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EAN : 9782707190673
400 pages
La Découverte (17/10/2019)
5/5   1 notes
Résumé :
Pour mieux comprendre la place singulière de l'islam aujourd'hui en France, cet ouvrage étudie les représentations de cette religion et des musulmans élaborées de la fin du XIXe siècle jusqu'à la guerre d'Algérie par les élites académiques, scientifiques, littéraires et politiques.
S'appuyant sur des sources diverses, parfois ignorées ou négligées, Olivier Le Cour Grandmaison analyse la façon dont ces élites ont, pendant des décennies, conçu et diffusé un por... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
L'islamophobie savante parée des atours de la recherche érudite

Février 1862, Collège de France, des caractérisations de l'Orient musulman et de l'islam, « Contribution significative, mais peu originale en fait, apportée par ce professeur à l'invention d'un Orient islamisé réputé par nature obscurantiste, hostile au progrès et ennemi d'un Occident pensé comme l'unique moteur de l'histoire universelle », l'apologie d'une civilisation et de sa supériorité qui « l'autorise à soumettre les peuples et les races arriérées pour les soustraire à leur stagnation multiséculaire »…

En lisant l'introduction, je me suis projeté dans le temps et les analyses de Johann Chapoutot sur le nazisme, la construction savante de la légitimité des crimes et de leur juste nécessité.

« Depuis que la religion musulmane, en raison de l'actualité nationale et internationale, est pensée par beaucoup comme un problème majeur posé à la France, à l'Europe et à l'Occident, les thèses d'Ernest Renan sont fréquemment invoquées ». Dans son introduction, Olivier le Cour Grandmaison aborde, entre autres, l'islam, l'islamisme, l'islamophobie, l'essence supposée « de leur religion et de leur civilisation », les orientations coloniales, les dispositions d'exception, les représentations, « l'objet de ce livre n'est pas l'islam, comme civilisation et religion, son histoire et celle des musulmans vivant dans les possessions françaises à l'époque coloniale. Il s'agit d'étudier les représentations savantes, communes parfois aussi, qui ont été élaborées au cour de cette période », des écrits de spécialistes « scientifiques », de politiques et de représentants de l'appareil d'Etat, d'écrivains connus, « Les représentations d'origine diverses, qui font de l'islam une religion inférieure et dangereuse, ont ainsi favorisé l'avènement d'un « régime de vérité » puissant et longtemps persistant puisqu'il a perduré dans des disciplines comme la psychologie ethnique et la démographie, jusqu'aux années 1960 ».

Je souligne que ces dignitaires, encore largement célébrés, ne pensent qu'en termes d'unité fantasmée, sans histoire et sans contradiction, à la fois la religion aux multiples facettes et préceptes et les différentes et variées populations s'y référant sous le terme nivelant de mahométan…

« Quelles furent la genèse de ce « régime de vérité », les évolutions de celles et ceux qui ont contribué à sa construction comme à sa pérennité, et leur influence sur les politiques « musulmanes » de la France ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles nous entendons répondre ». Olivier le Cour Grandmaison poursuit avec Ernest Renan, « Pour la raison humaine, l'islamisme n'a été que nuisible », la hiérarchisation des cultures, l'autorité d'un membre du Collège de France, « Remarquable expression de la force des préjugés à l'endroit des musulmans, de leur religion, de leur civilisation et de leur histoire, constitutifs d'une islamophobie savante parée des atours de la recherche érudite ? ». Mais quelques voix discordances se sont élevées, sans effets notoire sur les travaux des savants colonialistes. Il ne faut pas oublier qu'entre 1881 et 1912, « les Républicains ont fait de l'hexagone la deuxième puissance impériale du monde »…

La construction de l'empire, les mutations académiques, l'évolution de disciplines… L'auteur parle de « convertir des connaissances académiques ou jugées telles en savoirs experts et, in fine, en pouvoir, d'autant plus légitimes que leurs producteurs appartiennent au champ universitaire ou sont des acteurs importants de l'administrations coloniale, connus pour le sérieux de leurs travaux et leur longue expérience ».

Olivier le Cour Grandmaison aborde aussi, les « politiques musulmanes », le service « des intérêts coloniaux et internationaux du pays », celles et ceux qui sont jugé·es « inférieurs et dangereux pour la stabilité de la domination française », la psychologie « ethnique », les portraits dressés de « l'« arabe musulman » en barbare », celles et ceux qui sont relégué·es « au plus bas de la hiérarchie du genre humain », l'altérisation radicale, « Altérisés de façon radicale, c'est-à-dire anéantis en tant que semblables égaux en droit comme en dignité, puis infériorisés, les musulmans se voient imputer une dangerosité polymorphe d'autant plus inquiétante qu'elle affecte, à cause de cela, tous les registres de la vie », un déterminisme qui subjuguerait et façonnerait irrémédiablement, « l'islamophobie savante de la fin du XIXe siècle et ses avatars ultérieurs peuvent s'analyser comme une forme spécifique de racisme différentialiste et inégalitaire qui essentialise et éternise les traits réels ou supposés imputés aux musulmans », l'intensité de l'exécration, la hantise du péril vénérien et de la « corruption des sangs », la surveillance spécifique, les dispositions et pratiques d'exception…



Table des matières

Introduction

Islam, islamisme, islamophobie

« Pour la raison humaine, l'islamisme n'a été que nuisible »

La France en terre d'islam

Quelle « politique musulmane » ?

Petit portait de l'« Arabe musulman » en barbare

1. La République impériale : « une grande puissance musulmane »
Des millions de « sujets » et de « protégés musulmans »
La France en Afrique du Nord : poursuivre l'expansion
Colonisation et islamisation de l'Afrique française
L'islam : la religion des races et des peuples inférieurs
Remarque 1. de l'islamophobie savante à l'époque coloniale à l'islamophobie contemporaine
2. Victoires coloniales et « péril » islamiste
Fonder une science pratique de la religion et des sociétés musulmanes
Les politiques musulmanes à l'épreuve
3. Morale musulmane et arriération
Fatalisme et pauvreté
L'« influence déprimante de l'islam »
4. Islam : « sensualisme » et sexualités coupables des musulman·e·s
Polygamie, hypersexualité et criminalité indigènes
Inversion, perversions et conquête de « la musulmane »
Remarque 2. du mythe orientaliste du « musulman » et de « la musulmane » au mythe contemporain de « la beurette »

5. Islamophobie, gouvernement des « musulmans » et droit colonial
« La force, telle est notre raison d'être »
La Mecque : le « sanctuaire du fanatisme »
Islamophobie et dispositions d'exception
Conclusion

J'ai fait le choix de n'aborder que l'introduction. Il faut lire et discuter de ce livre, prendre en compte les différentes déclinaisons de l'islamophobie, son histoire profonde, souligner le rôle des savants et intellectuels dans la construction d'une soi-disant supériorité d'une civilisation et d'une hiérarchie des populations, revenir sur la consubstantialité de la république française avec l'impérialisme et le colonialisme, comprendre les liens entre le passé et l'obsession islamophobe d'aujourd'hui… Sans oublier la littérature et les récits racistes et sexistes d'écrivains toujours valorisés.

Je souligne quelques éléments de la conclusion. Olivier le Cour Grandmaison revient sur le contexte « scientifique, académique et politique », des formes d'islamophobie – savante et élitaire, populaire ou souhaitée telle -, des dispositions discriminatoires, la construction du roman national, l'oubli ou la marginalisation « des discours et des textes critiques de l'époque alors que leurs auteurs furent souvent célèbres et que certains d'entre eux demeurent des figures exemplaires du régime républicain », la réalisation obstinée et souvent meurtrière de la République impériale, les doctrines relatives à l'inégalité des races, les conceptions hiérarchisées du genre humain, le sinistre relativisme « qui est principe d'une conception purement instrumentale et illibérale du droit colonial », la réduction blanche et chrétienne de la citoyenneté et de la capacité à jouir des droits humains fondamentaux.

« Sordidement racistes, sordidement islamophobes, aussi, sont ces conceptions qui ont longtemps fait florès. Islam ? O phobie ! »

Au panthéon des intellectuels, sur des statues équestres ou non, dans une toponymie coloniale des noms de rues… des assassins, des criminels, des sabreurs et leurs idéologues… L'infamie se poursuit aussi sur les frontons d'écoles et lycées. La glorification de la colonisation nous entoure et nous enserre encore et encore…
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Des représentations de l'islam et des musulmans ont été élaborées, de la fin du XIXe siècle jusqu'à la guerre d'Algérie, par les élites académiques, scientifiques, littéraires et politiques : religion « nuisible » selon Ernest Renan, sexualité prétendument débridée et « contre nature » de ses adeptes selon Maupassant, jugés rétifs au progrès, danger protéiforme et existentiel qui menace les bonne moeurs et la sécurité sanitaire, l'avenir de la nation et de la civilisation occidentale. Olivier le Cour Grandmaison, enseignant en sciences politiques et philosophie politique à l'université Paris-Sarclay-Évry-Val d'Essonne, analyse « l'invention d'un Orient islamisé réputé par nature obscurantiste, hostile au progrès et ennemi d'un Occident pensé comme l'unique moteur de l'histoire universelle », qui affecte notre présent et alimente beaucoup d'obsessions islamophobes contemporaines.
(...)
Olivier le Cour Grandmaison démontre comment l'islamophobie savante a été indispensable à l'avènement de la République impériale comme à sa défense. Elle n'a pu prospérer qu'en raison de la conception hiérarchisée du genre humain que partageaient nombre de ses concepteurs : pour jouir de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il faut être blanc et chrétien. Cette étude rétrospective extrêmement documenté est tout simplement édifiante.

Article (très) complet sur le blog :
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
La conjonction de ces thèses racistes et islamophobes, constitutives d’un “régime de vérité“ élaborées au sein d'institutions diverses et souvent prestigieuses, a contribué à forger de “l’indigène“ mahométan une image particulièrement négative. Après avoir été saisi par le droit colonial, la médecine, l'hygiène privée et publique, et la psychologie technique, qui jouissent d'une influence importante auprès des pouvoirs publics, l'Arabe musulman est désormais un tout-autre, inférieur et inquiétant.
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Le projet même de République impériale, sa réalisation obstinée et souvent meurtrière entre 1881 et 1912, son extension après la première Guerre Mondiale au Togo, au Cameroun, au Liban et en Syrie, la mise en place d'un État colonial comme État d’exception permanent, l'assujettissement des “indigènes“ établi par leur statut de “sujets français“ et de nombreuses dispositions exorbitantes du droit commun, la défense implacable des possessions ultramarines n'auraient pas été sans l'adhésion de la majorité des dirigeants politiques et des élites républicaines aux doctrines relatives à l'inégalité des races. Pas de République impériale sans République raciale, et sans racisme d’État, tous trois entés sur un racisme scientifique, élitaire et républicain grâce auquel la première et la seconde ont été conçues puis mises en œuvre avec le soutien des radicaux-socialistes et des socialistes. 
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À la complexité des situations surgies après la Grande Guerre se substitue une interprétation monocausale caractérisée par le primat de la religion, laquelle permet de rendre compte de l’histoire des musulmans et de la période contemporaine. Une fois bien établie sur le plan académique et éditoriale, une telle démarche tend à devenir infalsifiable pour ceux qui estiment qu'elle est scientifiquement fondée puisqu'elle est réputée expliquer le cours des choses et conforter la thèse qu’ils défendent : depuis ses origines, l'islam et ses sécateurs sont violents et ils n'ont jamais cessé d’être des ennemis du christianisme, de l'Europe et de l’Occident.
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Depuis que la religion musulmane, en raison de l’actualité nationale et internationale, est pensée par beaucoup comme un problème majeur posé à la France, à l’Europe et à l’Occident, les thèses d’Ernest Renan sont fréquemment invoquées
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Miracle de l'essentialisation qui permet de faire passer des continuités tout à fait improbables pour des vérités psychologiques et comportementales.
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"Ennemis mortels": représentation de l'Islam.
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