Il s'agit du premier roman de Mauriac, écrit entre 1910 et 1912. Une première édition préorginale paraît dans le Mercure de France en juin-juillet 1912. le texte en sera corrigé pour la parution originale en volume chez Grasset en 1913. Mauriac portera un jugement sévère sur ce texte, comme sur tous ses textes jusqu'au Baiser au lépreux, qu'il considérait comme son premier texte abouti. En ce qui concerne
L'enfant chargé de chaînes, l'auteur l'a rangé dans ses Oeuvres complètes dans les juvenilia, dont le seul intérêt est d'être des documents sur son adolescence et sa jeunesse d'après lui.
En effet, le personnage principal,
Jean-Paul, ressemble par de nombreux aspects au jeune
François Mauriac, évolue dans les mêmes lieux, et a des expériences semblables à celles de l'auteur, qui reconnaît s'être servi de son journal intime pour dessiner son portrait « d'un trait maladroit ». Au début du roman,
Jean-Paul se trouve à Paris, en train de finir sa licence de lettres. Il rend de temps en temps visite à son oncle et à sa cousine Marthe, amoureuse de lui. Il cherche un sens à sa vie. Il pense l'avoir trouvé à un moment, grâce à un ami d'enfance, Vincent Hiéron. Ce dernier s'est engagé dans un mouvement chrétien social, Amour et Foi, dirigé par Jérôme Servet, et incite
Jean-Paul à le rejoindre, ce que ce dernier va faire après avoir entendu Jérôme Servet. Il anime des rencontres, fait la connaissance d'un jeune ouvrier, Geroges Elie. Mais très vite, il n'arrive plus à adhérer sans restriction au mouvement, déçoit l'amitié de Georges Elie, se fait exclure. Il décide de plonger dans les plaisirs éphémères, prend une maîtresse, sans y trouver beaucoup de plaisir. Au final, il va se décider à épouser Marthe et revenir vivre dans sa région natale.
Comme précisé plus haut, le personnage de
Jean-Paul ressemble au jeune
François Mauriac, qui aussi a étudié les lettres et a adhéré à un mouvement, le Sillon, dirigé par Marc Sangnier, mouvement qui finira par être interdit par le Vatican. le portrait guère tendre de Jérôme Servet, charismatique et manipulateur, pas très flatteur, a été souvent lu comme un portrait de Marc Sangnier. Mais c'est surtout avec
Jean-Paul que Mauriac se montre pas tendre : égoïste, superficiel, blessant les gens qui s'attachent à lui, incapable de sacrifier ce qui lui fait plaisir, sans grande volonté, il suit le courant, jusqu'au mariage avec Marthe, vers lequel il se dirige sans grande passion ni réelle conviction, comme la seule issue qui lui reste.
C'est bien évidemment une lecture passable, l'auteur étant à la recherche de tout ce qui fera son art, contenu et forme. La trame romanesque est très lâche, il n'y a pas de véritable action, quelques tableaux, il s'agit plus d'un portrait que d'un véritable récit. Mais ce n'est vraiment pas déplaisant à lire, on sent un réel potentiel dans ces pages de jeunesse, il y a des fulgurances stylistiques par moments, et quelque chose, de l'ordre d'une ambiance, d'un regard, est déjà là, dès ce premier roman. Qui n'est que très secondaire si on se place du point de vue des textes de la maturité, mais pour un premier roman c'est plus que prometteur.