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EAN : 9782866458386
136 pages
Le Félin (18/02/2016)
4.67/5   3 notes
Résumé :
Peu avant sa disparition, Michel Makarius (1948-2009) préparait une histoire du flou dans les arts visuels, en particulier dans la peinture et la photographie, qui prenait son point de départ à la Renaissance et se prolongeait dans le monde contemporain, celui des installations vidéo de Bill Viola et des photographies du tchèque Josef Sudek. Les trois premiers chapitres de cet ouvrage, que son auteur n'aura pas eu le temps de mener à bien, constituent un essai auton... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Michel Makarius m'était connu pour sa belle synthèse sur les ruines dans l'art occidental (2004, rééditée depuis). Le champs de l'analyse chez Makarius invite souvent à une méditation supplémentaire qui transcende le propos, c'est le cas avec ce dernier essai sur l'histoire du flou dans les arts visuels européens, depuis la Renaissance, à travers peinture et photographie et jusque dans l'utilisation de la vidéo dans les arts d'aujourd'hui. On pourrait même voir quelque fil conducteur entre les deux sujets (les ruines et le flou), de l'effondrement des pierres à l'effacement du trait. La mise en forme du livre est posthume – il manque sans doute la supervision globale et finale de l'auteur, Makarius étant mort en 2009. Ses plaisirs d'esthète, ses interrogations de philosophe rendent palpable une épopée du visible dans l'art occidental. Son oeuvre en est la chambre d'échos.

Commençons par la photographie où le flou a de fervents adorateurs. Il n'en n'a pas toujours été ainsi. Signe de raté quand prévalait un idéal de netteté et de ressemblance au modèle, le flou est sorti de sa marginalité au XXe siècle, grâce à la contribution d'artistes aussi divers qu'Eugène Atget, Josef Sudek ou encore Bernard Plossu sur lesquels l'auteur livre quelques intéressants développements. L'idéal de netteté de la représentation était a l'origine aussi celui de la peinture. C'est peu a peu qu'elle s'en détacha cherchant de nouveaux moyens d'accès au "visible". Cet essai montre, c'est ce qui le rend passionnant, combien peinture et photographie, liées par des relations étroites à partir du XIXe siècle, ont été tributaires de conceptions esthétiques fluctuantes capables de modifier cette notion même de "visible". Comment atteindre le visible ? c'est le coeur de cet essai. Superbe parcours à travers cinq siècles d'arts visuels et de révolutions esthétiques et de la pensée qui les ont accompagnés. Cette synthèse interroge à la fois le sens de la représentation et le geste créateur, et sur le plan plastique et sur le plan philosophique. Aux marges des études conventionnelles, le livre entraîne parfois vers des territoires étranges – images fantômes et portraits spirites des années 1850 – je pense aussi aux pages consacrées à la fascination des reliques (la Sainte Face) et au pouvoir du sacré dans l'art religieux ou à celles, magistrales, concernant l'oeuvre contemporaine de Gerhard Richter.

Trois grands chapitres décrivent un processus d'évolution du trait affectant sa netteté et accompagnant des changements de manières artistiques et de perceptions dans la représentation, de la Renaissance à l'époque moderne. L'art purement spatial et statique qu'est la peinture du Quattrocento intégrant progressivement l'intériorité des sentiments, tendance qui s'accentue au XVIIe siècle, jusqu'à ce que le mouvement ne devienne lui même, plus tard, un enjeu esthétique (l'invention de la chronophotographie, à la fin du XIXe siècle, préfigure-t-il l'utilisation de la vidéo dans les arts (Bill Viola, Chott El-Djerid) ? L'intérêt est de découvrir parallèlement combien est vive depuis l'antiquité, dans ce débat plastique sur la netteté, la tradition philosophique. Les vues de Platon et la symbolique du miroir, celles de Pline sur l'ombre ou le mythe ovidien de Narcisse traversent la réflexion artistique occidentale jusqu'au "Je ne sais quoi" de Jankelévitch! Si la prévalence d'une vision nette a été fortement ébranlée au XVIe siècle par les dramaturgies du Caravage, l'invention de la perspective aérienne et celle du « sfumato » par Léonard de Vinci sont, selon Makarius, à l'origine du flou en peinture et restent une étape décisive dans l'histoire de l'évolution des arts visuels. Une étape qui engage ensuite la peinture dans des recherches sur l'ombre et la lumière dont Makarius voit des prolongements aujourd'hui dans les échanges entre le fond et la figure, par exemple, chez un artiste comme Giacometti.

Après Vinci, loin d'être un signe de relâchement de la facture ou du trait, le contours indécis est chargé d'une profondeur nouvelle qui impacte forcément le spectateur. Le déclin de la vision nette s'accentue, le clair obscur s'impose avec Rembrandt et Vermeer, les atmosphères vaporeuses fuyantes de Watteau annoncent, si on suit l'auteur, les brumes de Friedrich. Un nouveau statut de l'image se dessine. La peinture s'affranchissant peu à peu du trait au profit d'un « brouillage », s'abandonne à « la sensation la plus ténue et la plus passagère » (p. 61) que consacre l'impressionnisme. Peinture et photographie traduisant tous les questionnements esthétiques de la fin du XIXe siècle. D'autres interrogations formelles touchant la modernité plus récente sont également abordées. Si la notion de flou est sans objet pour la peinture abstraite, des développements inattendus attendent en revanche le lecteur sur un genre éminemment figuratif et discuté au XXe siècle : le portrait. Contre toute attente la notion de flou s'y affirme avec force (Alberto Giacometti, Zoran Music ou Arnulf Rainer). Les portraits de Francis Bacon surtout retiennent l'attention : « le paradoxe d'une ressemblance qui persiste au-delà de la négation de la figure. » (p. 82). Bref, la lecture est dense et foisonnante. Félicité assurée à tous ceux qui accepteront cette traversée artistique assez exigeante. Merci à Babelio et aux éditions du Félin de me faire revenir à Makarius.





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Oeuvre d'une extrême richesse culturelle qui s'apparente pourtant à une collection d'idées sur la représentation du flou dans l'imaginaire collectif des critiques, historiens et sociologues de l'art. Les citations et les références foisonnent comme si le regard sur les oeuvres devait passer par une validation externe, celle des mots d'un autre qui précède et qui est reconnue par une sanction historique et académique. Diderot, Burke, Pline, Platon, Quatremere de Quincy, Valery, Gombrich et beaucoup d'autres : tout le monde de l'intelligentsia standardisée, y compris Sartre et De Beauvoir. Mais ce n'est pas parce qu'un tel a dit ceci ou cela sur une oeuvre que c'est une vérité objective, absolue et définitive. Surtout dans ce domaine si particulier des arts visuels où le ressenti personnel joue pour une grande part dans l'interprétation de ce que transmettent les sens. de plus, à force d'atomiser le propos et de multiplier les références en les accrochant à une multitude de points de vue, l'objectif visé perd en clarté et finit par rejoindre le coeur même de son sujet pour lui ressembler. Je dois avouer qu'en écrivant cette dernière phrase, une des citations me revient à l'esprit avec un léger amusement, quelques mots de Mallarmé qui incite l'artiste à ne montrer une chose que par son effet. C'est tout à fait ça : ici, le flou n'est pas cerné conceptuellement (le pourrait-on ?) mais son effet est perçu sensiblement...
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Ayant suivi les cours d'histoire de l'art et d'esthétique que donnaient Michel Makarius à la Sorbonne au début des années 2000, je me souviens d'un homme passionné et passionnant, habité par des problématiques artistiques profondes qu'il traitait de manières séduisantes. Et c'est avec plaisir et non sans une certaine nostalgie que je retrouve sous sa plume cette même passion et cette même vigueur intellectuelle.

Après avoir écrit un ouvrage de référence sur les ruines dans l'histoire de l'art, c'est donc une histoire du flou qu'il nous offre aujourd'hui, à titre posthume. Divisé en trois parties – Une histoire du flou, Des présences sans visages, et enfin Peinture, photographie et vidéo – cet ouvrage retrace les contours d'une histoire de l'art dont l'évanescence du modèle ou du motif devient signe de modernité en flirtant avec les frontières incertaines du visible.

Analysant aussi bien des oeuvres de la Renaissance (de Vinci), de la période Symboliste (Eugène Carrière) ou contemporaine (Gerhard Richter, Bill Viola) Michel Makarius dévoile et définit les grandes étapes artistiques qui ont données au flou un statut à part, lui octroyant la valeur de l'aura. le flou, comme le fait remarquer Makarius lorsqu'il mentionne les acheiropoïètes de la tradition chrétienne, ces images du Christ qui n'ont pas été faites de main humaine et qui seraient donc d'origine miraculeuse, est souvent la marque du spirituel, du sacré, du divin. Comme si l'objectivité du trait, sa précision et sa définition n'était pas suffisante à représenter ce qui est hors de l'objectivité et que le flou surgissait alors comme l'une des dernières ressources picturales susceptibles de poétique et de mystique.

Mais le propos de Makarius est plus large encore en cela qu'il embrasse à travers l'histoire de l'art et ses différents médiums, la question immense et inépuisable de la représentation du réel. En une centaine de pages il nous convie à un voyage intellectuel et esthétique que jalonnent de nombreuses illustrations qui sont comme autant de balises sur ce chemin de crête qui serpente aux frontières du visible.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Avant que la peinture de Turner ne dissolve entièrement les contours, le spectacle des catastrophes - naufrages, incendies, éruptions - se déroule sous de sournoises lueurs qui nourrissent le soupçon d'un drame plus vaste qui nous échappe. En coupant par de larges contre-jours la pleine lisibilité de leurs tableaux, les peintres admirés au Salon de 1767 par Diderot lecteur attentif de Burke se font l'écho du philosophe irlandais pour qui : "une idée claire n'est donc qu'un autre nom pour une petite idée."* Autrement dit, l'ineffable serait l'indice d'une grande idée et le sublime un excès de sens.

Chapitre 1, Une histoire du flou, p. 54.

* E. Burke, Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau
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Par la modestie de ses sujets pris dans son univers quotidien et par l'amour de sa ville, on a pu rapprocher Sudek d'Atjet : comme chez ce dernier, les lieux photographiés sont vides de toute humanité. Mais cette similitude est trompeuse car si l'homme est absent de la scène, l'image floue incarne la subjectivité du regard, témoignant ainsi de sa présence silencieuse.
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Perspective aérienne et sfumato procèdent cependant d'un même principe, à savoir qu'une partie de la réalité demeure toujours insaisissable parce que cette réalité est en perpétuelle métamorphose. Voilà qui instaure la représentation picturale dans une incomplétude structurelle : le visible est bordé d'invisible comme la nuit cerne le jour.

Chapitre 1, une histoire du flou, p. 30
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Or, qu'est-ce qu'une perle si ce n'est une goutte de lumière ? De la lumière devenue substance et surface, autrement dit, le précipité et la quintessence de l'art de Vermeer.

Chapitre I, Une histoire du flou, p. 46.
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La sphère artistique, picturale , musicale et littéraire, mais également la théorie économique "néo-classique" incarnée par Léon Walras et Charles Gide (pour qui c'est le désir et non le travail qui crée la valeur), en appellent chacun à la suprématie de la subjectivité sur la réalité objective.[...] Comme le disait Mallarmé :" Tout se résume dans l'Esthétique et l’Économie politique".
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