On peut dire, je crois, qu'
Arlequin poli par l'amour a décidé du destin de dramaturge de
Marivaux ; autant sa tragédie classique Annibal, jouée par les comédiens du Roi (autrement dit la
Comédie-Française) se révéla un échec, autant
Arlequin poli par l'amour, comédie jouée par les Comédiens Italiens la même année, c'est-à-dire en 1720, fut un succès. Adieu donc la tragédie ! Et ce fut aussi le début d'une collaboration fructueuse :
Marivaux avait trouvé dans la troupe de Luigi Riccoboni un talent bien différent de ceux des Comédiens Français. Leur sens de l'improvisation et leur naturel (ce qui n'était franchement pas le fort des acteurs de la tragédie classique, hein) lui convenait si bien qu'ils ne se quittèrent plus.
Ici, on a une pièce écrite en prose, avec un texte réduit, pour la bonne raison que les Comédiens Italiens ne maîtrisaient pas alors suffisamment la langue française - ce qui ne durera pas, si j'en crois la suite des événements. Et si
Marivaux a repris et des personnages, et des modèles de la comédie italienne, il a aussi mélangé les genres et ajouté du merveilleux à son canevas. Nous voici donc avec un archétype de la comédie italienne, Arlequin, que
Marivaux fait faire évoluer à sa manière.
Cet Arlequin est un beau jeune homme (toutes les femmes le disent, donc nous supposerons que c'est vrai), mais stupide, et même complètement niais. Une fée (que fait-elle là ?) l'a vu, en est tombée amoureuse et l'a enlevé, allez hop ! Ajoutons qu'elle doit épouser sous peu le grand Merlin. Alors bon, ne pensez pas trop à la légende arthurienne, d'ailleurs on ne verra pas seulement le bout du nez de Merlin. Mais surtout, notre fée ne savait pas qu'Arlequin était si bête... Et elle a beau dire qu'elle l'aime malgré sa niaiserie, elle cherche à tout prix à le rendre plus instruit et plus malin. Soyons francs : notre Arlequin dit à peine trois mots d'affilée, ne comprend rien à rien (mais ce qui s'appelle rien), n'est pas amoureux de la fée, et ne pense qu'à dormir et manger. Mais c'est alors qu'il rencontre par hasard une bergère prénommée Silvia (bah oui), dont il tombe immédiatement amoureux. Et cet amour le transforme : il se tenait mal, il se tient droit, il ne parlait quasiment pas, il apprend le langage de l'amour, il ne pigeait rien à rien, il se met à inventer des ruses et des stratagèmes. Et il est aimé en retour. Évidemment, tout ça n'est pas pour plaire à la fée...
On va donc voir un Arlequin rustre se transformer en jeune homme plus ou moins avisé. Peut-être même un peu trop malin. On va trouver dans
Arlequin poli par l'amour un zeste de tragédie classique, puisque la fée, extrêmement puissante (et sournoise - on se demande ce que Merlin lui trouve, cela dit il est connu pour s'être fait avoir en beauté) se révèle être un véritable tyran, du genre Néron dans Britannicus. Avec une bague et une baguette magiques en sus. Cette fée est l'ancêtre des femmes de mauvaise foi et tyranniques qu'on retrouvera plus tard chez
Marivaux. Et si toute la pièce vise à montrer comment l'esprit vient à ceux qui tombent amoureux, et comment deux jeunes personnes s'éveillent, passent une sorte de rituel d'initiation, elle contient aussi en germe les fins "à problème" (oui, j'aime décidément beaucoup cette expression !) des comédies ultérieures. Car une fois qu'Arlequin a passé le cap de la niaiserie, il est fort à craindre qu'il fasse fort mauvais usage de son esprit, malgré toutes les chansons et danses qui concluent la comédie. Et c'est peut-être la comédie la plus légère qu'ait composée
Marivaux ! Mais bon,
Marivaux, c'est juste du théâtre charmant et enjoué, paraît-il...
Challenge Théâtre 2020