddy et Géraldine Renaut mettent rarement les pieds au Crystal.
– Je vous jure, je ne sais pas si c’est un homme ou une femme !
Victor libère son rire tonitruant. Quelques têtes se tournent aux tables voisines.
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Le vieux qui perd la boule, sa femme et sa mère emportées par des cancers, Victor n’est pas idiot : il se doute que les engrais et les pesticides dont il asperge sols et cultures déglinguent le corps humain. Combien de fois est-il descendu du tracteur après une journée d’épandage avec une migraine à hurler et du sang dans son mouchoir ? Il se doute aussi qu’il pollue les rivières et les nappes phréatiques. Mais ce n’est pas sûr. Si ces produits sont nocifs, pourquoi sont-ils autorisés ? C’est bien la preuve qu’on ne sait pas, non ? Seuls quelques écolos enragés qui n’ont jamais mis les pieds dans une ferme réclament leur interdiction, selon le président du plus puissant syndicat d’agriculteurs, qui ne manque jamais une occasion de ridiculiser ces ayatollahs.
– Ton président, Victor, il est aussi patron d’un groupe d’agroalimentaire qui pèse sept milliards de chiffre d’affaires. Une interdiction de certains produits serait mauvaise pour ses rendements.
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Elle a l'impression que ça n'existe pas quelqu'un. Il y a des moments de quelqu'un, des facettes de quelqu'un, des instantanés de quelqu'un. Elle n'est jamais une, elle se sent multiple, mouvante.
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Sylvain bosse pour Sam l’Escargot. On le questionne sans cesse : Il est sympa ? Bizarre ? Qu’est-ce qu’il fait dans la vie ? Est-ce qu’il vit seul ? C’est un homme ou une femme ? Hein ? hein ? Allez, Sylvain, tu peux me le dire, à moi !
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Videos de Erwan Larher (7) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Erwan Larher
Erwan Larher vous présente son ouvrage "Pourquoi les hommes fuient ?" aux éditions Quidam Éditeur. Rentrée littéraire Septembre 2019.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2339527/erwan-larher-pourquoi-les-hommes-fuient
Notes de musique : Youtube Audio Library
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