Retour aux sources, pourrait-on penser, sur les terres des premiers succès de
Ian Manook avec la trilogie
Yeruldelgger. Cependant, ceux qui imaginent retrouver la même ambiance avec
Aysuun en seront pour leurs frais.
Du moins, dans le genre du livre, cette virée s'apparente davantage à une aventure humaine doublée d'une fiction historique. Avec comme toile de fond la Mongolie, avec ses steppes, ses chevaux, ses femmes, ses hommes et ses traditions.
Il s'agit du récit à la première personne d'une femme au crépuscule de sa vie, vieille de tant d'années, de tant d'événements et de souffrances. C'est l'histoire d'une jeune fille déjà morte à l'intérieur, qui va se battre pour survivre et revivre, avec en ligne de mire la vengeance, l'un des moteurs les plus anciens.
Aysuun se raconte du haut de ses cent six ans, revenant loin en arrière, en 1930, quand elle a été laissée pour morte avec sa mère après un massacre d'une violence terrible. Les responsables ? L'armée soviétique, engagée par la terreur dans l'extension de la pensée communiste, au point de raser net tout ce qui constitue l'âme d'un pays.
La Mongolie et le territoire de Touva se retrouvent sous « protection » russe. Plus rien d'autre ne compte que la Grande Idée communiste, surtout pas les habitants de ces contrées qui vivaient jusqu'alors au plus près de leurs traditions.
Le roman baigne dans celles-ci, entre rites et coutumes, folklore et chamanisme. Il explore l'héritage fort des ancêtres de ce peuple de nomades qu'on tente de forcer à la sédentarité.
Ian Manook nous a déjà habitués à des personnages forts, inoubliables. Sans l'ombre d'un doute,
Aysuun en fait partie, peut-être même le plus touchant, clairement l'un des plus marquants.
Après l'horreur vécue durant sa jeunesse, avec une mère qui n'est plus qu'une morte-vivante depuis, elle a su montrer une force de caractère étonnante pour se reconstruire.
Cependant, quand on est marqué dans sa chair, on ne peut pas oublier. Alors, quand son bourreau recroise son chemin 25 ans plus tard, son seul trépas ne peut la contenter. L'agonie vengeresse devra être longue, et
Aysuun fait preuve d'une grande créativité en la matière, accompagnée de ses amis.
C'est un formidable voyage auquel nous convie l'auteur, à travers ce pays lointain, ses moeurs, ses croyances. Un récit teinté d'un profond respect pour ce qui constitue l'ADN de ses habitants. Une virée d'un grand dépaysement, menée de main de maître par un
Ian Manook habité par cette âme nomade, et qui n'est jamais aussi bon que quand il nous plonge dans ce genre de récit voyageur.
Avec un arrière-plan historique fouillé, révélateur des atrocités perpétrées au nom d'une idée, quand les Hommes se comportent bien pire que des animaux.
Au-delà d'une humanité touchante au possible, c'est l'autre grande force du roman, ainsi nous rappeler/montrer la manière dont on a voulu effacer l'esprit de tout un pays, tout un peuple.
Le livre n'est pas un polar, il n'empêche qu'il réserve nombre de surprises, se lit avec les yeux grands ouverts, à suivre cette vendetta mongole. C'est plein d'inventivité, surprenant de bout en bout jusqu'au final.
325 pages d'immersion dans un autre monde, une autre culture, d'autres pensées, si bien racontées qu'on s'y croirait. L'empathie joue à fond, tant le talent du narrateur sait nous faire vibrer à l'unisson de ses protagonistes.
Aysuun, entre souffle, appel, plainte et hurlement, un cri du coeur pour ce personnage de ce qui est pour moi l'un des meilleurs romans de
Ian Manook.
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