Après le livre de
Tchesslav Tchechovitch sur
Gurdjieff (Cf ma critique), j'ai voulu en savoir plus sur le bonhomme. Pure curiosité. Je ne suis pas très mystique, pas très transcendantal, plutôt du genre rationnel (mais pas borné…), et curieux avant tout. Peut-être n'ai-je lu ce livre que par désir de mourir moins idiot (tout en sachant que ce sera le cas de toute façon).
Le livre de Pauwels n'est pas un livre sur la pensée de
Gurdjieff, mais sur les effets de son enseignement sur ses disciples. C'est un livre épais, 448 pages (j'ai l'édition de 1954), dense, police assez petite, avec de très longs paragraphes compacts. Indigeste au premier abord, passionnant au final. Car ce n'est pas seulement un livre de Pauwels. Non. C'est un livre de témoignages. Pauwels essaye de tirer un bilan ou de cerner le cas
Gurdjieff en donnant la parole à ceux qui l'ont connu et qui ont tenté l'aventure de son enseignement (à leur détriment parfois). Pauwels lui-même a approché le « maître », fasciné par l'homme et sa philosophie, avant de s'en écarter. Il fait donc partie des nombreux témoins qu'il convoque ici.
Avant de débarquer en occident (Angleterre d'abord, France ensuite),
Gurdjieff (né en Arménie à Alexandropol, dans l'empire Russe à l'époque) a mené une vie de recherches mystiques dont on sait peu de choses, sinon qu'elle l'a conduit dans les endroits les plus reculés d'Asie, de l'Inde au Tibet, dans des monastères fermés et quasi-inaccessibles au profane. Il y aurait retrouvé les sources d'une connaissance très ancienne sur l'Homme qu'il se proposait de transmettre. C'est un point important.
Gurdjieff n'a jamais prétendu avoir découvert par lui-même quoi que ce soit, mais avoir retrouvé un savoir quasi-perdu, détenu par quelques très rares communautés isolées, savoir inestimable qui pourrait changer la face de l'humanité si celle-ci le comprenait et s'en emparait.
De tous les témoignages du livre (ils sont nombreux et variés), des témoins à charge aux témoins à décharge, tous reconnaissent que cet homme était exceptionnel par l'effet qu'il produisait sur les autres. Bref, quoi qu'on en pense, charlatan, escroc, ou dépositaire d'une connaissance fondamentale, l'homme est hors du commun, attirant par sa personnalité étrange, presque envoutante, toute une élite occidentale, de l'Angleterre aux USA, de Russie, de France et d'un peu partout. Car les hommes et les femmes qui ont approché le système
Gurdjieff sont pour beaucoup des intellectuel(le)s, dont certain(e)s de haute volée, bien loin des gogos naïfs un peu incultes qu'on pourrait imaginer.
Au terme de la lecture, après avoir ingurgité tant de témoignages contradictoires qui enfoncent ou portent aux nues
Gurdjieff, il apparaît clairement que le mystère Giurdjieff demeure et qu'il résiste à l'analyse. On croit comprendre cependant, qu'après sa mort, les écoles qui lui ont survécu, ont été tenues par des personnes qui, pour la plupart, ne paraissaient pas dignes de l'enseignement du « maître » ou avaient mal compris le dit enseignement.
Si Pauwels ne s'attarde guère sur la doctrine, celle-ci s'insinue souvent à travers les témoignages et on ne peut guère y échapper (ce n'est pas ce qu'on souhaite d'ailleurs). Si on désire cependant en recevoir un énoncé complet, il faut (paraît-il) lire le livre du philosophe russe Ouspensky (Fragments d'un enseignement inconnu), l'objet sans doute d'une de mes prochaines lectures.
Qu'en est-il de cette doctrine ?
L'Homme est endormi et n'a pas conscience de qui il est réellement. Façonné par son éducation, sa culture, la société, sa communauté, sa profession, etc, il croit faire, mais en réalité il réagit aux stimuli extérieurs. Il fait comme « il pleut ». Il passe à côté de son être propre (il n'est pas). C'est l'Homme machine, inconscient de son peu d'existence, qui se méconnaît, et par conséquent, vit dans l'illusion de lui-même. Il n'a pour cette raison aucune volonté propre.
Une autre manière de présenter ce constat est d'indiquer que l'Homme possède de multiples « Moi » qui s'expriment d'heure en heure et tour à tour au gré des circonstances extérieures, de son activité du moment, de ses pensées, de ses sentiments, de ses humeurs, des « Moi » qui s'emparent de lui et qui résultent de son éducation, de sa culture, etc. Ces « Moi » multiples cachent son « Je » et tous ces « Moi » ne sont que mensonges et leur collection ne constitue pas son être parce qu'un ensemble de mensonges ne constitue pas une vérité. Mon véritable « Moi » est ailleurs, « Je » est un autre.
Si vous m'avez suivi jusque-là (d'abord je vous en remercie, c'est sympa), on peut affirmer sans craindre le ridicule qu'il y a du vrai dans tout cela. Suis-je celui que je crois être ou un autre ? Je ne sais pas pour vous, mais, en ce qui me concerne, à près de 70 ans, je ne sais pas encore très bien qui je suis, et je me poserais certainement la question jusqu'à ma mort.
Pour accéder à ce « Je », à mon être véritable, il faut pouvoir se débarrasser de ces influences néfastes qui n'ont pas plus de consistance qu'une serpillère détrempée. C'est là que
Gurdjieff intervient. Attention, il ne prétend pas vous « réveiller » lui-même, mais créer les conditions favorables pour que vous puissiez le faire. C'est un chemin long, difficile, dont on devine qu'il est malaisé d'arriver au bout.
C'est une voie plus ardue que celle des moines, des fakirs et des yogis, parce qu'elle s'inscrit dans la vie (on ne s'en isole pas). Si les trois premières voies peuvent permettre à un Homme de connaître son « être », seule la quatrième voie de
Gurdjieff permet aussi (en plus, c'est cadeau…) de devenir capable de « faire ». Il n'y a pas que « être », il y a aussi « faire ». C'est la promesse de
Gurdjieff.
Et que faut-il donc faire pour cela ? Il faut réunir ensemble les trois pans de notre personnalité qui sont dissociés. Les rassembler et les unir, les équilibrer. Ces trois pans sont l'homme physique (le corps), l'homme émotionnel (les sentiments) et l'homme intellectuel (la pensée rationnelle). Seul, on ne peut pas réaliser un tel exploit. Il faut être en groupe. D'où la constitution d'un groupe de travail sous la houlette d'un maître. Là, on bosse dur, c'est physique. Pas de théorie, que de la pratique. Et il faut avoir la santé. On maçonne, on truelle, on bêche, on creuse, on peint, on bâtit, on danse, on chante, on chorégraphie, jusqu'à épuisement. Il s'agit d'exercer sa volonté. C'est une première étape qui consiste à apprendre « la volonté de la volonté ». Tenir, ne pas craquer, faire.
Et après ? Après, je ne sais pas. C'est le grand mystère.
Quoi qu'il en soit, les résultats sont très variables. Certains y trouvent leur voie et en vouent une éternelle reconnaissance au maître. D'autres s'épuisent jusqu'à tomber malade et fuient l'enfer. En tout cas, ceux qui restent, loin d'accéder à une liberté (même factice) deviennent clairement captifs du maître. Il est omniscient. le libre arbitre (même factice) paraît plutôt s'éloigner que s'approcher. Cela n'est pas ma tasse de thé. Je crois que je n'aurais pas tenu très longtemps dans un « groupe
Gurdjieff ».
J'ai simplifié à l'extrême le système de pensée de
Gurdjieff et j'espère l'avoir à peu près compris et retranscrit ici sans le trahir. L'aspect théorique est fort intéressant. La pratique beaucoup moins. Ce fut mon impression en refermant ce gros volume.
Je dirais en guise de conclusion temporaire sur cette affaire qu'il semble en être de même pour la quatrième voie de
Gurdjieff que pour la psychanalyse. Elle explique tout, mais ne guérit rien. Vous connaissez la blague : « l'analyse a réussi, mais le patient s'est suicidé ».