S'il est une oeuvre, s'il est un auteur, qui forcent l'admiration, qui trônent pareils à une grosse pince brillante sur la corde à linge de l'histoire dramatique et littéraire, c'est bien ceux-là et je prends le parti de vous arrêter un instant sur cette
Fuente Ovejuna et sur cet étonnant
Félix Lope de Vega.
Un sens dramatique hors du commun lui fit sentir la puissance d'une combinaison entre la tragédie, dans l'acception classique du terme, et les ressorts comiques un peu pince-sans-rire ou même parfois franchement burlesques, tels que ne les auraient pas boudés
Miguel de Cervantès.
En soi,
Fuente Ovejuna n'est qu'une parmi de nombreuses pièces écrites par
Lope de Vega, ni plus ni moins adulée en son temps mais dont le renom et le prestige a crû au cours du temps, un peu à la façon d'un Gatsby le Magnifique, probablement parce qu'un peu de l'esprit littéraire d'une époque, une fiole de sa subtile essence y était enfermée précautionneusement.
Par cette magistrale association,
Lope de Vega inventa la tragi-comédie et sut exploiter les avantages des deux genres : une comédie dont le sujet serait grave et le traitement sérieux ou bien une tragédie dont les moments les plus intenses ou insoutenables seraient balancés par des respirations légères et divertissantes.
Ainsi
Fuente Ovejuna a pris valeur d'étendard du savoir-faire de son auteur, probablement aussi parce que son propos est d'une surprenante modernité pour son temps : sous des airs d'allégeance au monarque et de scènes historiques datant de l'époque de la reconquista de l'Espagne andalouse musulmane par les rois catholiques (soit une centaine d'années avant la date d'écriture de la pièce),
Lope de Vega adresse un avertissement à toute forme de gouvernement ou de royauté quand à ce qu'il l'attend si elle cultive l'iniquité et la barbarie.
Car
Fuente Ovejuna (signifiant littéralement " la source des brebis ") est le nom d'une petite ville qui, lasse des exactions de son tyran, s'est unie dans la souffrance pour le trucider en bonne et due forme. C'était l'annonce de la révolution avant l'heure.
On y lit également un discours sur le respect de la condition de la femme de première importance et assez insoupçonnable pour l'époque, surtout en cette Espagne très patriarcale et qu'on peut qualifier de pro féministe. Étonnant, non ?
Le tyran, quel est-il ? Fernán Gómez de Guzmán, ayant pour titre celui de Grand Commandeur de l'ordre de Calatrava, l'un des quatre grands ordres créés pour lutter contre les musulmans. C'est un homme brutal, impitoyable, peu scrupuleux, qui n'hésite pas à faire donner du fouet ou de la corde à ses sujets en son quartier général de
Fuente Ovejuna.
Mais ce qui le caractérise probablement le mieux est aussi son insatiable lubricité qui le conduit à s'octroyer des droits sur n'importe quelle croupe féminine qui passe sous ses regards. Intimidations, harcèlements et viols sont son pain quotidien.
Seulement, la belle paysanne Laurencia ose résister aux avances du commandeur. Pour combien de temps encore ? le modeste Frondoso, du haut de sa paysannerie, parviendra-t-il à protéger celle qu'il aime plus que sa vie ?
Félix Lope de Vega fait de cette héroïne l'égérie de sa ville, et, la porte-parole des femmes outragées.
L'auteur utilise à merveille pour susciter du comique le contraste entre le parler paysan et le langage de l'aristocratie. Mais c'est aussi l'occasion pour lui de porter l'emphase sur les différences de valeurs morales véhiculées par les humbles et les superbes, les uns grossiers, les autres raffinés, les uns vertueux, les autres vicieux. En somme, le raffinement moral n'est pas toujours là où on l'attend. Encore, selon moi, une mise en garde dissimulée à l'adresse des dirigeants.
Une pièce que j'ai trouvée admirable à tous égards, mais, mieux que tout mon bavardage qui n'est pas grand-chose, place à vous pour lire et vous repaître de ce petit joyau égaré de la couronne d'Espagne.