En elle-même, la surabondance des informations ne conduit pas à un embarras du choix qui empêcherait tout jugement, comme certains l'on avancé. C'est plutôt de ne pouvoir être replacée dans un ensemble sensible cohérent, qu'il n'est plus d'informations, futile ou importante, qui ne paraisse condamnée à se perdre dans le flux de toutes les autres. Davantage, leur défilé ininterrompu ferme une à une les perspectives qu'il était jusqu'alos naturel à l'imagination de projeter au-delà des simples données objectives pour appréhender un être, un événement, une situation... L'effondrement de la critique d'art comme de la critique littéraire ne s'explique pas autrement : faute de quelque adhésion sensible, peu importe à quoi l'on se réfère. D'où la pléthore de théories d'allure scientifique qui prospèrent de cette absence sensible, sans avoir d'autre raison d'être que de l'entretenir sous un semblant de sérieux.
Sans doute une critique d'art comme Catherine Millet remarque-t-elle que, dans la mesure où "les contemporains, mieux informés et plus tolérants, veulent bien mettre de plus en plus d'espaces collectifs à la disposition des artistes [...] le modèle marginal ou du maudit s'estompe. Le "suicidé de la société" fait place au subventionné de la société." De sorte que, ne manquant pas de souligner par exemple les contradictions d'un Daniel Buren qui, après s'être illustré dans les années soixante avec quelques autres comme l'ennemi de l'institution, en est devenu un des plus fidèles serviteurs (qu'il exécute la commande des fameuses colonnes du Palais-Royal ou qu'il fasse fonction de directeur de l'Ecole des beaux-arts), elle finit par se demander "si tout est prévu dans la société muséographique pour mettre en place, préserver et faire connaître les créations de l'artiste, quelle part celui-ci pourra-t-il encore accorder à l'utopie?" Bien sûr aucune.
Quand aux artistes -dont il n'y a pas grand chose à attendre depuis que Jacques Vaché a tranché en 1917 : "Nous n'aimons ni l'art, ni les artistes" -, on ne sait pas ce qui les aurait empêchés de rejoindre cette domesticité culturelle. Sinon, on ne verrait pas prétendre à ce titre une pléthore de travailleurs culturels censés produire l'art de ce temps, au rythme des bourses et subventions que touts les Etats du monde leur accordent généreusement [(sic) je rajoute]
En quoi ces employés d'une nouvelle sorte différent à peine de leurs collègues poètes-professeurs, peintres-professeurs, artistes-professeurs..., qui constituent l'avant-garde proliférante de ceux qui ne sont même plus en état de percevoir quelle contradiction fondamentale organise leur vie de spécialistes en neutralisation. Pas plus qu'ils ne peuvent mesurer combien l'effacement de cette contradiction, dont leur existence témoigne chaque jour, participe de l'escroquerie à la communication n'ayant d'autre but que d'immuniser contre tout ce qui pourrait être l'expression d'une protestation ou d'un refus.
Des années de nourriture trafiquée, frelatée, reconstituée, nous ont accoutumés à déguster moins la chose elle-même que le nom de la chose.
Voilà déjà longtemps Novalis affirmait : « Le corps est l'organe nécessaire du monde. » Et n'est-ce pas, faute de l'être aujourd'hui, qu'il est en train de devenir la plus encombrante des prothèses ?
Pour un communisme des ténèbres - Rencontre avec Annie Le Brun
Envers et contre elle, Annie Le Brun traverse l'époque. Elle occupe ce point où sensible et politique, littérature et subversion, restent indissociables. L'expérience du surréalisme dont elle témoigne est tout le contraire d'un mythe, le contraire d’un passé. On y entend le vif des rencontres et de le plein des singularités, la puissance du collectif quand il chemine vers l’inconnu. Autant dire que sa manière de soutenir les désirs, de chasser toute tendance à la résignation ou de faire entendre la joie d’être ensemble, nous a beaucoup parlé à lundisoir.
On y a parlé d’esthétique critique, de communisme des ténèbres et de ces lignes de crête sur lesquelles il faut se tenir pour rester inaccaparé. Ou encore, pour reprendre un passage des Vases communicants qu’elle nous avait apporté, de ces « réserves monstrueuses de beauté » dans lesquelles puiser pour « se garder de reculer et de subir » .
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