Désolée pour ceux qui attendent que je m'acharne sur le dernier roman que j'ai lu ; je sais que je vais vous décevoir, mais j'ai aimé ce premier tome de Londinium (et je ne dis pas seulement ça parce que je suis carrément en retard pour publier ma chronique concernant l'avant-dernière Masse critique et que je veux me rattraper auprès de l'équipe de Babelio).
Je pose le décor : Londinium est, évidemment, un Londres imaginaire, et l'histoire se situe probablement au début du XXème siècle, étant donné, entre autres, les références aux chansons de
Joséphine Baker. Mais c'est surtout une ville où vivent ensemble les humains et autres animaux, sans que les uns bouffent les autres (alors que c'est le cas dans la ville de Paris), ou encore que les autres se bouffent entre eux. Un équilibre précaire a été instauré, et nous plongeons dans Londinium au moment où, justement, les choses se gâtent : des renards, qu'on gave de pilules comme les autres prédateurs afin de les empêcher de manger de la viande, commencent à se désinhiber et à attaquer d'autres animaux. Et on sent assez vite que, dans cette ville qui se veut progressiste, les animaux ne se respectent pas tellement entre espèces. Sans compter que les humains se mettent à pratiquer une discrimination anti-roux... D'ailleurs, Arsène, le lapin héros de notre histoire, se fait l'écho de toutes ces tensions. S'il est cultivé, intelligent, malin, il est aussi misogyne, très intéressé par l'argent et les biens matériels (alors qu'il trouve parfois ça énervant chez les autres), et se plaint allègrement des rats musqués, des castors, des furets, et j'en passe (les renards, bon, on comprend, vu qu'ils adorent manger du lapin). Arsène est également enquêteur, et, en recherchant une loutre disparue et la raison de vols répétés dans la caisse d'un tavernier, il va se retrouver empêtré dans un mic-mac qui le dépasse largement.
Des romans et des albums jeunesse, j'en lis régulièrement et je me fais régulièrement la remarque qu'ils sont écrits par des auteurs qui prennent plus ou moins leur public pour des idiots. Ce qui n'est pas du tout le cas ici. Un des points forts, c'est l'écriture, qui ne prend pas ce ton horriblement scolaire qui fait ressembler tant de romans jeunesse à des cours de français. Et c'est assez drôle, sans que pour autant l'auteure essaie de donner dans un pseudo humour à l'anglaise. L'histoire devenant de plus en plus sérieuse, ce ton humoristique tend à s'estomper un peu au fil des pages, mais reste présent. Surtout, c'est particulièrement intelligent, et donc assez exigeant pour le lectorat. Ca parle de politique, de philosophie, d'éthique, bref, tous ces sujets qu'on croit devoir réserver aux adultes en général (comme si la majorité des adultes réfléchissaient tant que ça à toutes ces choses, franchement !) Et c'est intelligent dans le sens où l'intégration des animaux dans la société des humains pose des questions sur notre rapport à l'immigration en Europe (ce qui semble être bizarrement un sujet obsédant pour au moins cinq ou six candidats aux élections présidentielles en France, allez savoir pourquoi), mais que, fort heureusement, ce n'est pas juste une métaphore sur la société humaine. Il aurait été dommage de n'utiliser les animaux que dans ce but, ce que je craignais un chouïa au début du roman. Or, la question de notre rapport aux animaux est bel et bien posée, et elle va plus loin qu'on ne pourrait le penser.
Agnès Mathieu-Daudé a très bien croisé les thèmes, et elle pousse le lecteur à s'interroger sur ce qu'est l'intégration et, surtout, l'évolution. Et on est très loin des énormités que
Flore Vesco avait sorti sur Darwin - et dont je ne me suis toujours pas remise - dans un de ses romans, je peux vous le certifier !
Je salue donc l'auteure et l'éditeur pour avoir proposé une lecture exigeante, je le répète, mais tout en même temps divertissante (j'ai peur d'avoir présenté ce roman comme un truc ultra intello et indigeste, or ce n'est pas du tout le cas !), et où le héros fume régulièrement un produit appelée lucernum, qui détend, fait rêver et aide à penser, et qui n'est donc pas présenté comme le mal absolu. Vous aurez compris à quelle substance, aujourd'hui toujours illégale en France,
Agnès-Mathieu Daudé fait allusion. Sur le coup, ça m'a paru osé de la part de l'auteur et surtout de celle de l'éditeur, mais il est vrai que
Conan Doyle, il y a déjà pas mal de temps, avait carrément fait de
Sherlock Holmes un consommateur de cocaïne, alors Arsène fumant des pipes de lucernum, hein... (et bon - ALERTE SPOIL ! -, les renards consomment des trucs hyper louches).
Seul bémol : alors que c'est dans l'ensemble très bien écrit, on trouve par endroits quelques formules bizarres, et, surtout, des coquilles. Alors certes, c'est devenu monnaie courante dans l'édition française, mais c'est pas pour ça qu'il faut qu'on s'y habitue. Halte aux coquilles ! Embauchez plus de relecteurs, que diable ! (Et payez-les correctement, pendant qu'on y est)
Masse critique Jeunesse