Il fut un temps où je croyais qu'il suffisait de fermer les yeux ou d'ouvrir les livres pour voir des jardins qui tiennent sur l'ongle du petit doigt, des amours qui font vraiment dériver les continents, des époques qui dansent avec des singes bleus sur l'épaule, des mondes suspendus en crinoline de rumeur. C'était le temps où j'étais prête à croire qu'un surgissement du merveilleux dépendait presque d'un caprice de la paupière.
Je sais, voilà longtemps qu'il ne s'agit plus de s'interroger sur notre peu de réalité ou sur la vitesse grandissante à laquelle la vie s'en va rejoindre les rails du désespoir. Non, tout se passe comme si la partie avait été jouée pour ne laisser à chacun que le souvenir de ses rendez-vous manqués et de ses amours impossibles.
Où ailleurs que dans l’utopie trouvons-nous cette distance permettant d’excéder autant ce qui est réfléchit que ce qui est imaginé, pour retrouver dans le mouvement même du désir ce qu’il a d’irréductible à toute détermination idéologique ? En ce sens l’utopie ouvre au cœur de l’espace social la perspective infinie que la poésie ouvre au cœur des êtres et des choses.
Pour un communisme des ténèbres - Rencontre avec Annie Le Brun
Envers et contre elle, Annie Le Brun traverse l'époque. Elle occupe ce point où sensible et politique, littérature et subversion, restent indissociables. L'expérience du surréalisme dont elle témoigne est tout le contraire d'un mythe, le contraire d’un passé. On y entend le vif des rencontres et de le plein des singularités, la puissance du collectif quand il chemine vers l’inconnu. Autant dire que sa manière de soutenir les désirs, de chasser toute tendance à la résignation ou de faire entendre la joie d’être ensemble, nous a beaucoup parlé à lundisoir.
On y a parlé d’esthétique critique, de communisme des ténèbres et de ces lignes de crête sur lesquelles il faut se tenir pour rester inaccaparé. Ou encore, pour reprendre un passage des Vases communicants qu’elle nous avait apporté, de ces « réserves monstrueuses de beauté » dans lesquelles puiser pour « se garder de reculer et de subir » .
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