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EAN : 9782213623160
365 pages
Fayard (12/01/2005)
4/5   4 notes
Résumé :
Quelles furent les spécificités des conflits coloniaux engagés par la France en Afrique du Nord et ailleurs ? Que nous apprennent les méthodes singulières - enfumades, massacres de prisonniers et de civils, razzias, destructions de cultures et de villages - couramment employées par les militaires français sur la nature de la guerre conduite pour pacifier l'ancienne Régence d'Alger ? Pourquoi de nombreuses mesures racistes et discriminatoires ont-elles été élaborées ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Olivier le Cour Grandmaison s'est engagé dans une « démarche et une exigence rebelles à l'ordre des savoirs récemment utilisé », et nous livre un texte très dense, illustré de multiples et longues citations de personnalités civiles (en particulier Tocqueville « Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l'époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu'on nomme razzias et qui ont pour objet de s'emparer des hommes et des troupeaux » et militaires. Les termes employés, la négation de l'autre, la violence non dissimulée, nous montre une société du milieu du XIXème siècle consciente de ces faits et gestes et les revendiquant ouvertement au nom du progrès et de la civilisation. Nous sommes loin du maquillage de l'histoire dans une narration mythique et reconstruite à l'abri des oublis.

Dès l'introduction, l'auteur nous précise que certains mots peuvent être polysémiques (nommant des actes jugés, aujourd'hui, fort éloignés les uns des autres) et qu'il est impératif pour lire les textes cités de s'affranchir de leurs acceptations récentes forgées après Auschwitz. Un exemple frappant en est le mot « exterminer » présent dans le titre de son livre.

Le livre est accablant sur les méthodes employées par l'armée française dans les territoires algériens et sur les justifications développées par les hommes politiques.

Il est éprouvant de lire la description des enfumades, des massacres de prisonniers, des razzias, des destructions de village ; entendre et ressentir les mots de « hordes arabes », « races inférieures », « vies sans valeur », découvrir et penser les développements de notion comme « espace vital » et de « responsabilité collective », de suivre les spoliations légales, le code de l'indigénat et l'internement administratif.

Olivier le Cour Grandmaison ordonne les actions, les forces matérielles et les idées sous-jacentes en faisant ressortir les logiques propres et totalisantes de l'action coloniale.

Comment ne pas penser ces temps oubliés et cachés, à l'aune de temps plus modernes, plus proches, plus commémorés ?

A de multiples reprises, la narration sera soutenue par des remarques méthodologiques précises, pour permettre à l'historien-philosophe, et à nous lectrices ou lecteurs, de parcourir d'autres lieux et époques. Ces allers et retours, éclairent des liens, des ressemblances, de possibles projections ou extensions, d'un regard pertinent comme sur « le statut des juifs sous Vichy » ou sur « les camps d'extermination » sans en nier les différences fondamentales et leur objet irréductible à la violence coloniale.

L'ultime chapitre étend le champ de la réflexion. La guerre « coloniale » se poursuivait dans et contre la « sociale ». Des liens structurants, des croisements dans l'histoire des classes et des populations sont mis à nu avec une force démonstrative toujours ancrée dans de riches sources documentaires.

Ce livre est une invitation à la mémoire, à la connaissance et à la nécessaire réflexion sur la colonisation.

Si les faits d'alors ne tissent pas une toile où s'épanouiraient, en les relativisant, les crimes du XXème siècle, les expériences concrètes et les modelages de la société qu‘ils ont engendré, ont favorisé cependant des espaces fertiles à de nouvelles atrocités.

« Nous n'avons pas fini de prendre la mesure de la terrible fécondité de cette histoire et de ses conséquences désastreuse pour le siècle des “extrêmes” et des génocides. Il n'aurait pas été ce qu'il fut sans le « siècle de fer » et de sang imposé par les Européens aux “races inférieures” d'Afrique et d'ailleurs. »

PS

a) Sur Tocqueville, apôtre de la colonisation, l'historien rappelle aux chantres néolibéraux de l'auteur de la « Démocratie en Amérique » que celui-ci fût un partisan des destructions, des massacres et déportations en Algérie, dans un bel article dans le n° 82 de Aôut-septembre de Manière de Voir intitulé « Pages d'Histoire occultées ». A lire aussi dans ce riche numéro un article de D. Bensaid sur « La révolution française refoulée »

b) Dans la Remarque n°1, Engels et Marx : le colonialisme au service de l'histoire « universelle » Olivier le Cour Grandmaison revient sur le caractère unidimensionnel des analyses centrées sur le seul rôle « émancipateur du capitalisme », négligeant les conséquences sociales des processus dans une série de pays dominés et devrait aussi nous inciter à plus de vigilance dans l'exposition des faits rarement unilatéraux.

c) La remarque N°2 sur le livre de Joseph Conrad « Au coeur des ténèbres» aurait mérité un développement sur son adaptation cinématographique actualisé à la guerre du Vietnam par Coppola dans « Apocalypse Now ».
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Relatant la longue campagne qu'il a menée en Kabylie, Saint-Arnaud note : « J'ai laissé sur mon passage un vaste incendie. Tous les villages, environ deux cents, ont été brûlés, tous les jardins, saccagés, les oliviers, coupés. Nous avons passé. » Passé donc en cette région où l'ampleur des destructions rend impossible le retour des populations civiles, qui n'ont d'autre choix que d'abandonner des lieux et des terres où elles ne peuvent plus vivre. Conformément aux plans élaborés par l'état-major pour venir à bout des résistances rencontrées, les saccages systématiques favorisent des expulsions en masse, et tout cela contribue, comme le souhaitait Hain, à « déblayer le sol de la population indigène » en privant les combattants de leurs bases arrière. Sous le Second Empire, dans les années 1860, alors que les canons français tonnent en Cochinchine, les actions des soldats de Bugeaud sont toujours relatées avec précision dans les dîners de la bonne bourgeoisie lilloise, qui sait les « hameaux rebelles pris le soir » et réduits en cendres le matin, « ces brutes » arabes, fermées «au progrès», s'étant « laissé brûler avec leurs gourbis ». Sans doute est-ce jugé « un peu fort», mais «que voulez- vous ? La guerre est la guerre », affirme-t-on tranquillement.

Quant à la famine qui en résulte nécessairement, elle prolonge l'action des militaires puisqu'elle frappe indistinctement tous les «Arabes» ayant survécu. Elle n'est donc pas une catastrophe natu­relle; au contraire, provoquée à dessein, la famine fait partie inté­grante des moyens utilisés par l'armée d'Afrique.
(...)
Oget, qui a longtemps opéré en Kabylie, écrit : « La journée a été bonne : nous avions fait une centaine de prisonniers, tué cent cinquante hommes à l'ennemi et enlevé six mille têtes de bétail. Le résultat moral était au moins aussi satisfaisant : hier encore, [...] les Maknassas levaient insolem­ment la tête et tiraient bravement sur nos colonnes ; aujourd'hui, honteux, découragés, traqués de montagne en montagne, ils aban­donnaient le pays [...]. Nous avions incendié leurs villages, détruit leurs moissons, enlevé leurs troupeaux [...] ; la consternation était à son comble; ils se souviendront de la leçon. » En 1959, dans le cadre du plan élaboré par Challe pour anéantir le FLN et ses bases arrière, l'armée française eut recours à des procédés semblables. Bourgades incendiées, troupeaux abattus et déplacements forcés des populations suivis de leur regroupement, tels furent les moyens employés par les militaires, qui agissaient avec le soutien du gouver­nement de la Cinquième République et du chef de l’État, le général de Gaulle. (pp. 147-149)
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Comme le prouvent les razzias et l'anéantissement de nombreuses villes et bourgades livrées au feu et aux mines, on assiste en effet à une militarisation complète de l'espace et des popu­lations qui s'y trouvent. La notion si importante de champ de bataille, dont on connaît le rôle majeur dans le déroulement des conflits conventionnels ayant lieu sur le Vieux Continent, et les pratiques essentielles qui lui sont associées disparaissent puisque le pays tout entier est livré aux destructions et aux pillages systéma­tiques. Les différents sanctuaires traditionnels, dans lesquels les civils pouvaient se réfugier pour échapper aux violences des combats et des soldats, ne sont plus respectés. Ceci est une consé­quence de cela : dans le cadre de cette guerre coloniale, tout lieu est, ou peut devenir, un objectif militaire dont il faut s'emparer. Quant aux « indigènes », ils sont tenus pour des combattants potentiels ou avérés, ce qui signifie qu'ils sont d'abord et avant tout considérés comme des ennemis.
(...)
Qu'en est-il de l'«Arabe» que l'armée d'Afrique combat avec acharnement? Capturé ou blessé, il demeure toujours un ennemi, car il est le plus souvent massacré ou achevé par des troupes qui ont pris l'habitude de ne pas faire de prisonniers, conformément, sans doute, aux consignes de l'état-major. En tout état de cause et quelle que soit la nature des ordres, écrits ou oraux, effectivement donnés, cette pratique fort courante est de notoriété publique dans la colonie et en France, où plusieurs hommes politiques importants l'ont condamnée avec vigueur, mais en vain. C'est le cas de Tocqueville, qui, dans son « Travail sur l’Algérie » rédigé en 1841, relate que plusieurs officiers qu'il a connus à l'occasion de son voyage dans cette contrée « encourageaient leurs soldats à n'épargner personne ». La découverte de cette réalité où l'on tue « tout ce qui se rencontre » - cela laisse entendre que les femmes en font partie - le conduit à écrire : « Pour ma part, j’ai rapporté d'Afrique la notion affligeante qu'en ce moment nous faisons la guerre d'une manière beaucoup plus barbare que les Arabes eux-mêmes. » Certains contemporains, ardents défenseurs de la conquête et de la colonisa­tion, sont donc conscients du caractère extraordinaire de cette pratique, qui constitue à leurs yeux une grave régression. Il y a long­ temps que l'on n'agit plus ainsi en Europe ; depuis le XVIIIe siècle, les prisonniers de guerre ne sont plus massacrés et les « populations des villes prises d'assaut » sont désormais épargnées. (pp. 178-180)
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Convaincu qu’il s'agit d'une loi universelle, Moll étudie alors les conquêtes passées, celles de l'Amérique notamment, en y observant les effets tangibles de cette guerre implacable qui a vu les peuples d’Europe l’emporter sur des peuples plus faibles qu’ils ont parfois anéantis pour fonder leurs colonies. Selon lui, « la terre tout entière appartient de droit » à la civilisation incarnée par les Blancs, qui transforment et soumettent, par leur travail, leur énergie et leur persévérance, la nature animée et inanimée quelle porte. S'emparer de vastes territoires pour les arracher aux populations arriérées qui les occupent sans les exploiter est donc parfaitement légitime, même si cela passe par l’expulsion, voire l’anéantissement de ces dernières. Quant à leur résistance, elle est la preuve de leur incapacité à s'adapter aux conditions des sociétés modernes et, in fine, à se civi­liser.
(...)
Ces raisonnements valent également pour les « Arabes ». Présents en Afrique depuis «douze cents ans», ils n'ont « rien su créer », soutient Moll ; pis encore, ils ont ruiné les contrées qu'ils ont enva­hies. Inférieurs et dangereux, les « indigènes » d'Algérie doivent donc être traités comme les Indiens d’Amérique avant eux ; ce n’est pas là perpétrer un grand crime, mais servir l'humanité en la débarrassant des races qui ralentissent la marche des peuples supérieurs partis à la conquête du monde pour le civiliser. Plus précisément, agir de la sorte, c'est se soumettre avec réalisme à une loi d’airain dont les conséquences immédiates ne sont néfastes qu'en apparence puis­ qu'elles produisent des résultats positifs. Au terme de ces luttes, qui opèrent une saine sélection parmi les races humaines, seules subsis­tent les plus fortes et les plus créatrices, comme l’histoire en apporte les preuves selon Moll. À l'instar de beaucoup d'hommes de son temps, il sait que la colonisation et l'extermination marchent souvent de concert, et ce savoir, loin de l'inciter à renoncer à faire de l'Algérie une colonie de peuplement, l'encourage au contraire car, en se comportant ainsi, les Français participent à un vaste mouve­ ment synonyme de progrès. Quant aux expulsions, aux déportations et aux massacres, ils se banalisent en s'autorisant du précédent américain puisqu'ils ne sont que la réitération, imposée par les circonstances et les buts que poursuit la France, de ce qui a déjà eu lieu outre-Atlantique notamment. (pp. 115-116)
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Massacrer les populations civiles et les prisonniers désarmés dont les corps sont couramment mutilés par les soldats français qui exhi­bent têtes ou oreilles comme autant de trophées souvent rémunérés par leurs supérieurs, ruiner les villages et les villes, s'emparer des troupeaux et des vivres, détruire les cultures et les plantations, enfin terroriser les survivants : tels sont les procédés employés par l'armée d'Afrique.
(...)
A propos des « indigènes » soupçonnés d’avoir soutenu Abd el-Kader, Bugeaud avait déclaré à ses subordonnés, qu'il s’apprêtait à envoyer en mission : « Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, fumez-les à outrance comme des renards » ; cette recommandation avait été assortie de considéra­tions détaillées sur la manière de procéder pour y parvenir plus sûre­ ment. Dans le rapport circonstancié rédigé à l'adresse de Bugeaud, Pélissier écrit, en bon militaire respectueux des instructions reçues : « Dès lors, je n’eus plus qu'à suivre la marche que vous m'aviez indi­quée : je fis faire une masse de fagots et, après beaucoup d'efforts, un foyer fut allumé et entretenu à l’entrée supérieure [...]. » Ce passage livre des informations capitales sur la nature de celte action et les modalités de sa réalisation. Hiles confirment que le colonel a suivi des règles précises et codifiées à l'avance, et qu'il a réussi, non sans difficulté d'ailleurs, à les appliquer en déployant des moyens impor­tants pour parvenir à ses fins.
(...)
Dans le cadre d'une guerre faite aux populations, les enfumades, sans utilité militaire apparente puisqu'elles visent des civils, sont autant de moyens indispensables à la réussite d'une politique de terreur décidée au plus haut niveau, puis appliquée par des subor­donnés consciencieux. Elles témoignent du triomphe de conceptions où la vie d'autrui est désormais sans valeur ; peu importent son sexe, son âge et son statut, il peut être mis à mort sans que cela soit perçu par les exécutants comme un crime, puisque cet autrui bestialisé et fait renard subit un traitement adéquat à sa condition de bête sauvage et nuisible. (pp. 138-142)
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Nous n’avons pas fini de prendre la mesure de la terrible fécondité de cette histoire et de ses conséquences désastreuse pour le siècle des « extrêmes » et des génocides. Il n’aurait pas été ce qu’il fut sans le « siècle de fer » et de sang imposé par les Européens aux « races inférieures » d’Afrique et d’ailleurs.
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