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Josée Kamoun (Traducteur)
EAN : 9782070304783
442 pages
Gallimard (30/10/2003)
3.86/5   433 notes
Résumé :
Le maccarthysme a beau déferler sur l'Amérique au tournant des années cinquante, Ira Ringold se croit à l'abri de la chasse aux sorcières. Non seulement parce que son appartenance au parti communiste est ignorée même de ses amis, mais surtout parce que l'enfant des quartiers pauvres de Newark, l'ancien terrassier au lourd passé, s'est réinventé en Iron Rinn, vedette de la radio, idéale réincarnation de Lincoln, et heureux époux de Eve Frame, ex-star du muet. Mais c'... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (44) Voir plus Ajouter une critique
3,86

sur 433 notes
« Comment est-ce que cette farce avait pu briser sa vie ? »

Cette farce, c'est le délire paranoïaque qui s'est saisi de l'Amérique dans la décennie de l'après-guerre entre 1946 et 1956, c'est la chasse aux sorcières, la traque des vrais ou faux communistes prétendument téléguidés depuis Moscou pour détruire le pays de l'intérieur. Et cette vie brisée, c'est celle d'Iron Ringold, « l'homme de fer », dont la ressemblance avec Abe Lincoln a marqué la destinée à jamais, une destinée tragique, shakespearienne, emplie de bruit et de fureur, d'amour et d'ardeur, d'illusions tenaces et de colossales erreurs.
Car si Iron Rinn, le Juif ami des Noirs, des déshérités et des laissé-pour-compte de l'Amérique dont l'aura et la puissance, à la sortie de la seconde guerre mondiale, sont à leur zénith, apparaît à bien des égards comme une victime du système moral, de la bêtise humaine érigée en système qu'était le maccartisme, il est avant tout une victime de lui-même, plus précisément, une victime de sa destinée.

“And thus the whirligig of time brings in his revenges/ Ainsi le tourbillon du temps porte-t-il ses vengeances ” (La nuit des rois).

Des hommes aux prises avec leur destin, un thème maintes fois abordé par Philip Roth dans une oeuvre déployant une énergie, une exubérance prodigieuses sans le céder en rien à la nuance, des hommes, marqués dès leur naissance par le seau infamant du destin, croyant naïvement pouvoir le déjouer et échouant toujours. le destin, c'est-à-dire la rencontre entre ce qu'ils sont d'une part — des êtres déterminés par leur origine sociale et familiale, par leur psychologie et leur tempérament — et leur époque d'autre part, les rattrape inexorablement quoi qu'ils fassent, ou plutôt, tout ce qu'ils font semble vouloir les ramener à leur destin.
Ainsi Iron Rinn, né juif dans une famille pauvre marquée par la violence, croit pouvoir échapper à un destin de bad boy en devenant acteur pour la radio et en épousant une ex-star du cinéma muet, Eve Frame. Refusant de voir que son mariage repose sur les bases friables d'une gigantesque illusion, il perdra tout ce qu'il avait patiemment construit à la suite de la publication par Eve Frame d'un livre en forme de bombe : J'ai épousé un communiste.
De même Coleman Silk dans La tache, né Noir dans une Amérique ségrégationniste, saisit-il l'opportunité que lui offre sa peau claire pour changer d'identité et se faire passer pour Juif. Devenu professeur de lettres classiques à l'Université d'Athena, il se retrouve, à la veille de la retraite, accusé de racisme dans l'Amérique bien-pensante de la fin des années 90. Ce qu'on ne nommait pas encore l'idéologie woke va inexorablement le broyer.

L'idéologie sous toutes ses formes, le communisme et l'anti-communisme, le racisme et l'anti-racisme, la religion…, l'idéologie ou le fantasme de pureté se traduisant par la volonté fanatique de nettoyer l'homme de sa souillure, est sans aucun doute l'un des mensonges le plus ravageur et le plus tenace dont semble ne jamais pouvoir se dépêtrer l'espèce humaine.

« Parce que la pureté est une pétrification. Parce que la pureté est un mensonge. »

Et pourtant, même les êtres les plus rationnels et les plus clairvoyants comme Murray Ringold, le frère aîné d'Iron, n'échappent pas à une forme d'idéologie intime et personnelle qui elle aussi mène à la tragédie :

« Écoute, on ne s'en sort pas. Quand on essaie, comme j'ai tenté de le faire, de se départir des illusions flagrantes – la religion, l'idéologie, le communisme – on est encore tributaire du mythe de sa propre bonté. »

Si Nathan Zuckerman, le double littéraire de Roth, apparaît dans ses premiers livres comme le véritable héros de l'histoire, il devient, à partir de la Contrevie, une oreille. Récipiendaire d'un récit dont un autre que lui est le héros, il est celui qui écoute et celui qui raconte. Ce procédé narratif me paraît particulièrement efficace pour bâtir des histoires qui relèvent à la fois du domaine de la fiction — action, émotions, sentiments — et du domaine de l'essai — analyses, réflexions. Car si Philip Roth est sans conteste un immense romancier qui aime raconter des histoires, il est également, peut-être même avant tout, l'un des plus fins analystes de notre temps, qui s'est inlassablement employé, de livre en livre, à déchirer « le rideau magique tissé de légendes suspendu devant le monde » (Milan Kundera).
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Liliane fait les valises. Ah non, je me suis trompé ce n'est pas une biographie de Georges Marchais, autant pour moi !!
Le Grand P. Roth signe une passionnante plongée au coeur d'une Amérique ou la chasse aux sorcières, avec à sa tête le sénateur McCarthy, fait le malheur de milliers d'américains. C'est une nouvelle fois brillant. Avec une plume acérée et érudite, il dresse un portrait au vitriol d'une Amérique malade de son conformisme et de ces peurs. Cette paranoïa de la dénonciation est au coeur du roman de Roth, mais comme toujours chez lui, c'est une vision globale de ces années que nous offre le natif de Newark. La liberté et le rêve se payent chers.
Cette odyssée prouve entre « Pastorale américaine » et « La tâche », l'immense talent d'un des grands auteurs de la bannière étoilée.
Une oeuvre impressionnante qui m'enthousiasme à chaque fois. Roth en haut de la liste, mais celle-là est respectable, au combien.
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Philip Roth est un poids lourd de la littérature américaine, il le démontre une nouvelle fois ici. Comme dans « Pastorale américaine » et « La tache », il met en scène Nathan Zuckerman, son double littéraire, pour évoquer, à partir d'un destin individuel, une tranche de l'histoire des Etats-Unis. Cette fois, c'est un Zuckerman vieillissant qui retrouve Murray Ringold, son professeur d'anglais au lycée. Tous deux se remémorent le passé et l'histoire d'un homme qui les a profondément marqués, Ira Ringold, frère de Murray, et qui, le premier, éveilla la conscience politique du jeune Nathan, adolescent en pleine ébullition dont le cerveau intelligent mais encore tendre ne demande qu'à s'enflammer pour une belle cause.

La « cause » en question, c'est celle du communisme. En ces années 50, à l'heure du maccarthysme et de la chasse aux sorcières, embrasser cette cause n'est pas la meilleure idée du monde. Alors pour Ira, qui non seulement embrasse, mais étreint son idéal de toutes ses forces et se jette corps et âme dans le fleuve du marxisme, ce qui avait commencé avec le rêve d'un monde meilleur s'achèvera dans un infâme cauchemar américain. La vie d'Ira Ringold, c'est la splendeur puis la déchéance d'un homme entré en communisme en même temps qu'à l'usine, d'un utopiste quasiment analphabète endoctriné à coup de credo plus rouges que rouges. Son talent de prédicateur acharné vociférant ses diatribes lors de meetings politiques le fait repérer par un producteur, qui fait rapidement de lui une vedette de feuilletons radiophoniques. Ira Ringold devient Iron Rinn, et, sans pour autant renier ses convictions, passe de son quartier prolétaire à la jet-set de New-York, où il rencontre et épouse Eve Frame, starlette de la télévision. Déjà mariée trois fois, affublée d'une fille « castratrice », Eve, aussi belle, cultivée et parfaite femme du monde à l'extérieur que vide, mesquine et ignare à l'intérieur, a donc, sans le savoir, épousé un communiste. Car Ira a toujours juré qu'il n'avait pas de carte du parti.

Ce mariage sonne le début de la fin, Eve, femme frustrée sous l'emprise de sa fille, allant de désillusions en déceptions. La paranoïa et le climat de délation ambiants ajoutés à la volonté de vengeance d'une femme trahie précipiteront le destin d'Ira.

Portrait dense et complexe d'un homme de convictions et de contradictions, au mieux idéaliste, au pire bouffon et traître à la cause, ce roman à la fois politique et social donne à voir une image sinistre d'une Amérique paranoïaque et schizophrène qui, sous couvert de patriotisme, a écrasé des milliers de gens qui osaient penser autrement.

Tiens, au fait, pourquoi ai-je cette étrange impression que L Histoire repasse sans cesse les mêmes plats ?
Lien : http://www.voyagesaufildespa..
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J'ai épousé un communiste est le second volet de la trilogie Zuckerman. Ce second volet d'histoire américaine ressemble beaucoup - dans sa construction - à Pastorale Américaine.
L'écrivain, Nathan Zuckerman rencontre quelqu'un qui a été une figure (masculine) importante dans son passé en qui il voyait un pan d'idéal masculin. Avec le Swede, on avait la force et la beauté de l'athlète, tandis qu'ic avec Murray Ringold, il s'agit d'un intellectuel brillant et modeste.
(Et une fois de plus, Philip Roth ne nous épargne pas quelques crochets à la gent féminine )

Là aussi, les deux personnages parlent d'une tierce personne, décédée au moment du récit, qui a vu ses illusions et ses rêves brisés, tant sur le plan personnel que professionnel. Il s'agit d'Ira Ringold, frère cadet de Murray, qui avait eu le mauvais goût d'être communiste à l'air du maccarthysme.
Philip Roth se moque de son personnage à plusieurs reprises. A cause de son idéalisme mais au fil du récit, il questionne aussi l'honnêteté de ses convictions. Comme dans cette phrase, par exemple où il le décrit comme étant "A Communist with a conscience and a Communist with a cock" (à comprendre : "un communiste avec une conscience et un communiste avec une queue") ridiculisant ainsi à sa vision candide et simpliste de l'homme.

Ce roman est l'occasion pour l'auteur de critiquer de façon très virulente le gouvernement américain de l'époque pour qui adhéré à l'idéologie communiste était passible de condamnation devant un jury. En revanche, pour ce même gouvernement, lyncher des Noirs à tour de bras et ne pas inquiéter ces meurtriers de poursuites judiciaires étaient tout aussi normal. Truman, Nixon, MacCarthy etc… un trio pas si angélique que ça et contre qui la postérité ne retient pas trop de griefs en fin de compte.

L'autre grand thème de ce roman, comme pour le précédent et les autres romans de l'écrivain, c'est la communauté juive américaine, la relation qu'ils entretiennent avec les Etats-Unis et l'antisémitisme. Il est beaucoup question de trahison, de revanche et de colère dans ce livre, et selon Roth, les Etats-Unis ont d'un certaine façon , légitimer la colère de ces Juifs. Ce point sera peut-être difficile à comprendre ou à saisir pour des gens peu familier des communautés juives ou des Juifs de la génération de Philip Roth.
En dépit des critiques qu'il formule, Roth fait tout de même quelque chose qui s'apparente à une déclaration d'amour à l'Amérique. Mais pas n'importe laquelle à l'Amérique idéalisée et au rêve d'assimilation totale. Comme si les Juifs avaient une conscience aigüe d'avoir été non désirés dans les pays qu'ils ont traversé, d'où le fait qu'ils se sont tant attachés à ce "pays où les rêves deviennent réalité" (pour preuve : il n'y a qu'à voir la berceuse yiddish qui a inspiré la chanson "Somewhere over the Rainbow")

Une fois de plus Philip Roth met en scène tout un tas d'ambivalence, avec un schéma narratif très similaire et des longueurs similaires… Même si sa prose à une force si percutante qu'elle peut faire oublier au lecteur les passages où il a tant soupirer se demandant pourquoi l'auteur diluait tant son intrigue et où il voulait bien nous mener. Mais quand même ! L'impression de déjà-vu m'a quand même donné un goût amer.
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Il y a, dans ce roman formidable, quelques pages essentielles et brillantes (302, 303, 308 et 309 dans la version folio) qui constituent une mise en pièces définitive de la littérature propagande qu'on appelait jadis « engagée ». Nombre de petites et éphémères célébrités d'aujourd'hui gagneraient à les lire. Difficile d'en isoler quelques mots, essayons tout de même : « Battez-vous pour le mot. Pas le mot de haut vol, le mot exaltant, le mot pro ceci et anti cela ; pas le mot qui doit claironner aux gens respectables que vous êtes quelqu'un de formidable, d'admirable, de compatissant, qui prend le parti des exploités, des opprimés. Dès que vous commencez à prêcher, à prendre position, à considérer que votre point de vue est supérieur, en tant qu'artiste, vous êtes nul, nul et ridicule ! »… ou bien : « L'art comme arme ? L'art qui prendrait les positions qu'il faut sur tous les sujets ? Qui vous a dit que l'art est une affaire de slogans ? Comment peut-on être artiste et renoncer à la nuance ? Mais comment peut-on être politicien et admettre la nuance ? Rendre la nuance, telle est la tâche de l'artiste. Sa tâche est de ne pas simplifier. Même quand on choisit d'écrire avec un maximum de simplicité, à la Hemingway, la tâche demeure de faire passer la nuance, d'élucider la complication, et d'impliquer la contradiction. Non pas d'effacer la contradiction, de la nier, mais de voir où, à l'intérieur de ses termes, se situe l'être humain tourmenté. Laisser de la place au chaos, lui donner droit de cité. Autrement, on produit de la propagande, sinon pour un parti politique, un mouvement politique, du moins une propagande imbécile en faveur de la vie elle-même – la vie telle qu'elle aimerait se voir mise en publicité. »
Vous pensiez ouvrir un énième livre sur les « ravages du Maccarthysme », « une page infâme de l'Amérique », comme la quatrième de couverture vous le vend, mais l'auteur ne faisant pas de « propagande imbécile », vous découvrez Un Homme en Colère et une Femme sous Influence. Je sais que ça sent le cliché facile emprunté à des titres de films. J'avoue. Mais quoi, le personnage principal se prénomme Ira… (Vous n'avez jamais fait de latin ? Même pas un petit semestre ? Ira : colère). Il a beau se rebaptiser Iron, il n'en demeure pas moins perpétuellement en colère. Et la femme sous influence, c'est Eve Frame, vedette de cinéma et de radio, « en butte au chantage affectif de sa fille. »
L'Amérique de l'immédiat après-guerre, sur fond de guerre froide, d'espionnage soviétique, de guerre de Corée (toujours pas terminée soixante-cinq ans plus tard), de procès des Rosenberg et de chasse aux sorcières communistes sous la direction du sulfureux Mc Carthy, n'est que le décor dans lequel se jouent la vie, la réussite et la chute d'Ira Ringold, alias Iron Rinn, personnage aussi complexe et contradictoire que possible.
C'est toute la force de ce récit qui est autant une histoire d'amour qui a mal tourné, que la description du Newark des quartiers juifs et italiens, du Chicago des aciéries et des artistes d'Hollywood et de Broadway. Celle encore de la trajectoire d'O'Day communiste pur et dur, donc impitoyable, ou celle d'Ira dont la pureté va s'émousser au fil de la vie et de ses appétits. Celle du narrateur, jeune homme influencé par un professeur et par son frère qui l'initie aux réalités et aux mythes des luttes sociales. Celle d'Eve, cette vedette du cinéma muet, reconvertie à la radio et au théâtre, cultivée, distinguée, riche et belle qui s'éprend d'un prolo n'ayant jamais fréquenté l'école mais baraqué, bagarreur et beau parleur, toujours en colère contre l'injustice et le capitalisme à travers un discours stéréotypé qu'il martèle sans contradiction. Elle cite Emily Dickinson tandis qu'il récite les slogans du Parti, mais ils s'aiment, s'installent, se marient. Elle a une fille, une artiste qui joue de la harpe, qu'elle adore. Il découvre la vie de famille et les joies de la famille recomposée. C'est formidable, la famille recomposée, tout le monde s'aime, on se reçoit à la campagne, dans le jardin, au printemps ou en été, les petits oiseaux chantent, les fleurs abondent au bord de la terrasse, les enfants jouent joyeusement, tout le monde sourit, on est heureux. La vie rêvée, version série télé, famille d'aujourd'hui… Qu'écrivait donc Philip Roth à ce sujet ? « Une propagande imbécile en faveur de la vie elle-même – la vie telle qu'elle aimerait se voir mise en publicité ».
Pour Ira, Eve et Sylphid, disons, pour rester dans le ton général du roman, que c'est plus nuancé, beaucoup plus nuancé. du nouveau mariage de sa mère, la harpie harpiste parle de « la Belle et la Bête ». Lui, pense utile : « Tant qu'il aurait à son bras l'une des têtes couronnées de la radio, il serait impossible à dénoncer et à virer. Elle allait protéger son mari et, par extension, la clique de communistes qui faisaient tourner son émission. » Quant à Eve, « Qui n'a pas un mariage raté ? Elle-même en a quatre. Mais pas question d'être comme tout le monde. C'est une vedette. Qui est cet acteur, Iron Rinn ? C'est moi, l'actrice. C'est moi qui ai un nom. Je ne suis pas cette faible femme à qui on peut faire toutes les misères qu'on veut. » Je n'en dis pas plus, l'intrigue va crescendo jusqu'à la fin que je vous laisse découvrir, et comme lorsque ça se produit chez des amis, il va vous être difficile de ne pas choisir son camp. Dans cette histoire, j'ai bien dit « dans cette histoire », bien obtus serait le lecteur qui en resterait à « une page infâme de l'Amérique ». Trouverez-vous le coupable ? Mc Carthy, le Capitalisme, le Communisme, Eve, Ira, Sylphid, ou même d'autres personnages qui jouent des rôles importants : Pamela, les Grant, O'Day.
Réfléchissez et, de grâce, travaillez dans la nuance ! Ce roman complexe, puissant, subtil et émouvant le mérite bien.
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Citations et extraits (116) Voir plus Ajouter une citation
« Je m’étais fait avoir par moi-même, au cas où tu te poserais la question. Par mes principes. Je peux pas trahir mon frère, je peux pas trahir mon métier, je peux pas trahir les déshérités de Newark. Ah non, pas moi. Moi je ne déserte pas. Moi je ne me défile pas. Que mes collègues fassent ce que bon leur semble, moi je n’abandonne pas ces jeunes Noirs. Alors moi je trahis ma femme. Je fais porter la responsabilité de mes choix par quelqu’un d’autre. C’est Doris qui a porté la responsabilité de mon civisme. C’est elle qui a été la victime de … Ecoute, on ne s’en sort pas. Quand on essaie, comme j’ai tenté de le faire de se départir des illusions flagrantes – la religion, l’idéologie, le communisme – on est encore tributaire du mythe de sa propre bonté. Voila le leurre final, celui auquel j’ai sacrifié Doris.
« Mais basta, chaque acte produit de la perte dit-il. C’est l’entropie du système
- Quel système ?
- Le système moral. ».

… On réussit à s’abstenir de trahir d’un coté, et voila qu’on trahit ailleurs. Parce que le système n’est pas statique. Parce qu’il est vivant. Parce que tout ce qui vit est en mouvement. Parce que la pureté est une pétrification. Parce que la pureté est un mensonge. Parce que sauf à être un parangon d’ascétisme comme Johnny O’Day et Jésus-Christ, on est aiguillonné par des centaines de choses. Parce que sauf à foncer dans la vie en brandissant comme un pieu une vertu ostentatoire, à la manière des Grant, sauf à entretenir le gros mensonge de la vertu ostentatoire pour justifier ce qu’on fait, il faut se demander, à longueur de temps : « Et pourquoi je fais ce que je fais ? » Et il faut se supporter soi même sans connaître la réponse.
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Rien n'est plus fatal à l'art que le désir de l'artiste de prouver qu'il est bon. Quelle tentation terrible, l'idéalisme! Il faut que vous parveniez à maîtriser votre idéalisme, et votre vertu tout autant que votre vice, il faut parvenir à la maîtrise esthétique de tout ce qui vous pousse à écrire au départ: votre indignation, votre haine, votre chagrin, votre amour! Dès que vous commencez à prêcher, à prendre position, à considérer que votre point de vue est supérieur, en tant qu'artiste vous êtes nul, nul et ridicule! Pourquoi écrire ces proclamations? Parce que quand vous regardez autour de vous vous êtes "choqué"?Parce que quand vous regardez autour de vous vous êtes "ému"? Les gens renoncent trop facilement, ils truquent leurs sentiments. Ils veulent éprouver des sentiments tout de suite, alors ils sont "choqués", ils sont "émus", c'est le plus facile. Et le plus bête.
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Ecoute, tout ce que disent les communistes sur le capitalisme, c'est vrai. Et tout ce que disent les capitalistes sur le communisme, c'est vrai. Seulement la différence, c'est que notre système marche parce qu'il est fondé sur une vérité: l'égoïsme humain; le leur marche pas parce qu'il est fondé sur un conte de fées: la fraternité humaine. Il est tellement dingue, leur conte de fées, qu'ils sont obligés de te coller les gens en Sibérie pour qu'ils y croient. Pour qu'ils y croient, les gens, à cette histoire de fraternité, il faut contrôler la moindre de leurs pensées, ou alors les fusiller.
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J'étais là. Il était là, ce monde où depuis longtemps je rêvais en secret d'être un homme. Il y eut un coup de sifflet, les portes s'ouvrirent toutes grandes, et ils sortirent, les travailleurs ! Les hommes ordinaires, le tout-venant de Corwin, peu spectaculaires, mais libres. Le petit gars, l'homme du commun ! Les Polonais, les Suédois, les Irlandais, les Croates, les Italiens, les Slovènes ! Les hommes qui fabriquaient l'acier au péril de leur vie, qui risquaient de se faire brûler, écraser, souffler par une explosion, tout ça pour le profit de la classe dirigeante.
Dans mon effervescence, je ne voyais pas les visages, ni vraiment les corps. Je ne voyais qu'une masse brute de travailleurs passant les portes pour rentrer chez eux. La masse des masses américaines ! Ce qui me frottait au passage, qui se cognait contre moi, c'était le visage, la force de l'avenir ! L'envie de crier - de tristesse, de colère, d'indignation, de triomphe - me submergeait, de même que l'urgence de me mêler à cette populace, pas tout à fait populace, pas tout à fait menaçante pour entrer dans la chaîne, le flot des hommes aux galoches à semelles épaisses, et les suivre jusque chez eux. Ils faisaient le bruit de la foule dans l'arène, avant le combat. Et quel combat ? Celui pour l'égalité en Amérique.
O'Day sortit du sac qu'il portait en bandoulière une liasse de tracts, et me les fourra dans les mains. Et là, avec pour toile de fond l'usine, basilique fumante qui devait faire plus de quinze cents mètres de long, nous restâmes côte à côte pour distribuer notre tract à tout travailleur de l'équipe de sept heures-trois heures, qui tendait la main pour la prendre. Leurs doigts touchèrent les miens, toute ma vie en fut retournée. Tout ce qui était contre ces hommes, en Amérique, était contre moi désormais. Je fis le voeu du distributeur de tracts : je ne serais rien d'autre que l'instrument de leur volonté, je ne serais que rectitude.
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Quand tu es rentré de guerre, tu as passé un an à te demander ce que tu faisais avec moi, à te dire tous les jours: "Mais pourquoi je la quitte pas?" - Tu crois que je ne le sais pas? Mais tu ne l'as pas fait. En général les gens ne le font pas. Tout le monde est insatisfait, mais, en général, on reste. Surtout les gens qui ont été abandonnés eux-mêmes, comme toi et ton frère. Après ce que vous avez passé, vous placez la stabilité très haut. Trop haut sans doute. Le plus difficile, dans la vie, c'est de couper le cordon. Les gens sont prêts à s'adapter de dix mille manières à la conduite la plus pathologique. Comment se fait-il qu'un homme qui a son profil affectif se lie avec une femme comme elle? Pour la raison habituelle: leurs tares se complètent.
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