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4,38

sur 13612 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Voici venir (enfin !) mon tour de découvrir la trilogie des Enfants du désastre. Depuis le temps que je me dis qu'il me faut la lire... la faute à toutes les critiques élogieuses sur lesquelles je suis tombée. Mais c'est aussi à cause d'elles que j'en attends beaucoup, peut-être même trop parfois, et que je mets le temps pour franchir le pas. Pour ce premier tome intitulé "Au revoir là-haut", j'ai su dès les premières pages que je n'en sortirai pas déçue.

De Pierre Lemaitre, je n'ai lu que deux de ses romans, et deux polars, que j'avais bien aimés. Nous sommes ici dans du roman historique, que j'ai tout autant aimé, si ce n'est même plus. L'intrigue débute quelques jours avant l'armistice du 11 novembre 1918, sur le front, sur la côte 113 plus exactement. Nous y rencontrons trois personnages : un capitaine et deux soldats. Je ne dirais rien de ce qui s'y passera, même si nous n'en sommes qu'au tout début et que je ne divulgâcherai rien en soi. Mais les derniers combats et les événements qui en découlent ayant une incidence sur les choix de vie de chacun après-guerre, je trouverai dommage que vous ne le découvriez pas par vous-même (si comme moi, vous faites partie de la minorité qui ne l'a pas encore lu).

Quoiqu'il en soit, nous suivrons par la suite Albert et Édouard d'un côté, qui imaginent et mettent en place une escroquerie nationale qui défie la morale ; et Henri de l'autre, en quête d'une fortune pour redorer son nom. Vengeance d'un côté, cupidité de l'autre. Personnages attachants ou détestables peu importe, on aime à les voir évoluer dans cette France d'après-guerre 14-18, qui pleure ses morts et ne sait pas quoi faire de ses survivants.

Solidarité, entraide et amitié, blessures de guerre (physiques et psychiques), reconstruction (ou pas), arnaques, fraudes et corruptions, usurpation d'identité, vengeance et mensonges, deuil, dépendance à la morphine ou encore dessin et monuments aux morts, tels sont les thèmes qui nous emportent dans ce roman passionnant.

Le contexte historique est magnifiquement bien développé, et les personnages bien fouillés. La plume de l'auteur est extra, aussi dynamique que percutante. L'atmosphère, plutôt sombre, est envoûtante. Tout est justement bien dépeint, ressentis des personnages comme le Paris d'après-guerre. Pierre Lemaitre m'a totalement embarquée dans ses deux intrigues qui se chevauchent.

Alors que c'est Édouard le plus abîmé (physiquement parlant), c'est Albert qui m'a davantage touchée. L'homme gentil, serviable, peureux et angoissé qu'il est et qu'il restera jusqu'au bout a su m'apitoyer, m'émouvoir. Édouard a lui aussi, à sa manière, malgré son côté loufoque, dépressif et immoral, su m'attendrir. Quant à Henri, on espère qu'une chose : assister à sa dégringolade et donc espérer que l'auteur aille dans ce sens.

Albert. Édouard. Henri. Trois personnages aussi différents les uns des autres : sympathique pour le premier, insaisissable pour le second, détestable pour le troisième. Trois personnages hauts en couleur, qui nous surprennent chacun leur tour. Je n'oublie pas non plus M. Péricourt et sa fille, et quelques autres personnages secondaires, responsables de quelques retournements de situation bienvenus.

Bref, vous l'aurez compris : j'ai beaucoup aimé. "Au revoir là-haut", ce sont 624 pages que l'on ne voit pas passer, qui se lisent toutes seules, surtout les derniers chapitres où la tension monte crescendo. Il ne me tarde qu'une chose : que ma bibliothécaire m'envoie un mail m'informant que je peux désormais récupérer "Couleurs de l'incendie" que j'ai réservé il y a peu.
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Ah, j'ai l'impression que j'arrive après la bataille (huhuhu) sur le Goncourt 2013...A ce rythme-là, quand je lirai le Slimani, Donald Trump aura peut-être quitté le pouvoir...Je dis ça rapport à l'atmosphère de fin du monde 1916/2016 ...On ne pourra pas dire que les romanciers ne nous auront pas prévenus là où les journalistes ne voient rien du tout : les grands de ce monde sont des psychopathes avides, aveugles, stupides et suprêmement narcissiques. C'est bien le sujet de Lemaître, les hommes sans grade à l'abattoir, les bouchers au Jockey Club, à fumer leurs cigares et attraper les nanas par le minou...
C'est donc un roman noir et sans grand espoir que nous présente Pierre Lemaître. Un vrai bon roman, je pense. Tout commence le 2 novembre 1918, ça sent l'armistice ...les fantassins français et allemands aimeraient bien qu'on leur fiche la paix, maintenant, dans leurs tranchées. Mais ce n'est pas du goût de nos amis à cigare. L'état major français veut la côte 113, un petit bout de terrain où les Allemands avancent de 10 mètres environ sur la ligne française. Insupportable. de quoi sacrifier encore une unité. Ils s'en fichent, ils ont des cigares. le lieutenant d'Aulnay-Pradelle, officier des hommes concernés, sent bien que ça va être compliqué de faire décoller les troupes, alors il utilise un bon petit stratagème de bon petit psychopathe ambitieux qu'il est. Et ça marche...Jusqu'à ce qu'Albert Maillard, sans grade, découvre la ruse (sous une pluie d'obus) et qu'Edouard Péricourt, sans grade mais fils déchu d'une grande famille bourgeoise, s'en mêle. A partir de là, enchaînement de péripéties qui vont nous mener jusque dans l'immédiat après-guerre.
L'immédiat après-guerre...Cela ne fait pas longtemps qu'on en parle ...Cela ne fait pas longtemps qu'on admet que les Poilus vétérans ont été traités comme des chiens à leur retour. D'un côté, la grande hypocrisie d'un gouvernement qui feint de les honorer par des monuments, des grands cimetières...De l'autre, l'incurie totale, des milliers d'hommes jeunes-toute une génération-blessée, traumatisée, livrée à elle-même dans un monde qui ne veut pas leur faire de place. Pierre Lemaître plonge dans cette faille. Des soldats sans grade vont s'essayer à une large escroquerie dans l'hypocrisie des hommages gouvernementaux. Parallèlement, le marché des grands cimetières fait saliver les squales du Jockey-Club...Imaginez, des millions de cercueils, des millions de croix, de plaques ...De quoi s'en mettre plein les poches, avec les cadavres de ces abrutis qui se sont fait tuer ahahah -rire démoniaque, cigare, smocking- Tous les petits Donald sont sur les dents...Y a du pognon, y a de la chatte ...(Oups, excusez ma vulgarité, je traduis la pensée des squales...)
Bon, c'est donc un roman très passionnant, qui traite d'un sujet encore assez peu débroussaillé, mais qui résonne beaucoup dans l'actualité, et fait frissonner d'horreur devant ce que l'homme peut faire à l'homme. Ajouter à cela des personnages très bien campés, qui portent l'histoire, et dont je ne parle pas pour ne pas spoiler. Je ne dirai pas "lisez-le", étant donné que, visiblement, à part moi, tout le monde l'a lu...


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À la guerre comme à la guerre, en cette année du centième anniversaire du début de la Première Guerre mondiale, j'attaque la lecture de ce roman qui pue le succès : Goncourt 2013, encensé sur Babelio!

Ça pue!

Ça pue dans les tranchées, ça pue à l'hôpital et l'odeur de putréfaction des cadavres est insupportable. Ça pue l'horreur de ceux qui sont morts pour rien.

Ça pue l'arnaque! Les profiteurs de l'après-guerre qui agissent : cyniquement et cruellement, par ambition sociale; timidement, torturé par l'idée et la peur, parce qu'il ne peut pas faire autrement; joyeusement, par une vengeance qui lui redonne le goût de vivre.

Ça pue la corruption, l'argent, les complicités de l'administration et seul un vieux bougre puant résiste à la tentation.

Ça pue la culpabilité, un pauvre Poilu prêt à tout pour aider celui qui lui a sauvé la vie, un père qui s'aperçoit trop tard qu'il n'a pas aimé son fils et les Français qui détournent le regard devant les mutilés et achètent des monuments aux morts.

Ça pue l'amour et le sexe : Madeleine qui épouse son mari parce qu'elle le trouve beau, Pradelle qui aime faire cocus tous ses amis ou Labourdin qui harcèle le personnel.

Ça pue l'humanité, la gentillesse d'une petite Louise, le bon sens et l'amour d'une Pauline et l'art d'Édouard…

Un roman aux effluves puissants, avec des personnages aux parfums extrêmes, parfois hilarants, parfois lacrymogènes, une oeuvre aux odeurs prégnantes…
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Quelle merveilleuse découverte grâce à Babélio!

Quelques jours avant l'armistice, la petite crapule de lieutenant Pradelle tue deux de ses hommes, en fait accuser les allemands et lance l'assaut vengeur lui assurant les étoiles de capitaine.
Mais Albert a deviné et Pradelle le sait, Albert qui a pris à sa charge Edouard, mutilé sans visage, qui lui a sauvé la vie mais a changé d'identité pour éviter le regard de son père qui est devenu ....le beau-père de Pradelle.!

Chacun s'enfonce dans une spirale de mensonges et d'escroqueries, Pradelle pour assurer sa fortune, Albert pour survivre, mais qui s'en sortira?
Et le summum, l'amitié extraordinaire entre la petite Louise et Edouard!

Rien à redire, l'histoire qui avance et maintient le suspense, le style ' à l'américaine', courtes phrases, personnages denses et crédibles, géré de mains de maître, j'apprécie!



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Oui bon, bah je sais, j'arrive après la bataille (jeu de mots foireux, j'admets), hein, le Goncourt 2013, 728 critiques sur Babelio, quitte à être en retard pour donner mon avis, j'aurais pu attendre 2018 et les commémorations de la Grande Guerre. Ah oui, qu'est-ce qu'elle a été Grande, cette boucherie ! Elle a surtout été longue et sacrificielle, et en cet an de grâce 1918, à quelques jours d'un Armistice qui ne fait plus aucun doute et alors que les poilus ne rêvent que de la quille, voilà que Pradelle, infâme officier arriviste, insatisfait de son petit grade de lieutenant, n'a pas de meilleure idée, pour gagner du galon avant le retour à la vie civile, que de lancer ses troupes à l'assaut de la cote 113. Il finira par la gagner, sa p... de cote 113, et la gloire qui va avec. Quant aux morts et aux gueules cassées qui vont aussi avec, bah... après tout, qu'importe cette vulgaire chair à canon. Et puis, tout bien réfléchi, les cadavres pourront même rapporter gros après la guerre. Bref, la victoire de Pradelle à la cote 113 et ses barrettes de capitaine héroïquement obtenues, c'est l'arnaque de l'année (ceux qui ont lu comprendront), mais, et c'est le vrai sujet de l'histoire, c'est surtout le début d'une amitié improbable et indéfectible entre Edouard, jeune bourgeois de bonne famille, qui s'est mangé un éclat d'obus, et Albert, modeste comptable timoré qui serait mort enterré vivant si Edouard ne l'avait pas sauvé de justesse. Défiguré et ayant perdu ses cordes vocales, Edouard, après des mois de convalescence (lors desquels il a refusé toute chirurgie reconstructrice), de dégoût et de déprime, revient à la vie en mettant au point une énorme escroquerie, le scandale du siècle. Albert, qui le soigne comme une mère-poule, se voit entraîner malgré lui dans l'aventure.

Chronique d'une fracassante revanche sur le sort, cette histoire est cruelle, tragique, amorale, sinistre, révoltante, cynique. Alors que les autorités françaises prétendent honorer la mémoire de leurs Héros morts pour la Patrie, elles laissent les poilus survivants crever dans la misère et l'oubli. Commerce de la mort, absurdités militaires et administratives, cet après-guerre 14-18 n'est pas glorieux, et est même franchement puant. Mais que cette lecture est jubilatoire ! Si on s'attache au duo Edouard-Albert malgré ses frasques, il est carrément jouissif de suivre les magouilles de Pradelle, archétype du salopard arrogant, et les enquêtes de l'extraordinaire Joseph Merlin, obscur et imperturbable petit fonctionnaire envoyé pour contrôler les chantiers des nouveaux cimetières militaires. J'ai adoré le style d'écriture de Pierre Lemaître, son humour caustique, son talent de conteur. Ca tient en un mot : magistral.
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La France envoie ses jeunes hommes se faire tuer, même à quelques heures de l'armistice de la Première Guerre mondiale. Mourir à quelques heures de la fin de la guerre. Absurde. Et pourtant, Edouard et Albert y échappent de peu, et peut-on dire qu'Edouard est vivant alors qu'il a une gueule cassée. D'ailleurs, il choisit de se faire passer pour mort.
La France pleure ses morts en oubliant les soldats revenus de cet enfer, pas forcément en entier. La France construit des cimetières militaires et des monuments aux morts pour honorer les disparus. Chaque maire de chaque commune veut son monument aux morts.
Edouard et Albert, et pas seulement eux, y voient une opportunité.
Les personnages sont magnifiques, le style est imagé et littéraire. Dans l'ensemble un bonheur de lecture.
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Deux poilus en sont revenus. L'un à sauver l'autre d'une mort certaine, ça lui a couté une terrible gueule cassée, l'autre une reconnaissance éternelle.
Retour à la vie civile, à la vie tout court, usurpation d'identité, magouille géniale et immorale, identification et sépulture décente (va savoir) pour nos héros tombés au combat, le roman de Lemaitre brasse tout cela avec une jubilation évidente. Malgré son sujet très noir, son plaisir de jouer avec les mots allège son récit avec un certain humour. L'époque de l'après-guerre est formidablement décrite (on voit bien avec quel dédain sont traités nos vétérans, les opportunistes prêt à se faire du blé sur leur dos, comme quoi rien ne change). Lemaitre retranscrit ça avec grand talent.
Un Goncourt populaire, diablement gaillard, avec des personnages haut en couleur. Même si le récit souffre par instant de quelques longueurs, le plaisir narratif prend aisément le dessus. Bon sang, qui sait Lemaitre ? 4.5
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« A la guerre, on veut des morts franches, héroïques et définitives, c’est pour cette raison que les blessés, on les supporte, mais qu’au fond, on ne les aime pas ».

Eh non, on ne les aime pas ! C’est pas le lieutenant d’Aulnay-Pradelle qui vous contredira cette phrase ! Car le lieutenant Pradelle est un homme ignoble, un homme comme on n’en fait plus, croyez-moi, ou bien essayez de me croire. En précipitant Albert en haut d’un trou profond et boueux de ces tranchées du Nord, dans le but de le tuer, il a envoyé sa vie dans un gouffre sans fin, il en a fait un blessé du cœur. « A la manière de ces hommes qui étaient restés courbés pendant 4 ans sous la mitraille et qui, au sens propre du terme, ne s’en relèveraient plus et marcheraient ainsi leur existence entière avec ce poids invisible sur les épaules, Albert sentait que quelque chose ne reviendrait jamais : la sérénité ».
Et non seulement Pradelle n’aime pas Albert, mais il va détester aussi celui qui l’a sauvé d’une mort d’asphyxié : Edouard, car celui-ci n’en réchappera qu’à grand-peine, à coup de gueule cassée et de jambe claudicante.
Ces 2 grands blessés vont devoir traverser l’après-guerre et son cortège de promesses gouvernementales non tenues, de grandes compromissions, de saletés, de jalousies, d’incompréhensions. Oui, pour eux, ... c’est cela la Victoire. Jusqu’au stratagème incroyable imaginé par l’un des deux...

Avec une dérision époustouflante, Pierre Lemaître décrit une France d’apocalypse, des vies cassées, des « héros arrogants et laids ».
Avec une familiarité débonnaire, il nous prend à partie, nous les lecteurs, pour nous obliger à regarder ce qui est non regardable.
Avec une tendresse émouvante, il relate la prise en charge quasi maternelle d’un pauvre soldat atrocement mutilé dans son corps et donc dans son âme, par son compagnon de misère auquel il s’est trouvé enchaîné dans un mouvement de bonté instinctive.
Avec une maestria incroyable, il nous montre le choc de destins familiaux et militaires.
Avec un sens du suspens et du retournement de situations hors du commun, il nous raconte une histoire passionnante où le dévouement côtoie la méchanceté pure, où le cynisme des uns est confronté au sens du devoir des autres.

Pierre Lemaître a du génie, c’est indéniable ! Je m’en suis régalée, j’ai adoré, vibré, je me suis révoltée, ça je peux vous l’affirmer, et...j’ai ri, oui, j’ai ri !
Alors citez-moi un écrivain qui puisse susciter autant d’émotions contradictoires sur un sujet aussi tragique...Je n’en connais pas beaucoup. C’est pour cela que je lui attribue mon prix Goncourt.
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Albert et Edouard, novembre 1918. Dans une semaine l'armistice sera sûrement signé. A n'en pas douter, des mois que les gars attendent ça, dans la boue, au milieu des cadavres en phase de pourriture et des rats bien affamés par cette chaire plus très fraîche mais bien abondante avec les vers qui grouillent à l'intérieur. Bon appétit, à la guerre comme à la guerre. Des milliers de cadavres, des millions de corps en décomposition, dans les tranchées, dans les cimetières de fortune, dans les champs. Des obus qui tombent, encore, creusent des tombes, encore. Et cette dernière colline, la colline 113, qu'il faut gravir une dernière fois, juste pour gagner du terrain avant qu'un accord improbable soit signé. Consigne de haut-gradé. Tiens ne serait-ce pas le capitaine qui court et envoie mon ami Albert au fond d'un trou d'obus. Encore vivant, déjà dans une tombe. Second obus, à quelques mètres d'Albert, qui l'ensevelit d'ailleurs et arrache la moitié de la gueule d'Edouard. Plus très beau à voir celui-là, tandis qu'Albert étouffe sous la terre. Il ne respire plus, enterré vivant jusqu'au dernier soupire. A bout de souffle, il ferme les yeux, laisse son esprit divaguer, rêve d'un beau cheval noir, pouah quelle puanteur, le cheval est lui aussi en état de décomposition, il lui souffle ses dernières râles. Albert est mort. Non, Edouard, la gueule cassée et la jambe en compote lui saute dessus, massage cardiaque d'un ancien temps. Bref, je fais court, même si la guerre a duré une éternité, l'armistice est signé, mes compagnons d'armes sont à l'hôpital et la galère ne fait que recommencer. Comme en 40 ou presque. Ah non, là c'était une autre guerre, du genre on reprend les mêmes et on recommence, France-Allemagne l'éternel recommencement, aussi agressif que sur un terrain de football.

Je crois que c'est mon premier roman sur la première guerre mondiale, peut-être même sur la guerre. Les poilus, c'est pas vraiment mon truc, suffit de voir mon torse musclé et presque imberbe. Presque, parce que je dois avoir un poil à se demander ce qu'il fait là, si ce n'est pas une anomalie génétique, un clin d'oeil du Seigneur ou un oubli à la fabrication. En plus c'est mon premier Goncourt. C'est peu dire que ce prix très ronflant et intellectuel, ça me fout la trouille, autant que sur un champ de bataille. C'est que coté culture, j'y connais pas grand-chose, je ne saurais même pas faire pousser du cannabis. Par contre, je peux te donner la formule brute de la morphine – C17H19NO3 – utile quand on s'est fait arracher la moitié de la gueule. Un Goncourt, je n'aurais jamais imaginé en lire un, du moins dans cette vie. Peut-être dans une autre vie, ou j'aurais fait des études spécialisées en agriculture ou en culture tout court. Pourtant, les mots glissent tous seuls dans ma tête, et tu sais ô combien que j'aime bien quand ça glisse, lisse, supplice délice. Une plume magnifique, pleine d'entrain et de vie au milieu même de tous ces cadavres, qui joue parfois avec les mots ou les situations, délire visuel, hallucination odorante, ça pue la mort entre les lignes, ça respire la revanche entre les pages.

14 juillet, les militaires défilent sur la grande avenue, les cadavres sortent des tombes, les ossements donnés au chien errant, la société n'est plus vraiment humaine, l'appel du fric et de la raison, déraison mercantile, les monuments aux morts fleurissent, comme un champ de tournesol dans la Marne. Non, pas de tournesol là-bas ? alors un champ de colza peut-être. Albert et Edouard me quittent, qu'ils voguent sur les flots de l'amitié, ces deux bidasses en folie, après tout, on n'a toujours pas retrouvé la septième compagnie, mais je reste triste de les perdre de vue. Albert et Edouard, deux compagnons d'armes qui auront laissé leur empreinte sur cette première guerre mondiale. J'y étais, je suis poilu, je pue la chair en putréfaction et je bouffe les vers dans une bouteille de mezcal qu'un éclat d'obus n'aurait su faire évaporer.
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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Pierre Lemaitre nous prouve ici que l'on peut changer de registre sans démériter. Bien au contraire. Auteur de polars à succès -le dernier en date, Alex, a reçu le prix des lecteurs du Livre de poche en 2012- il se penche cette fois sur une période peu reluisante de notre histoire, au cours des années qui ont suivi la grande boucherie de 14-18. Une aubaine pour l'industrie, qui profite de ces périodes martiales (avant, pendant et après). Et une honte pour un état qui ignore ses anciens combattants déconcertés par un retour à une vie civile où ils n'ont pas leur place, invalides souvent, et presque coupables d'avoir survécu.

Trois personnages créent l'intrigue de ce roman. Deux crapules et un salaud.

Le lieutenant d''Aulnay-Pradelle, un arriviste sans scrupule, qui n'hésite pas à tuer ses propres soldats d'une balle dans le dos 10 jours avant la fin du conflit, et ce pour gagner du galon. Mariage d'argent, multiples maîtresses, et trafic de cercueils pour les défunts de la guerre, rien ne l'arrête. Impossible de lui trouver la moindre once de philanthropie. A piéger le lecteur qui se languit de savoir si la justice triomphera de ce salopard.

Quant à nos crapules, elles sont bien sympathiques et ont des circonstances atténuantes. Édouard sauve la vie d'Albert, mais son exploit le laisse bien amoché. Ce qui liera le destin des deux hommes. Sans ressources, Édouard imagine un plan diabolique : arnaquer la France entière en proposant des monuments à la gloire des morts pour la patrie.

Le piment de l'affaire qui fait transpirer d'angoisse Albert mais aussi le lecteur, c'est qu'Albert a été le témoin des exactions de d'Aunay-Pradelle sur le champ de bataille, et qu'Edouard est le frère de son épouse....

Sans concession, mais avec une dose d'humour (noir), le roman se dévore avec passion. Car l'issue n'est pas manifeste, les nerfs du lecteur sont mis à rude épreuve : tout reste possible jusqu'au dénouement.

C'est superbement écrit, pour ne rien gâcher. La plume de Pierre Lemaitre est̀ donc une valeur sûre sur la scène de cette rentrée littéraire et espérons-le bien, au delà.

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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