Le polar aujourd'hui a quitté le ghetto dans lequel les "beaux esprits" l'avaient relégué, le jugeant indigne de prétendre au nom "sacré" de Littérature. Ce n'est que justice et la qualité est désormais au rendez-vous avec une pléiade de jeunes auteurs de grand talent.
Faut-il pour autant négliger les anciens, ceux qui furent ostracisés en leur temps ? Certes non. La relecture du roman noir de
John Dann Macdonald "
Les énergumènes" -publié aux Etats-Unis en 1961 et intégré l'année suivante dans la Série Noire (1) par ce grand découvreur que fut Marcel Duhamel-, en est la preuve.
Ce polar des sixties précède de cinq ans "
De sang froid" le récit glaçant de
Truman Capote et aurait très bien pu l'inspirer tant le thème est proche. Mais le traitement est tout autre. Macdonald a choisi la fiction et a mis en place une architecture très originale en débutant par la fin (le passage des malfrats sur la chaise électrique), et en multipliant les points de vue sur l'épopée sanglante d'un quatuor déjanté. Pour ce faire, il donne successivement la parole à l'avocat d'un des condamnés à travers ses notes, à l'un des meurtriers par le truchement de son "journal de la maison de la mort", aux policiers dont on découvre l'évolution de l'enquête et même à un gardien de prison qui décrit dans une lettre à un collègue l'ultime épisode de l'existence du quatuor malfaisant.
Dérive meurtrière, gratuite et cynique de quatre individus perturbés dont une jeune femme, "
Les énergumènes" est un roman-choc où la course vers l'abîme est déclinée avec une précision chirurgicale et une science de la mise en scène aboutie. "Demain est devenu aujourd'hui et c'est mon dernier jour", écrit Kirby Strassen, un fils à papa, revenu de tout et entraîné dans le tourbillon de "la meute sanglante" par besoin d'un ailleurs qui le sorte de la vacuité de sa vie. Il y côtoie une fille perdue à l'enfance saccagée, un Hercule arriéré dont le violence lui tient lieu d'unique moyen de communication et d'un pseudo-intello qui semble diriger le groupe et inspirer cette sinistre épopée de sang et de larmes.
John Dann Macdonald réussit la gageure de ne porter aucun jugement, laissant au lecteur le soin de se déterminer par rapport aux faits, à leurs motivations, à leurs conséquences. Voilà assurément un grand roman noir qui démontre que les "géants" des années 30-40, les Chandler, Hammett et autres James Cain, ont eu des disciples de valeur après guerre.
John Dann Macdonald en apporte la plus convaincante illustration.
1. traduction de
Janine Hérisson