C'est beau et triste comme une envolée de notes sur un linceul de flocons immaculés.
Beau,comme un dernier accord éteint dans la tristesse d'un hall de gare de l'Oural,gare ensevelie sous une tempête de neige, où tout se mêle en une masse humaine, où la fille à soldats qui s'encadre sur fond de grands panneaux à l'effigie de
Lénine jouxte, la mère, l'enfant,le vieux lové sur un journal La pravda, les odeurs de conserve et d'alcool.
"Soudain cette musique!"
Le narrateur sommeille et "le sommeil se retire comme le rouleau d'une vague dans laquelle un enfant tente d'attrapper un coquillage entrevu" et lui "ces quelques notes qu'il vient de rêver".
"Homo sovieticus!"
"Ce mot recouvre la stagnation humaine" de ce "pays en dehors de l'Histoire."
"Ce mot le sépare de la foule".
La musique reprend comme "un fil de soie à la sortie d'un chas".
Un début merveilleux,où le lecteur a l'impression d'entrevoir les prémisses d'une création musicale.
A moins que du rêve et du vieillard entrevu n'émerge
La musique d'une vie!
La gerbe de notes fuse et le vieillard pleure,puis se raconte.
Etrange destin que celui de ce presque clochard croisé dans le train en partance pour Moscou, étincelle de vie égarée dans la nuit.
Remontée dans le passé.
Alexeï Berg,jadis virtuose, dénoncé la veille d'un grand concert, fuit,terrorisé,se cache,s'immisce parmi les soldats en guerre,recopie leurs gestes,change d'identité,tue et s'expose à la mort dans la peur d'être démasqué. Il devient Sergueï, celui auquel Stella la fille d'un général apprend à jouer "Petit soldat de plomb".Mais lorsqu'ignorante et moqueuse,promise à un autre lors d'une réception,elle le pousse à jouer.... ses doigts fourmillent et la musique déferle.....et ce sera dix ans de camp.
Horriblement triste comme un destin brisé dans un monde inhumain.
Une belle écriture légère et musicale,un roman fort et sensible à la fois qui témoigne du "pesant héritage de Byzance,des deux siècles de joug tatare,cinq siècles de servage,des révolutions,de Staline" car "East is East!"
André Makine,russe, a passé en 1980,son doctorat en littérature de l'Université de
l'Etat de Moscou.En 1987,lors d'un voyage en France,il a obtenu l'asile politique. Professeur de langue et de culture russe à l'école normale supèrieure et à sciences Po, il a plublié plusieurs romans(traduits en plusieurs langues) à partir de 1990 dont
le testament français (prix Goncourt général,prix Goncourt des lycéens et prix Médicis en 1995.