C'est un court et intéressant ouvrage que proposent les éditions Les bons caractères. Abordant la question de la révolution industrielle en France, l'auteur interroge le constat suivant : la France, pourtant dotée d'atouts indéniables à l'orée du 19ème siècle, ne parvient à se hisser qu'à la troisième place des puissances économiques et industrielles à la veille de la Première guerre mondiale, derrière le Royaume-Uni et l'Allemagne. le titre peut paraître provocateur, mais la question historique mérite d'être posée tant elle semble, à certains égards, justifiée et qu'elle permet d'aborder de vrais sujets politiques et sociaux dans cette France qui préfigure en grande partie notre histoire contemporaine. Je tiens à dire cependant que, sur la question, les connaissances me manquent cruellement pour juger des arguments avancés par l'auteur et que, par conséquent, il me sera difficile de pointer du doigt telle ou telle erreur factuelle. Je me permets simplement de regretter l'absence de références biographiques concernant l'auteur (on ne sait pas "d'où" il parle), ce qui induit que son autorité savante n'est pas clairement légitimée.
A la veille du 19ème siècle, la France dispose de sérieux atouts. Elle a une population nombreuse et, surtout, la Révolution a ouvert le champ social et économique des possibles en mettant fin aux privilèges de la noblesse et aux diverses entraves économiques de l'Ancien Régime. Pour expliquer le retard que la France prend par rapport à ses deux principaux voisins, le Royaume-Uni et l'Allemagne,
Alain Lecaire avance trois arguments. le premier est le conservatisme et la prudence de la bourgeoisie française. Celle-ci a comme modèle la noblesse d'Ancien Régime, dont elle veut hériter socialement en adoptant son habitus, et notamment le modèle économique de la rente. La bourgeoisie française se montre économiquement attentiste (à de rares exceptions avec de grands capitaines d'industrie, comme Schneider au Creusot) et préfère les placements sûrs, notamment auprès de l'Etat. Les banques, acteurs bourgeois par excellence, adoptent cette même attitude, notamment les grandes banques d'affaire pour lesquelles la réputation est essentielle, et qui ne veulent ni ne peuvent prendre de risques. L'Etat est ainsi un moteur pour encourager la bourgeoisie à investir mais cette frilosité explique le retard pris sur les bourgeoisies anglaises, allemandes et américaines. le deuxième facteur explicatif réside dans la composition sociale et démographique de la France. le pays connaît une hausse limitée de sa population (x1,5, quand la population britannique est multipliée par 7). Par conséquent, la France ne connaît pas un exode rural massif vers les centres urbains industriels, comme en Angleterre ou en Allemagne. Par ailleurs, la paysannerie est toujours le corps social le plus représenté dans la société française. La petite paysannerie, majoritaire, s'accroche à sa liberté arrachée à la Révolution dont elle fut actrice, et la bourgeoisie refuse de forcer un changement de société. le troisième facteur est le manque de matières premières essentielles dans la première Révolution industrielle : le charbon et le coton. Les Britanniques et les Allemands possèdent de grands filons de charbon, dans le nord-ouest de l'Angleterre ou dans la Ruhr, tandis que les Français n'ont pas de tels gisements : le développement de la sidérurgie en souffrit. Quant au coton, les Anglais l'importent majoritairement d'Inde, où ils se constituent un empire colonial.
Loin de limiter le propos aux seules raisons qui expliquent le retard du développement industriel en France, le livre d'
Alain Lecaire propose une photographie sociale et économique de la France au 19ème siècle. La Révolution industrielle y est également abordée sous son aspect technique, avec les descriptions des nombreuses innovations qui favorisent la mécanisation des métiers industriels et la création d'un prolétariat, du fait de la baisse des coûts de fabrication induite par cette même mécanisation. La France de la Révolution industrielle ne se résume pas à une opposition entre ouvriers et patrons. D'une part, la paysannerie représente encore la majorité de la population active, et cet état de fait ralentit aussi l'industrialisation du pays, car la paysannerie, rurale et économiquement faible, n'est pas une clientèle potentielle pour les produits industriels. D'autre part, le prolétariat naissant n'a pas que son patron comme problème principal. le menacent aussi la lourdeur de la charge de travail, le chômage, les conditions abrutissantes de travail. La France de la Révolution industrielle ne se résume pas à une histoire technique, ou à une histoire des rapports sociaux au sein de la seule société française. La colonisation de l'Afrique et de l'Asie joue aussi un rôle - on verse alors dans la géopolitique -, puisqu'elle encourage les détenteurs de capitaux à rechercher la facilité d'un placement dans les colonies du fait des rendements impressionnants des investissements, et non le risque d'un investissement dans une innovation technique.
Le développement industriel de la France au 19ème siècle éclaire, de façon large, l'histoire du pays à cette période. Depuis le fonctionnement du système bancaire français à la dispersion de l'industrie française jusqu'au fond des campagnes en passant par la réalité financière du quotidien ouvrier (chapitre très intéressant, au passage, avec une comparaison avec nos données contemporaines), le livre montre de larges facettes de la société, ce qui lui confère tout son intérêt. Restent deux critiques qui doivent être formulées : le parti pris contre la bourgeoisie, qualifiée à maintes reprises de parasite (d'où l'intérêt de la notice biographique de l'auteur, sans dénoncer une quelconque appartenance ou opinion politique à laquelle l'auteur à droit), et l'absence de nuances, notamment dans la première partie de l'ouvrage et inhérente à la nature de vulgarisation scientifique de l'ouvrage (l'auteur parle de la noblesse, la bourgeoisie, la paysannerie, alors que ces états sociaux sont extrêmement divers). Cependant, en une centaine de pages, le livre d'
Alain Lecaire est très intéressant sur un grand nombre de points (histoire économique, sociale, technique, démographique, géopolitique, littéraire aussi avec les références à
Balzac ou
Zola ...) et sa bibliographie, certes un peu vieillissante, permettra sans doute d'approfondir certains de ces sujets.