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EAN : 9782290364208
320 pages
J'ai lu (12/10/2022)
3.62/5   77 notes
Résumé :
Laura, passionnée de littérature japonaise, travaille pour la petite entreprise de peinture de son mari. A sa surprise, elle est sollicitée en urgence pour dépanner la médiathèque de sa ville et dialoguer publiquement avec l'un de ses écrivains favoris. Sa prestation est si étonnante que le romancier en parle sur les ondes d'une grande radio. Cette sortie soudaine de l'anonymat produit chez la jeune femme une étrange réaction. Elle grandit, grandit, grandit... A cet... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (35) Voir plus Ajouter une critique
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Quand la femme prend toute sa place

Murielle Magellan nous revient avec un livre aussi surprenant que passionnant. En racontant l'histoire de Laura, sa passion pour la littérature japonaise et sa curieuse affection – elle recommence à grandir – et en la doublant du récit de la genèse de cette oeuvre, elle double notre plaisir.

Une fois n'est pas coutume, vous me permettrez d'évoquer un souvenir personnel pour commencer cette chronique. Lors de mes études de journalisme à Strasbourg, notre professeur nous demandait systématiquement de rendre non seulement l'article demandé – reportage, portrait ou interview – mais ce qu'il appelait un «méta-papier» qui devait retracer l'expérience vécue dans la conception et la rédaction de l'article. Nous devions y retracer la manière dont le sujet nous est venu, les difficultés rencontrées, l'amabilité ou non des interlocuteurs, l'ambiance et les circonstances ou encore les lieux parcourus. Quelquefois ce méta-papier s'avérait tout aussi intéressant que l'article lui-même. Si j'évoque aujourd'hui ce souvenir, c'est parce que Murielle Magellan a construit son nouveau livre sur ce principe, faisant alterner les chapitres du roman et son journal de romancière à la recherche de l'inspiration.
Le roman raconte comment Laura, qui voue une passion pour la littérature japonaise, s'est soudainement vue propulser sur scène aux côtés d'un journaliste local pour animer une rencontre dans une librairie de Marmande, le spécialiste convoqué pour l'occasion ayant été bloqué dans le train qui l'amenait dans le Sud-Ouest.
Le journal quant à lui revient sur l'émission La Grande Librairie du 6 février 2019 durant laquelle François Busnel recevait aux côtés de Murielle Magellan Andreï Makine, Patrice Franceschi, Vanessa Bamberger et Joseph Ponthus. Murielle retrace les coulisses de l'émission, le regard qu'Andreï Makine portait sur elle et la teneur de leurs échanges lors du pot qui a suivi l'émission. le romancier conseillant à sa consoeur d'écrire sur une femme que l'âge va priver de sa beauté. Goujaterie ou vrai conseil d'auteur? Vous en jugerez.
Retour au roman et à la gloire de Laura qui éclabousse de toute sa beauté les pages culture de la Dépêche. La parution de cet article va lui valoir une brassée de compliments, à commencer par son mari Paul qu'elle seconde dans leur entreprise de Peintures et rénovations. Mais l'article va aussi la conduire à une proposition de collaboration de la part d'une vigneronne qui veut préparer au mieux sa conquête du marché nippon. Laura sera chargée de mieux faire connaître la culture et la littérature du pays du soleil levant à l'équipe et de la seconder dans son travail de communication.
La voilà sur un petit nuage, même si son bonheur s'accompagne d'un bien curieux effet: Laura a repris brutalement sa croissance! Au fil des jours sa peau se tend, sa silhouette s'affine et sa taille augmente, augmente... Mais où cela va-t-il s'arrêter?
Murielle cherche toujours pour sa part le sujet de son prochain roman, tournant autour de la proposition de Makine sans vraiment être convaincue. Comment aborder ce rapport entre jeunesse et beauté, entre âge et déchéance physique? Dans ses lectures autant que ses conversations elle enrichit sa réflexion.
Si on se doute que ce n'est qu'au bout de notre lecture que l'on découvrira comment le journal et le roman finiront par se rencontrer, on ne peut lâcher le des deux récits, avides de savoir de quelle façon va s'achever le parcours de la géante et curieux de pénétrer dans le laboratoire de la créatrice. En passant, on aura pu se constituer une imposante bibliothèque japonaise à l'aide des jolis résumés de Laura et comprendre comment Murielle Magellan écrit, aidée par ses anges. Après Changer le sens des rivières, ce nouveau portrait de femme qui s'émancipe, qui entend ne pas rester figée dans son statut. Grâce à sa touche de fantastique, on la voit prendre de plus en plus d'espace jusqu'à faire peur. Son mari et son employeur ne résisteront pas à cet «envahissement», dépassés par l'ampleur de la chose. Voilà comment Laura est grande. Et voilà comment les hommes doivent apprendre à laisser davantage de place aux femmes. Jusqu'en haut!


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Ce sont 2 romans en un. Un Ping Pong littéraire. La genèse d'un récit sous forme de journal et son pendant romanesque. 2 textes qui s'entremêlent, se renvoient la balle, questionnent féminisme et féminité, vieillesse, et les signes que la vie peut envoyer.
Chaque partie peut se lire indépendamment mais finalement l'une ne va pas sans l'autre, l'une donne envie de l'autre. Et d'ailleurs j'ai pris autant de plaisir à découvrir Murielle l'autrice, la femme, qu'à suivre Laura, son amour des romans japonais et sa mue inattendue. Un roman étonnant, à la séduction diffuse, où plane l'ombre fantasmagorique des auteurs nippons.
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Avec une inventivité qui séduira les amateurs de fiction, Murielle Magellan nous raconte la vie de Laura, une femme, engagée, tenace, audacieuse aux multiples talents.

Un chapitre sur deux, Laura cède la place à Murielle en miroir, la romancière se raconte alors dans son journal intime. Ce dialogue est magique, comme un échange entre réalité et fiction.

Insolente et burlesque Murielle Magellan égratigne les hommes, fussent-ils des immortels, dans une magistrale destiné une sorte de conte moderne.

Un conte moderne, "Géantes".
Laura est le personnage central du livre de Murielle Magellan, "Géantes". Laura, passionnée de littérature japonaise, travaille modestement pour la petite entreprise de son mari. Sollicitée par la médiathèque de sa ville, Laura y croise l'un de ses écrivains japonais favoris. Le romancier ébloui par cette rencontre parle de Laura sur les ondes d'une grande radio.


La sortie soudaine de l'anonymat déclenche alors alors sur surprenante aventure. Laura va grandir, grandir, mais une ascension peut être la source de merveilles comme de désillusions.
Vous avez eu l'heureuse et même la lumineuse idée de créer, une Laura magnanime, et pleinement libre. Cette ascension elle la doit à ses qualités. Elle découvre ce que l'imagination est capable d'apporter, de belles idées, pour puiser ensuite dans ses propres capacités pour faire réussir une entreprise.


Les grandes romancières, celles qui tricotent de la pure fiction sont imprévisibles, à la façon d'un Andréï Makine, angoissé par la vieillesse. Pour lui, le seul et unique drame d'une femme serait de vieillir !
A travers Géantes on voit se dessiner le futur du féminin, le devenir des femmes. Murielle Magellan évoque page 285 : « On Semble s'habituer peu à peu à sa dimension grandissante, à son influence, à ce qu'elle attribue aux photos d'Eliezer, souvent diffusées et relayées par les jeunes et la presse. »
Le parcours de Laura est étonnant et funeste parfois , de la gloire au désastre, on s'interroge sur une ascension fulgurante, suivi par le chaos. Symboliquement, le Grand CDI est devenu un tout petit CDD. En romancière avisée La romancière ne fait pas de cadeau. Et Laura de hurler :  » Tu te rends compte que c'est terriblement injuste, j'ai travaillé beaucoup plus que stipulé dans mon contrat. »


La découverte du Japon
L'intrusion du Japon est comme un fenêtre ouverte sur le monde.
Le grand écrivain japonais Takumi Kondo, écrit à Laura une magnifique lettre, dans laquelle figure un poème de l'odieux et génial Baudelaire :
" J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante,
Comme au pied d'une reine un chat voluptueux.
J'eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme
Et grandir librement dans ses terribles jeux,
Deviner si son coeur couve une sombre flamme."

La femme chez Murielle Magellen n'a jamais baissé les bras, Laura aura passé tant de temps à lire du japonais. Laura est émerveillée d'apprendre que cette langue parlée est devenue le japonais littéraire classique. le Dit du Genji, relate ainsi la vie d'un jeune prince séduisant, amoureux des femmes. Vous admiriez alors « la prodigieuse finesse psychologique d'une romancière japonaise. » (P; 252).


Laura la féministe
Je suis tombé de mon oreiller, quand effrayé,  j'ai lu le discours de Flaubert sur la poésie de Louise Colet : « Écrire est un acte viril, avec pour seul but noble la recherche esthétique. La beauté à laquelle selon lui les femmes sont insensibles » (page 246). Quel mufle !
Marguerite Duras dont le vin est béni des dieux (le Duras, célèbre vin du Haut Marmandais) lui donne la meilleure des répliques : son silence. « Savoir entendre le silence, le comprendre, il en est incapable le sot ! »


J'ai découvert amusé, sous la plume de Gustave Flaubert, comment discerner une phrase femelle, car « une phrase mâle est saillante. » Cet échange est surréaliste ! Un homme du nom de Eliezer aimerait montrer ses photos et « montrer que la beauté l'emporte sur la peur ». Vous lui avez ouvert votre porte, était il un ange ? La grande victoire d'Eliezer serait que beaucoup d'hommes viennent et constatent avec lui à quel point la grandeur de Laura est une chance pour l'esthétique et le désir et non l'inverse.

A travers vos audaces, un visage s'est inventé au féminin, celui de Laura du conte à la réalité. Une fois encore votre plume de romancière nous offre de grandes surprises, et de délicieux moments de lecture.

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« Je suis une femme incroyablement
La femme phénoménale, c'est moi. »

Cette épigraphe de Maya Angelou est habilement choisie et reflète assez bien l'esprit de ce livre. Comment ? Ah ça… Je vous laisse découvrir.

Deux histoires, l'une fictive, l'autre réelle, s'intercalent pour se rejoindre et donner naissance à un cycle dont nous ne prenons la mesure qu'à la fin.
D'un côté, nous suivons l'évolution de Laura, femme discrète et passionnée de lecture japonaise, dont la rencontre avec un écrivain japonais va créer un tsunami dans sa vie. de l'autre, nous suivons des extraits du journal de Murielle Magellan dont la rencontre avec Andreï Makine à son passage à l'émission "la grande librairie" va créer un tsunami dans les pensées.
Mais tout changement implique nécessairement des choix à faire…

Un livre distrayant, quoique pas aussi léger qu'il n'y parait, ingénieux dans son traitement et non dénué d'humour. Certaines expressions imagées m'ont fait sourire. Murielle Magellan s'est visiblement amusée avec les symboles et les métamorphoses, du corps, de l'esprit, de la création littéraire également. J'ai beaucoup aimé son approche. C'est aussi égrainé de réflexions sur la place de la femme, son regard sur elle-même et le poids du regard des autres, sur les rapports homme-femme, sur la beauté, la vieillesse.
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Géantes est un texte assez déconcertant qui offre au lecteur deux histoires en parallèle : « Roman » et « Journal » se succèdent (ou s'entremêlent ?) tour à tour jusqu'au dénouement. Il n'y a aucun autre titre donné aux chapitres que ces deux références à des genres littéraires et les deux termes sont relativement explicites : d'une part, le lecteur est plongé dans une oeuvre de fiction, d'autre part, il est invité à découvrir le journal de l'autrice. Dans les deux cas, c'est vers une femme que sont dirigés les projecteurs. La première, Laura, mène une petite vie paisible jusqu'à ce qu'un auteur japonais vienne chambouler son existence en lui offrant une exposition qui, en la faisant sortir de son traintrain quotidien et en la mettant en valeur, elle, la discrète épouse, va la faire grandir, littéralement, au point de faire d'elle une géante. La seconde, l'autrice, écrit sur sa rencontre avec Andreï Makine lors de son passage à La Grande Librairie et cherche le sujet de son prochain roman.
Vous l'aurez peut-être deviné, les deux écrits, le « Roman » et le « Journal », sont liés, l'un expliquant la genèse de l'autre. Ils doivent donc être lus conjointement et c'est parce qu'ils s'éclairent mutuellement que l'oeuvre prend son sens. Pour autant, même si je n'irai pas jusqu'à dire que ce choix et cette construction m'ont déstabilisée, je ne peux pas cacher que j'ai trouvé assez pénible qu'on me fasse sortir aussi régulièrement de la fiction. Clairement, le « Journal » ne m'a pas intéressée et je n'avais qu'une envie : revenir au « Roman ». Ce mélange des genres n'est pas fait pour moi…


Lien : http://aperto-libro.over-blo..
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
« Roman
Laura aime les rituels. Au réveil, elle fait glisser ses petits pieds dans des surippas qui enveloppent du talon aux orteils, et lui procurent immédiatement une sensation de confort élégant. C’est Mélodie, une amie du club d’œnologie, qui lui a rapporté du Japon ces chaussons en satin rose et parme, ornés d’éventails dessinés à l’encre par une main experte. Ensuite Laura enfile un kimono, qui souligne son embonpoint sans le dénoncer, et allume la machine à café avant de se diriger vers la salle de bains. Là, elle ne manque pas de jeter un œil dans son miroir pour rectifier ce que la nuit a pu déranger de sa chevelure blonde et mi-longue. Elle n’aime pas son reflet ; elle déteste plus encore prendre son petit déjeuner la tête en vrac. Certes, le plus souvent, Paul, son mari, est déjà sur un chantier, mais il lui arrive de commencer sa journée à la maison, lorsque par exemple il doit vérifier les stocks, répondre à des commandes ou se documenter sur les couleurs tendance. Son entreprise « Peintures et Rénovations » fait parfois du conseil et, s’il n’est pas architecte, il se plaît à dire qu’il n’est pas qu’un peintre en bâtiment non plus. Il a du goût, un œil attentif à l’esthétique des choses, et c’est pour cela que Laura ne souhaite pas se montrer à lui dans une tenue négligée, même si on doit à la vérité de dire qu’il ne lui a jamais fait le moindre reproche à ce sujet.
Ce jour-là, Paul est déjà parti et Laura poursuit sa danse des habitudes : elle revient vers la cuisine, sort la confiture, met du pain à griller, appuie sur le bouton de la cafetière, ouvre le frigo et en extrait la bouteille de lait, tient la porte ouverte avec son genou pendant qu’elle en verse quelques gouttes au fond d’une tasse puis la remet dans son compartiment, retire sa jambe, ce qui suffit à refermer en douceur le battant docile ; elle répartit le tout sur un plateau qu’elle trimballe habilement vers la table en verre du salon sur laquelle repose déjà le livre qu’elle est en train de lire : Le Rire du hibou, l’un des premiers romans de Takumi Kondo, le seul qu’elle n’avait pas encore lu. L’écrivain célèbre vient ce soir à la médiathèque de Marmande présenter son œuvre et Laura ne veut rater ça pour rien au monde. Depuis l’enfance, la jeune femme, à l’esprit pourtant plutôt scientifique (elle a fait une école de commerce à Bordeaux), lit des romans japonais, et ce de façon presque exclusive. Tout est parti de la mort de son arrière-grand-mère Marthe, survenue quand elle avait 10 ans. Laura, à cette époque-là uniquement passionnée de couture, aimait Marthe d’un amour inconditionnel. La vieille femme, un peu honteuse de ne pas avoir étudié, portait en elle mille récits d’Occitanie qu’elle avait l’art de dérouler en roulant les « r » et en chantant les nasales, ce qui ralentissait la narration et créait un suspens involontaire mais efficace. Parfois, lasse de fouiller sa mémoire, elle choisissait de raconter à Laura un roman en cours de lecture qu’elle dévorait à la loupe. Le plus souvent, le livre avait été emprunté à la bibliothèque ou prêté par une voisine institutrice à la retraite en laquelle elle avait entière confiance.
Quand Laura se rendit à Agen avec son père pour un dernier adieu à l’appartement vide, elle se déroba à l’attention paternelle pour pénétrer dans la chambre de Marthe. L’ancêtre reposait dans un cercueil fermé. Pour lutter contre son imagination macabre, l’enfant se mit à scruter la chambre comme si elle contenait un antalgique puissant dissimulé quelque part : le lit, dans les draps duquel elle s’était si souvent blottie pour écouter les histoires de la vieille, le chien en bronze sur l’armoire, le tapis berbère mal dépoussiéré. Quand son regard flottant se posa sur la table de nuit, il s’ajusta pour noter la présence d’un livre duquel dépassait un marque-page fluorescent. Elle s’approcha ; manipula l’objet. C’était un livre de bibliothèque dont le titre, Gibier d’élevage, sonnait comme un roman du terroir lot-et-garonnais. Le nom de l’auteur en revanche, Kenzaburô Ôé, transportait de quelques milliers de kilomètres vers l’Est et l’Asie inconnue. « Mamie ne connaîtra jamais la fin de cette histoire. » Cette pensée glaça l’enfant plus encore que la présence assourdissante de son arrière-grand-mère dans la boîte près d’elle. Elle prit le livre, le mit dans sa poche, et l’emporta chez elle avec une seule obsession : finir la lecture de Marthe. Laura n’avait jusqu’ici lu que Les Six Compagnons ou la série des Alice en Bibliothèque verte et ignorait qu’on écrivait des livres au Japon. Qu’importe. Le soir même, elle reprit la lecture de son aïeule là où elle l’avait laissée, se retrouva en 1944 dans ce village pierreux des montagnes japonaises, suivit les aventures de l’enfant et du prisonnier noir américain sans y rien comprendre et tourna la dernière page à 3 heures du matin, épuisée mais sûre d’avoir maintenu son arrière-grand-mère en vie quelques heures de plus en s’imposant l’achèvement de ce texte mystérieux. Dès lors, elle troqua sa passion des aiguilles et des machines à coudre pour celle, inaltérable, des romans japonais.

La vie de Laura reprit son cours serein. À 17 ans, elle rencontra Paul et son regard doux, l’épousa à 23, avec la simplicité des femmes qui reconnaissent en elles l’amour profond, puis choisit de l’aider à mener à bien ce projet joyeux : être l’un des meilleurs ouvriers peintres de la région. Son époux construisit presque de ses mains leur maison de Beaupuy, dont le salon-cathédrale vitré et le jardin à l’arrière ont une vue sur Marmande et toute la vallée. Ils en firent le siège social de la société, et c’est d’ici que Laura s’applique à la comptabilité de « Peintures et Rénovations », délestant son époux de l’aspect administratif pour qu’il puisse se dévouer à la qualité de sa tâche. La société compte à présent neuf employés et Paul est un homme respecté et épanoui. Sa dégaine ramassée de rugbyman, sa chevelure épaisse et brune, son regard clair attirent la sympathie de tous. Il ne manque jamais de citer Laura quand il évoque son succès ; il n’aurait rien pu faire sans elle. La petite flamme dans ses yeux à cet énoncé prouve sa sincérité. Leur difficulté à avoir un enfant est la seule ombre à leur jolie vie, mais le docteur Bombard leur a promis qu’ils y parviendraient ensemble. Laura n’est pas pressée, elle profite du temps qu’elle a pour bien tenir sa maison – elle aime ranger – et surtout lire. Des livres japonais donc. Et ceux de Takumi Kondo en particulier.

Journal
J’ai rencontré Andreï Makine hier quand je suis passée à La Grande Librairie. Il m’a dit un truc dingue quand j’y réfléchis. Avant de faire l’émission, je pensais justement que pour écrire le livre qu’il vient de publier, Par-delà les frontières, aussi désespéré, aussi ambigu, aussi provocateur, il fallait « être Andreï Makine ». Qu’un autre écrivain ne pouvait pas produire un livre comme ça et espérer être lu, à part Houellebecq peut-être, ou un auteur agonisant, fidèlement édité, dont la mort prochaine permet tous les excès. Et ce qu’il m’a dit lors du sympathique pot qui suit l’émission, c’est du même ordre : il faut être Andreï Makine pour le dire. Très peu d’hommes se permettraient ce genre de propos.
J’avais mis une belle veste achetée cher pour l’occasion – ou plutôt dans l’espoir de l’occasion – quelques semaines plus tôt. C’est une taille 40, ils n’avaient pas plus grand. Moi, je porte facilement du 42 en ce moment, mais la vendeuse a argumenté, ça peut se porter ouvert, elle vous va bien, et Jean-Pierre [mon compagnon] a confirmé elle te va bien, de toutes celles que tu as essayées c’est celle qui te va le mieux. Mon miroir me le disait aussi, l’absence de col fait ressortir mon cou, mes cheveux, les petits fils dorés éclairent tout en restant sobres, je m’y sens bien. Bon achat. J’avais mis également des bottines à hauts talons que j’adore. Elles m’allongent, elles ont une touche de fantaisie, elles sont noires (donc discrètes) avec des éclats de rouge sur le côté, bref, je les ai choisies pour l’émission ainsi qu’un pantalon en toile et un chemisier noir légèrement transparent, un petit top en dessous, c’est bien. C’est ample. Ça cache la misère. Je n’ai pas à tirer dessus sans cesse. Être à l’aise, surtout, c’est ce qui comptait pour moi. Si possible élégante et à l’aise.
J’avais envie de parler de mon livre, de saisir l’opportunité précieuse, défendre le bébé. Je suis assez premier degré il faut dire. Très consciente de la chance que j’ai, quand j’en ai. Pas du genre à penser que ça m’est dû. Impressionnée par la qualité du plateau (Vanessa Bamberger, Patrice Franceschi, Andreï Makine, Joseph Ponthus), j’ai tenté de dissimuler derrière un visage fermé ma sensation ravie de la crèche. Malheureusement pour moi, elle trouve toujours un interstice pour s’exprimer, souvent sous la forme d’un sourire benêt. Cette béatitude enfantine ne me prive pas de mon aptitude à observer. L’un n’empêche pas l’autre.
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On ne sait pas comment, mais le plus souvent on surmonte l’insurmontable. On ne sait pas d’où ça vient, mais ce premier baiser qu’il faut donner, cette parole engageante qu’il faut prononcer pour obtenir davantage, cet avis qu’on nous demande, cette réclamation qu’on doit faire, tout cela, souvent – au prix d’un effort considérable, certes –, finit par arriver. Le temps passe et on ne se souvient plus de l’effort. Ne reste que la satisfaction de la chose accomplie.
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On ne sait pas comment, mais le plus souvent on surmonte l’insurmontable. On ne sait pas d’où ça vient, mais ce premier baiser qu’il faut donner, cette parole engageante qu’il faut prononcer pour obtenir davantage, cet avis qu’on nous demande, cette réclamation qu’on doit faire, tout cela, souvent – au prix d’un effort considérable, certes –, finit par arriver. Le temps passe et on ne se souvient plus de l’effort. Ne reste que la satisfaction de la chose accomplie.
C’est de cet endroit mystérieux que part la première parole de Laura. Elle n’est ni plus ni moins pertinente qu’une autre. Elle est simplement le début d’une immense audace « Quand vous évoquiez ce grand amour tout à l’heure, cet amour exceptionnel, j’ai pensé à votre roman Suspensions qui m’a beaucoup plu.
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[ au sujet d'-"Au-delà des frontières" de Makine ]

Journal

Je suis sincère. Même si elles me choquent parfois, j'aime ces voix qui ne rejoignent pas les refrains ambiants; ces voix qui interrogent le monde et son évolution sans idéologie, ou presque, en prenant en compte les aberrations de la nature humaine. -au-delà des frontières - laisse une trace de désespoir mais surprend par son issue utopique, mégalomane: les héros se retrouvent à la fin du roman au fin fond de la Sibérie et repartent à zéro, en quelque sorte, pour imaginer un nouveau monde, une nouvelle humanité, fondés sur de tout autres valeurs que les nôtres. Avant cela, l'écrivain s'est amusé avec notre société, les extrêmes-droite et gauche-sont moquées à traits satiriques. Il y a du Brecht réac dans l'exagération du tableau. Le texte n'émeut pas mais tourmente; ce n'est pas rien. (p. 34)
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Paul accepte mal de voir trainer en piles les bouquins attrape-poussière que sa femme affectionne tant. […] Le fait est que les livres s’entassent en monticules au pied du canapé, sur le secrétaire japonisant du salon, dans les toilettes, sans parler des tables de nuit ou de la commode en bois de manguier, créant de petites tours de papiers ultra-citadines, au point que Laura a reconnu un jour : « On dirait Tokyo en miniature. » (p155)
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Vidéo de Murielle Magellan
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