Etoiles Notabénistes : ******
The Mound
Traduction :
Jacques Parsons pour l'Edition France-Loisirs dont cette nouvelle est extraite
ISBN : inconnu - Première édition en novembre 1940, dans "
Weird Tales" - Inconnu pour le tome II de "
L'Horreur dans le Musée" dans est extrait ce texte édité en 1977
En dépit de son génie, macabre et visionnaire, "Le Solitaire de Providence", à ce jour l'un des plus prolifiques nouvellistes dans le genre "Epouvante et Surnaturel" que la Terre ait jamais porté - sans parler de son imposante correspondance - n'a jamais réussi à gagner dignement sa vie avec le seul produit de son imagination. Sans doute était-ce le prix à payer pour un Destin qui lui donna l'incomparable pouvoir de créer un mythe universel, celui de Cthulhu, avec le cortège de dieux et démons qui l'accompagnent,
Nyarlathotep, Shub-Niggurath (alias le Bouc aux Mille Chevreaux), Yig (alias le Père de Tous les Serpents) et j'en passe, sans oublier Ceux qui les précédèrent, les Grands Anciens et Brown Jenkins, bien sûr (que
Masterton reprendra dans cet hommage à
Lovecraft qu'est "
Apparition". Dieux et créatures visiblement hostiles à toute réforme orthographique (notre EN devrait y réfléchir un peu ... ), congénitalement mauvais, dans le meilleur des cas, indifférents à notre condition d'humains, les "enfants" de
Lovecraft lui permirent tout juste de survivre en un monde qu'il n'aimait pas, avec l'aide d'une fortune modeste qui lui venait de ses tantes.
Parfois aussi, l'écrivain américain, en vrai professionnel, acceptait de servir de "nègre" à certaines plumes qui, comme lui, publiaient dans "
Weird Tales" et d'autres "pulps" mais dont les manuscrits originaux demeuraient un peu maigres aux yeux des éditeurs. Vous citer tous les noms des nouvellistes qui doivent beaucoup à la plume lovecraftienne serait impossible. Nommons néanmoins Zealia Bishop (qui, en parallèle, écrivait également des romans sentimentaux) puisque "Le Tertre" lui fut initialement attribué - c'est-à-dire que
Lovecraft ne fut pas crédité pour sa participation. Et cependant, si l'idée centrale - les fantômes d'Indiens veillant jour et nuit sur le tumulus - est certainement due à l'imagination de Miss Bishop, le reste de "The Mound" est du
Lovecraft tout craché.
Par le style d'abord, lequel m'a parfois fait croire que l'auteur, par ailleurs extrêmement cultivé, écrivait en français avant de passer à la langue anglaise, et puis, bien sûr, par le développement de l'intrigue avec les personnages qu'il y anime et par la fin, l'une de ces "chutes" horribles et fracassantes qui constituent sa marque de fabrique.
Si
Lovecraft a produit des nouvelles brèves ou de longueur moyenne - dont vous trouverez certaines regroupées dans le "
Dagon" paru, dans les années 70, chez J'Ai Lu - il n'avait absolument rien contre les longueurs. D'autant qu'il insérait peu de dialogues directs, faisant souvent appel à un narrateur - lui-même : chez lui, c'est si visible ! Sur un autre media, on dirait qu'il crève l'écran - qui rédige des descriptions aussi poétiques qu'horrifiques, exprime les sentiments ressentis par lui-même mais aussi ceux qu'il croit voir chez autrui et, complètement enfoncé - et pour cause - dans l'univers qu'il façonne, donne, à l'essentiel des grands textes lovecraftiens, une profondeur, une atrocité et une authenticité difficilement égalables. Il est d'ailleurs pratiquement impossible de porter à l'écran ce monde qui a engendré un adjectif appelé à faire référence. L'illustrer est peut-être plus aisé mais les visions données alors du monde de l'univers de l'écrivain sont multiples et protéiformes et prêtent parfois à confusion.
Donc, à l'origine du "Tertre", nous trouvons la petite ville de Binger, du côté de l'Oklahoma. Petite ville bien tranquille où les survivants des tribus indiennes et les Blancs vivent en paix. Il y a d'ailleurs un point sur lequel les deux communautés sont parfaitement d'accord : ne jamais se promener, de jour comme de nuit, dans la campagne où s'élève un tumulus visiblement artificiel. Autre chose à ne jamais faire : grimper sur ce tumulus et y entreprendre des fouilles. Certains, les pauvres têtes brûlées, ont enfreint ces règles élémentaires et le narrateur est tout ébahi par la manière dont ils ont ensuite achevé leur parcours sur cette terre : fous ou complètement aphasiques. Quand je dis qu'il est ébahi, attention car ça ne signifie que : "Comment des gens raisonnables, comme ceux à qui je parle, ici et maintenant, peuvent-ils croire de pareils bobards ?"
Vous vous doutez bien que lui, le narrateur, qui n'est pas une tête brûlée mais un vrai scientifique, ne renonce en rien à aller voir le fameux tertre. Au début cependant, comme celui-ci est, paraît-il, "gardé" par deux fantômes, l'un pour le jour, l'autre pour la nuit, et que tout le monde lui affirme que les deux
apparitions sont aussi visibles que le soleil et la lune, il se plie au désir de tous et regarde de loin, avec une lunette d'approc
he. le fantôme diurne est apparemment celui d'un Indien, vêtu de noir et très digne, qui fait les cent pas tout au haut du tumulus sans jamais tourner la tête. A ses côtés, une petite épée courbe. En plus, il n'a rien de commun, question physique, avec ses congénères actuels : il semble très nettement dolichocéphale, ce qui s'oppose aux visages ronds des Indiens de Binger. Quant au spectre nocturne, il paraît de sexe féminin. On ne saura rien de la forme de son crâne car la malheureuse est décapitée. Ce qui ne semble guère la déranger. A part ça, toute la nuit, comme son homologue de la journée, elle aussi va et vient du même pas ferme, brandissant dans sa main droite une torche ou un objet similaire répandant une curieuse flamme bleue.
Bon, les fantômes, c'est réglé. le narrateur ne saurait le nier : ils existent bel et bien. Et ça fait des siècles et des siècles qu'ils déambulent comme ça tout au haut du tertre, semblant y effectivement monter la garde. Contre qui, contre quoi, cela, par contre, reste à comprendre.
Notre héros, esprit scientifique au possible, décide de passer à l'acte. Rassurez-vous, il s'en tire. Quoique, pour tout lecteur connaissant bien son
Lovecraft - et j'en suis puisque sa Bible m'est tombée dans les mains quand j'avais quatorze ans - il eût peut-être été préférable qu'il mourût. Eh ! oui ! Maintenant, il sait ... ,o)
Il faut dire que, dans un certain sens, il a eu de la chance. Un Indien centenaire, qu'il était allé consulter avant ses préparatifs, lui avait confié une sorte de talisman familial, orné de curieux hiéroglyphes et forgé dans un métal inconnu. Selon Aigle-Gris, l'objet pourrait peut-être le protéger. En tout cas, il lui permit de découvrir une espèce de corne creuse dans laquelle, lorsqu'il parvint à en dévisser une extrémité, il trouva un manuscrit, très ancien lui aussi, puisqu'il remontait à 1545, et où un officiel espagnol nommé don Panfilo de Zamacona y Nuñez racontait tout (ou presque : la touche finale est apportée par la chute) : son intérêt pour le tertre, qu'on assurait bourré d'or et d'argent, la descente qu'il y effectua, le peuple qu'il y rencontra, la vie qu'il mena auprès de certains des ses membres, leurs propres légendes mais aussi leur Histoire, les dieux qu'ils adoraient depuis le début des Temps, les loisirs étranges auxquels ils en étaient arrivés pour tromper leur ennui ... et sa fuite, à lui, Zamacona, avec une complice de ce peuple nommée T'la-yub et qui était devenue avec le temps sa compagne officielle. (Si ancien qu'il fût, le peuple du tertre appartenait à la race humaine.)
La question que tout lecteur vient à se poser, bien sûr, c'est pourquoi notre narrateur-héros, qui, grâce aux indications du vieux manuscrit, a suivi le chemin-même jadis utilisé par Zamacoma pour descendre dans les profondeurs du tertre, a préféré lui aussi, à un certain moment, s'enfuir de cet endroit assurément maudit. Mais, plus intéressantes encore, car vous, lecteur, êtes le seul à qui il ose les avouer, les raisons qui, quelques mois après, lorsqu'il a appris, bien au chaud chez lui, que les guetteurs du tertre avaient fait leur ré
apparition aux postes où les avaient laissés les autorités du peuple au milieu duquel avait vécu Zamacoma, ont plongé le malheureux dans un regain d'horreur ...
"Le Tertre", malgré ce que certains interpréteront comme des longueurs - une fois dans son monde,
Lovecraft avait du mal à l'abandonner - est une nouvelle somptueuse. Elle ne décrit pourtant que mystère, laideur physique (pour les idoles) et hideur morale (pour leurs adorateurs), et suggère des supplices dont un Néron lui-même n'eût pas osé rêver. Mais tout cela transcende le genre et atteint à un niveau que peu d'artistes du même genre ont jamais atteint. Un niveau tel que, pour l'évoquer, on ne peut faire autrement qu'utiliser justement cet adjectif dont je ne sais au juste s'il apparut du vivant même de celui qui l'avait inspiré : lovecraftien.
Ah ! bien entendu, évitez de lire tout cela la nuit tombée. Et la nuit tombe vite, en cette saison ... Bonne lecture et bonne découverte à toutes celles et à tous ceux qui ignoraient que, derrière Zealia Bishop se dissimula longtemps le père du Grand Cthulhu. :o)