Vue de France, l'année
1871 est celle de la Commune de Paris, ou peut-être celle de la fin du Second Empire, de la défaite contre la Prusse et de la perte de l'Alsace et de la Lorraine. Cet article d'histoire du Juif roumain
Valeriu Marcu nous place résolument dans la perspective allemande, de l'unification du pays sous hégémonie prussienne par l'oeuvre controversée du chancelier Bismarck. Voici un article d'Histoire publié en 1934 dans la revue des fondations royales roumaines, plutôt orientée vers le fascisme et le nazisme, par un auteur déjà exilé parce que juif et (ancien) communiste, lequel n'a de romanesque que la description psychologisante des états d'esprit des protagonistes de la scène d'ouverture : la célébration, le 17 janvier
1871 dans la galerie des Glaces du palais de Versailles, du couronnement du roi de Prusse empereur allemand. La circonstance est véridique ; le reste de l'article approfondit la personnalité et le cheminement politique de Bismarck, avec une précision et une impartialité d'historien consommé qui ne se prive pas de citations du personnage historique et dont les opinions personnelles s'effacent devant la problématique de savoir si le prix de ce succès politique indéniable qui appartient en propre au protagoniste n'a pas été trop lourdement payé par les nationalités qui composent l'empire allemand, autres que les Prussiens, et accessoirement par la bourgeoisie allemande tout entière, un prix représenté par le militarisme, la tyrannie, et l'effacement des spécificités locales.
Au moment de la récupération nazie du mythe du (Troisième) Reich, il est évident que les éléments d'analogie avec l'acte de naissance du Deuxième ne sont pas fortuits. Dans son indispensable Préface, la traductrice
Gabrielle Danoux le rappelle tout en voyant dans ce texte une critique implicite contre Hitler et une prémonition de Marcu qui « démythifie d'une part le règne hitlérien et, d'autre part, le voue à l'échec. » (p. 7). Si c'était le cas, la publication de cet article dans les colonnes d'un tel organe serait assez énigmatique et surtout la démarche de l'auteur, déjà exilé, incompréhensible. Personnellement, conformément à la problématique que j'ai formulée, je ne suis pas convaincu qu'il ait eu une telle prémonition ni que la comparaison entre un Bismarck incommensurablement plus talentueux que le Hitler de son actualité – comparaison pourtant lancée dans la phrase d'excipit : (« […] ce dirigeant aurait pu tout accomplir en une seule et unique occasion : tant qu'il se nommait le comte Bismarck ») ait été la thèse principale de son texte. La question des nationalités – hier au sein de l'empire austro-allemand (avec une Autriche battue à Sadowa le 3 juillet 1866), en 1934 (l'année même de la première tentative d'Anschluss bloquée par Mussolini) dans l'Europe centrale tout entière menacée de germanisation et de nazification – devait certainement inquiéter
Valeriu Marcu par-dessus tout.
Pourquoi la revue publia-t-elle l'article ? Sans doute parce qu'il ne contient rien d'anti-allemand, que la guerre et la France brillent par leur absence et enfin, précisément, parce que ce couronnement, malgré les mauvaises humeurs et les états d'âme attribués aux uns et aux autres, est un triomphe politique pour Bismarck. Il pouvait parfaitement passer, en faisant l'économie de l'hypothèse de l'imbécillité des censeurs devant les ruses de l'auteur.
Gabrielle Danoux mentionne très justement
Malaparte, journaliste sulfureux et provocateur de ces années-là, que j'aime beaucoup pour sa façon de jongler avec les fascismes et de tomber toujours sur ses pattes malgré ses multiples revirements systématiquement contraires au pouvoir ; je me permets d'évoquer une autre personnalité littéraire et journalistique de l'époque, qui montre un certain nombre de traits communs avec ce que l'on peut deviner de
Valeriu Marcu par ce seul article : le fascinant
Kurban Saïd, alias
Essad Bey, auteur juif azerbaïdjanais déguisé en musulman, fasciste anti-nazi comme il en existait beaucoup en ces temps-là, exilé aux États-Unis puis en Italie où il vécut ses dernières années et mourut incognito.
[Pour me remémorer de certains détails de
1871, j'ai eu recours à un ouvrage très précieux pour l'aisance de sa consultation : le
Dictionnaire de la Commune par
Bernard Noël, Mémoire du Livre, 2000.]